Cinéma | SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE – 11/20

De Andrew Haigh
Avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bel

Chronique : Drame fantastique vaporeux et délicate romance gay, Sans Jamais nous Connaître nous embarque dans un voyage singulier entre passé et présent.
Alors qu’il fait la connaissance de Harry avec qui il va débuter une relation amoureuse qu’il n’attendait plus, Adam retrouve la maison de son enfance. A l’intérieur semblent toujours y vivre ses parents, en tout point identiques à ce à quoi ils ressemblaient le jour de leur mort, quand il avait 11 ans.
C’est un drôle de film que nous livre Andrew Haigh, un film de fantômes d’une sourde mélancolie mais aussi la rencontre de deux solitudes.
Cette projection mentale qui ne nous sera jamais expliquée donne à Adam l’occasion de faire son deuil, à la fois de ses parents mais aussi de tout ce qu’il n’a pas pu leur dire. Haigh fait preuve d’une grande tendresse lorsqu’il confronte son personnage au souvenir de ses parents, rendant tangibles, presque crédibles ces retrouvailles de l’au-delà. Le réalisateur nous offre des moments aussi touchants qu’étranges lorsque ce couple étreint cet enfant plus âgé qu’eux…Adam peut finalement faire ce coming-out dont il se sentait privé. Sans doute pour enfin vivre qui il est vraiment.
L’homosexualité d’Adam est d’ailleurs au cœur du film. Haigh a toujours su peindre cette communauté avec sincérité et réalisme (Week-end, la série Looking). On retrouve cette authenticité lorsqu’il développe l’histoire d’amour entre Adam et Harry. Il fait preuve de beaucoup de justesse lorsqu’il évoque l’évidente connexion physique et sentimentale entre les deux hommes.
Le fond est puissant donc, mais la forme interroge. On voit ce que Haigh cherche à dire à travers ce film de revenants mélancolique mais quelque chose bloque.
L’ultra sophistication de la mise en scène dessert le propos et donne l’impression que le réalisateur a fini par privilégier l’apparence. La photographie, très chiadée, joue constamment avec les lumières, les clair-obscur et les effets stroboscopiques. Les dialogues, très nombreux et chuchotés pour la plupart, sont trop littéraires pour qu’on y croit tout à fait. Ils expliquent tout sans laisser de place à l’interprétation. Mais l’élément le plus rédhibitoire est cette musique qu’on dirait tirée d’une séance de méditation. Elle en a en tout cas l’effet soporifique et assomme le récit qui n’en avait pas besoin.
Si Paul Mescal, tout en nuance et séduction sauvage est très convaincant en amant maudit, Andrew Scott peine à vraiment émouvoir dans ce rôle nécessitant plus de retenu que ceux qu’il a l’habitude d’interpréter. En surjouant le côté larmoyant et désabusé, il agace plus qu’il n’émeut.
Sans Jamais nous Connaître suscitait chez moi une attente sans doute démesurée. Mais Haigh semble avoir été pris au piège de l’exercice de style qui étouffe le sens et l’émotion. Son propos aurait sans doute été plus fort expurgé des tics de cinéma indé américain. Il m’a perdu en route…

Synopsis : A Londres, Adam vit dans une tour où la plupart des appartements sont inoccupés. Une nuit, la monotonie de son quotidien est interrompue par sa rencontre avec un mystérieux voisin, Harry. Alors que les deux hommes se rapprochent, Adam est assailli par des souvenirs de son passé et retourne dans la ville de banlieue où il a grandi. Arrivé devant sa maison d’enfance, il découvre que ses parents occupent les lieux, et semblent avoir le même âge que le jour de leur mort, il y a plus de 30 ans.

Séries | D’ARGENT ET DE SANG – 17/20 | TRUE DETECTIVE S04 – 15/20 | ESCORT BOYS – 13/20

D’ARGENT ET DE SANG (Canal +) – 17/20

Déjà adapté en film par Olivier Marshall et raconté dans un documentaire pour Netflix, le scandale de l’arnaque à la taxe carbone et l’improbable traque qui en suivi démontre ici qu’il avait bien de quoi nourrir une douzaine d’épisodes.
D’abord assez technique et un poil austère, la série prend peu à peu de l’ampleur et (beaucoup) de coffre. Une fois pris dans l’histoire, au bout de 2/3 épisodes, impossible de décrocher. Ultra documentée, rythmée et portée par le charisme de ses acteurs (Ramzy est bluffant en petit escroc aussi taré qu’inquiétant et Niels Schneider épate en ordure magnifique), D’argent et de Sang passionne autant dans la description du circuit de blanchiment d’argent que dans la chasse à l’homme et le jeu du chat et de la souris qui alimente une 2ème partie palpitante.
Seule bémol, la sous-intrigue de la fille camée du magistrat interprété par Lindon qui parasite vraiment l’intrigue.
Mis à part cet écueil très pardonnable, D’argent et de Sang est à la hauteur de la réputation forgée par son diffuseur. Une grande série Canal.

TRUE DETECTIVE – NIGHT COUNTRY (HBO Pass Warner) – 15/20

La série troque la moiteur de la Louisiane pour l’enfer glacé de l’Alaska.
Aussi sombre qu’intrigante, l’enquête revient aux sources de la série anthologique en faisant se répondre un crime sordide, les mythologies de la région et les us et coutumes des autochtones.
La mise en scène est pointue, très graphique lorsqu’elle évoque les meurtres et anxiogène quand elle plonge le duo d’enquêtrice dans l’action. Elle parvient parfaitement à imprimer une signature unique à cette nouvelle saison tout en capitalisant sur un duo puissant et complémentaire, avec une Jodie Foster royale en flic abîmée et vacharde.
Une jolie renaissance pour la franchise.

