0 DARK 30 – 14,5/20

Zero Dark ThirtyRéalisé par Kathryn Bigelow
Avec Jessica Chastain, Jason Clarke, Joel Edgerton

Synopsis : Le récit de la traque d’Oussama Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines…

Avis : Épatante reconstitution de la traque de l’homme le plus recherché de l’histoire américaine, 0 Dark 30 fait la parfaite synthèse entre film géopolitique âpre et clinique et thriller haletant. On observe d’ailleurs avec une certaine fascination la capacité d’Hollywood à se retourner à toute vitesse sur son histoire immédiate. Quand on sait que le film était quasiment prêt lors de l’exécution de Ben Laden, la capacité de la réalisatrice à adapter son récit à l’actualité en conservant une cohérence et une qualité cinématographie intacte impressionne. Le débat, assez justifié, sur la façon dont elle a pu avoir accès à des informations classées secret défense pèse finalement peu face à nos attentes de cinéphiles… En s’emparant d’un sujet aussi sensible, elle pouvait de toute façon difficilement échapper aux controverses, comme les critiques qui accusent le film de justifier l’usage de la torture dans la lutte contre le terrorisme. Une attaque peu pertinente, car le film se contente de relater des faits, même les moins glorieux. Ce n’est un secret pour personne que l’administration Bush usait de tous les moyens pour obtenir des informations.
0 Dark 30 se pose en parfait complément de Démineurs, précédent film coup de poing de la réalisatrice sur le quotidien des soldats américains en Afghanistan, formant un diptyque martial dense et référent sur cette guerre qui marquera l’histoire américaine de ce début de millénaire. Mais là où Démineurs lorgnait vers le film d’action et captivait par sa capacité à créer des situations d’une intensité folle qui coupaient littéralement le souffle, 0 Dark 30 se construit sur la longueur, prend le temps d’installer la traque, développe les fausses pistes, les culs de sacs, les blocages administratifs auxquels l’enquête se heurte. Un thriller géopolitique donc, qui se déroule d’ailleurs aussi bien sur le terrain que dans les bureaux. Réalisé sans esbroufe et découpé en chapitres, à la limite de la chronique journalistique, le récit se met lentement en place, rendant compte des difficultés à trouver le moindre indice sur la localisation de Ben Laden et expliquant les 10 ans nécessaires pour le débusquer. Mais la tension monte progressivement et une fois les premiers éléments tangibles trouvés, le film s’emballe (et nous avec). Mais toujours avec beaucoup de retenu et sans effets superflus, baignant dans un réalisme frappant et une distance froide, à l’image du raid final, sobre, d’une efficacité et d’une intensité redoutable. Le personnage principal, incarné avec sobriété par la remarquable et cristalline Jessica Chastain, mue par une détermination sans faille, est à l’image de la nation pour laquelle elle se bat. Mais une fois cette soif de vengeance assouvie, sera-t-elle pleinement satisfaite?
Brillant et fascinant à bien des points de vue.

MANIAC – 13,5/20

ManiacRéalisé par Franck Khalfoun
Avec Elijah Wood, Nora Arnezeder

Synopsis : Dans les rues qu’on croyait tranquilles, un tueur en série en quête de scalps se remet en chasse. Frank est le timide propriétaire d’une boutique de mannequins. Sa vie prend un nouveau tournant quand Anna, une jeune artiste, vient lui demander de l’aide pour sa nouvelle exposition. Alors que leurs liens se font plus forts, Frank commence à développer une véritable obsession pour la jeune fille. Au point de donner libre cours à une pulsion trop longtemps réfrénée – celle qui le pousse à traquer pour tuer.

Avis : En produisant ce remake, Alexandre Aja se situe dans la continuité de ses propres réalisations, La colline a des yeux et Piranha 3D, entre hommage et réinterprétation de classiques horrifiques. Deux réussites parmi lesquelles Maniac ne dépareille pas. S’il laisse la caméra à Franck Khalfoun (2ème sous-sol), on y retrouve une vrai exigence de style et une volonté de ne pas se limiter un simple copier-coller de l’original.
En optant pour une caméra suggestive audacieuse (le film est vécu du point de vu du tueur qui n’est visible que dans les miroirs ou en songe), Khalfoun surprend positivement et confère à son film une réelle autonomie et une indéniable authenticité. C’est efficace, bien géré, d’autant plus que la photo, électrique car éclairée essentiellement par des lumières artificielles (néons de la ville, faibles lumière de l’atelier de Frank) ajoute à l’ambiance générale assez instable. Une BO electro-eighties baignée de synthé, planante et inquiétante finit de nous convaincre (on remarquera aussi un clin d’œil au Silence des agneaux avec la chanson de Buffalo Bill). On suit alors un peu malgré nous le parcours de ce tueur au très très lourds (euphémisme) « mother issues ».
Et c’est le deuxième pari réussi par Maniac, faire de l’angélique Elijah Wood un psychopathe crédible. Le contraste entre son physique et la monstruosité et la folie de ce Norman Bates moderne fonctionne parfaitement. Rarement un tueur en série aura été aussi flippant. Wood l’incarne avec fièvre et suit son réalisateur dans sa volonté de ne rien épargner à son spectateur. Il assène des scènes d’une violence inouïe, à la limite du supportable. Même sans être excessivement sensible, on détourne souvent le regard de l’écran, notamment lors des scènes de scalp, summum du gore premier degré. Contrairement à certain slasher movies, on n’a jamais envie de rire…
Maniac crée un malaise permanent, installe un climat anxiogène, diffuse un parfum irrespirable, jusqu’à l’écœurement. Mais c’est parce qu’il va au bout de son idée, celle de livrer un vrai film de genre. En cela, et malgré un fin pas vraiment à la hauteur, Maniac est une sanglante réussite.
Ne s’y aventurer cependant qu’avec le cœur (et les cheveux), bien accrochés.

DJANGO UNCHAINED – 16/20

Django UnchainedRéalisé par Quentin Tarantino
Avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio

Synopsis : Dans le sud des États-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession, le Dr King Schultz, un chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut l’aider à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche. Schultz promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle – morts ou vifs.
Alors que les deux hommes pistent les dangereux criminels, Django n’oublie pas que son seul but est de retrouver Broomhilda, sa femme, dont il fut séparé à cause du commerce des esclaves…
Lorsque Django et Schultz arrivent dans l’immense plantation du puissant Calvin Candie, ils éveillent les soupçons de Stephen, un esclave qui sert Candie et a toute sa confiance. Le moindre de leurs mouvements est désormais épié par une dangereuse organisation de plus en plus proche… Si Django et Schultz veulent espérer s’enfuir avec Broomhilda, ils vont devoir choisir entre l’indépendance et la solidarité, entre le sacrifice et la survie…

Avis : Q T. est de retour. Et magistralement. Après un Inglourious Basterds pas sans qualité mais mal fagoté et inégal, le réalisateur culte remet les pendules à l’heure et livre un vibrant et sanglant hommage aux westerns spaghettis, divinement cuisiné à sa sauce.
Surtout, contrairement à son dernier film parasité par des tics Tarantinesques souvent grotesques, le réalisateur se met cette fois-ci au service de son histoire et non l’inverse. Et se renouvelle.
Résultat, une efficacité redoutable et une cohérence frôlant le sans faute. A partir d’une histoire simple mais portant en elle des thèmes constitutifs de son cinéma (vengeance, honneur) Tarantino parvient encore à surprendre en détournant les codes du genre avec une virtuosité affolante. Alors que la musique de western est de mise dans quasiment tous ses films, il ne l’utilise ici que comme gimmick. Il construit l’univers musical de Django sur une bande son pop et rock teintée de musique urbaine qui finit d’assoir la modernité de son œuvre. Et ça fonctionne foutrement bien.
Parfaitement à l’aise, QT déploie une mise en scène ample et forcément ulta-référencée (l’ouverture nous immerge instantanément dans le monde de Django), d’une richesse et d’une variété insensée, qu’un montage brillant met d’autant plus en valeur. Il retrouve son sens inné du rythme, alternant longs dialogues toujours aussi précis, et scènes d’action millimétrées, n’hésitant pas à provoquer des ruptures brutales mais toujours à bon escient. Mettant à profit sa science du climax, il délivre une violence tout sauf gratuite, comme toujours symbole de l’absurdité de ce qu’il condamne.
Car en alternant humour ravageur et ballets sanglants, Tarantino assène un message politique, mais politiquement incorrect, sans ambiguïté. Sa reconstitution de l’Amérique sudiste pré-sécession sert de cadre parfait à une dénonciation de l’esclavage, évidemment, mais par extension de toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme et de la privation de liberté.
On rit beaucoup oui, mais pas de tout. On passe ainsi d’une scène hilarante entre membres du Ku Klux Klan mal cagoulés à un combat à mort glaçant entre deux esclaves qui vous refroidit aussitôt. Derrière ses airs outranciers et sa brutale ironie, la mise en scène de Tarantino fait admirablement la part des choses et s’avère beaucoup plus subtile qu’elle n’y parait. Et ne laisse pas une seconde de répit aux spectateurs qui ne voient pas passer ces 2h45 menées à un rythme métronomique.
Si Tarantino nous a habitués à une sorte d’excellence dans l’art de choisir ses acteurs, il atteint ici une sorte de perfect match. Dans le rôle titre, Jamie Foxx a furieusement la classe et déborde de charisme. Son duo avec Christoph Waltz, nouveau roi d’Hollywood, est savoureux. Waltz apporte toute sa finesse, son monstrueux talent et sa causticité à ce personnage mystérieux. Et s’apprête à nouveau à récolter une moisson de prix bien méritée. Face à eux, DiCaprio semble s’amuser comme un fou à jouer l’affreux de service, à l’âme aussi sombre que sa dentition et au cynisme assumé. Il est parfait, comme souvent.
Autant d’ingrédients qui classent Django Unchained parmi les grandes réussites du sieur Tarantino, dont le génie singulier continue donc de revisiter les genres. Ça ne fonctionne pas toujours parfaitement. Mais quand l’alchimie prend, comme pour Django… On est conquis, littéralement.

Oui, décidemment, cette année ciné commence très bien…

LE MONDE DE CHARLIE – 14/20

Le Monde de CharlieRéalisé par Stephen Chbosky
Avec Logan Lerman, Emma Watson, Ezra Miller

Synopsis : Au lycée où il vient d’arriver, on trouve Charlie bizarre. Sa sensibilité et ses goûts sont en décalage avec ceux de ses camarades de classe. Pour son prof de Lettres, c’est sans doute un prodige, pour les autres, c’est juste un « loser ». En attendant, il reste en marge – jusqu’au jour où deux terminales, Patrick et la jolie Sam, le prennent sous leur aile. Grâce à eux, il va découvrir la musique, les fêtes, le sexe… pour Charlie, un nouveau monde s’offre à lui.

Avis : En déroulant une storyline assez classique mais solide (l’intégration d’un garçon asocial dans une bande d’amis à la marge), Stephen Chbosky n’a pas la prétention de révolutionner le genre du teen movie US indé. Mais il filme cette chronique adolescente avec une honnêteté et un charme délicat qui émeut autant qu’il séduit. L’esprit un peu vintage des années 80, une bande son rock au goût très sûr, les références en forme de clins d’œil aux codes High School US, autant d’atouts qui nous font rapidement entrer dans l’univers du cinéaste (aussi auteur du roman à l’origine du film). Mais si l’ensemble fonctionne aussi bien, c’est que le film est porté par un trio de jeunes acteurs parfaitement enthousiasmant, sans conteste le principal intérêt du film. La choupinette Emma Watson, l’électrisant Ezra Miller et l’étonnant Logan Lerman dégagent une jolie complicité et une maturité de jeu assez impressionnante pour leur âge. On s’attache peu à peu à leur parcours, à la fois poétique et désabusé, alors que les personnages se défont de leurs carapaces et exposent une inattendue complexité.
Assez emballant au final.

FOXFIRE, CONFESSIONS D’UN GANG DE FILLES – 14/20

Foxfire, confessions d'un gang de fillesRéalisé par Laurent Cantet
Avec Raven Adamson, Katie Coseni, Madeleine Bisson

Synopsis : 1955. Dans un quartier populaire d’une petite ville des États-Unis, une bande d’adolescentes crée une société secrète, Foxfire, pour survivre et se venger de toutes les humiliations qu’elles subissent. Avec à sa tête Legs, leur chef adulée, ce gang de jeunes filles poursuit un rêve impossible : vivre selon ses propres lois. Mais l’équipée sauvage qui les attend aura vite raison de leur idéal.

Avis : On comprend assez facilement pourquoi Cantet s’est penché sur l’adaptation de cette histoire forte et dense. Après son mémorable Entre les murs qui croquait formidablement une certaine jeunesse française contemporaine, le réalisateur palmé se projette cette fois-ci dans les années 50 aux Etats-Unis mais s’intéresse toujours aux interactions entre adolescents dans un contexte de groupe.
Et Foxfire narre l’incroyable parcours de ces jeunes filles qui se rassemble autour de Legs, leur charismatique leader, en réaction au machisme ambiant. Toujours très précis dans sa réalisation, Cantet fait progressivement passer son film de chronique de groupe à un thriller social impeccable, et finalement intemporel. Au delà d’une reconstitution solide, c’est la fascinante constitution du gang et plus encore son fonctionnement au jour le jour et cette fuite en avant qui convainc. Comment les espoirs, l’insouciance et l’euphorie des premiers mois font progressivement place aux scories inhérentes à la vie en communauté, aux doutes, aux tensions, aux premières dérives jusqu’à l’inévitable drame. Pour incarner ces demoiselles rebelles, Cantet a fait appel à des actrices novices bluffante de vérité, offrant une jolie cohérence et une épatante énergie au film. Les relations entre les jeunes filles sont riches d’ambiguïtés aussi bien sexuelles que hiérarchiques, donnant ainsi une belle ampleur au récit.
Le réalisateur français réussit donc son après « Palme d’or » en conservant un style sobre et modeste, tout en prenant une certaine hauteur.
L’année ciné commence bien.