ESCORT BOYS S01 (Prime Video) – 13/20

On pouvait craindre un nouveau Plan Cœur, mais Escort Boys s’élève assez nettement au dessus de la série Netflix.
Son accroche est, admettons-le, un peu putassière et la série tient largement sa promesse de (jolis) corps masculins dénudés. Mais elle dépasse son simple statut de série sexy en misant sur une mise en scène chiadée, capitalisant sur les superbes paysages de Camargue et une BO franchement bien choisie. Au delà des situations invraisemblables, les personnages sont attachants et le propos gentiment militant. Les courts épisodes sont rythmés, les dialogues souvent réussis et drôles, c’est fun et cul, mais surtout la série questionne intelligemment la virilité en 2024, tout en mettant en avant le(s) désir(s) féminin(s).

Cinéma | LE MOLIÈRE IMAGINAIRE – 13/20

De Olivier Py
Avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac

Chronique : Le Molière Imaginaire nous plonge au cœur du théâtre du Palais-Royal (ou du moins une version fantasmée de celui-ci) le 17 février 1773 pour vivre les deux dernières heures de la vie de Molière à travers un long (faux) plan-séquence foisonnant. C’est une expérience hybride que nous offre Olivier Py, aussi cinématographique que théâtrale, aussi triviale qu’onirique. Alors qu’il joue Le Malade Imaginaire pour la dernière fois, Jean-Baptiste Poquelin passe de la scène aux coulisses où il va errer entre fantasmes, rêveries et très concret héritage. C’est toute la vie de l’auteur qui est condensée sur ces courts moments, certains factuels, d’autres imaginés ou extrapolés. L’occasion pour Pi d’évoquer la bisexualité supposée du dramaturge en offrant les deux plus belles partitions à son amour passé, Madeleine Béjar, interprétée royalement par Jeanne Balibar lors d’un court mais émouvant interlude, et son amour présent, incarné par l’impudente et ambitieuse jeunesse du Baron.
Sa mise en scène est outrancière, virtuose et novatrice dans sa manière de faire voyager sa caméra. Elle s’engouffre dans les coulisses, descend sous la scène par une trappe, s’élève dans les loges par divers escaliers, scrute l’orchestre et passe en revue une foule enthousiaste.
Il révèle dans le public un bestiaire de personnages aussi grotesques que truculent dont émergent trois vieilles femmes surpoudrées jacassant telles les pythies de ce petit monde. Le plan est construit pour donner l’illusion d’être filmé d’une seule traite, passant du lumineux au crépusculaire, saisissant tout ce qui agite la pysché de Molière à ce moment-là, la transmission, l’héritage, la jalousie aussi. Et ça parle aussi, beaucoup. Un texte souvent ardu, parfois maladroit dans sa volonté de coller au style de Molière, mais illustrant ses rencontres en songe ou en chair et en os. Plus souvent en chair d’ailleurs, la réalisation de Py étant très charnelle. Mais toujours marquée par l’attachement viscéral du dramaturge à sa condition de comédien.
L’exercice est riche, très référencé (je dois en avoir 10%), très stimulant mais aussi trop long et un peu épuisant. Ses auteurs, ses acteurs viennent du théâtre et ça se voit. Malgré le du plan-séquence, Py n’échappe pas au piège du théâtre filmé, ce qui peut être excluant pour une partie du public.
Mais Le Molière Imaginaire est aussi et surtout une déclaration d’amour au théâtre, et sans doute un peu plus que ça. Une profession de foi.

Synopsis : Paris, 17 février 1673.
Comme tous les soirs, Molière monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer Le malade imaginaire.
Ce sera sa dernière représentation.

Cinéma | LA ZONE D’INTÉRÊT – 16/20

De Jonathan Glazer
Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus

Chronique : La Zone d’intérêt se doit d’être découvert au cinéma pour apprécier sa sidérante puissance de suggestion. Pas tant pour l’image, bien que sa mise en scène soit brillamment clinique, mais surtout pour le travail sur le son et le hors-champ du réalisateur, qui fait du film de Jonathan Glazer une expérience sensorielle glaçante. On sait. On sait ce qui se passe de l’autre côté du mur.
Ce dispositif radical, cette volonté de confronter le quotidien ordinaire et petit bourgeois de la famille Höss aux cris et aux coups de fusils qui s’échappent des camps amplifie l’horreur et la stupéfaction qui saisissent ses spectateurs.
La Zone d’intérêt est une expérience inconfortable, c’est certain. Glazer joue sur le malaise pour impliquer, faire réagir et questionner. Comment ne pas être glacé d’effroi en regardant ces officiers nazis évoquer autour d’un café la commande d’un nouveau four plus performant ? Ou prévoir de rassurer les grands industriels allemands en leur garantissant que la main d’œuvre ne sera pas toute gazée ? A quel moment un cerveau humain vrille-t-il et choisit-il d’ignorer sciemment l’abominable génocide qui se déroule à quelques mètres ? A quel moment accepte-t-on l’inacceptable ?
En mettant au premier plan la petite vie tranquille des Höss et au second les cheminées d’Auschwitz, Glazer illustre l’inimaginable et démontre qu’il est toujours possible. Ces gens ne sont pas nés fous, ce ne sont pas des psychopathes. Pourtant ils ont adhéré à une idéologie monstrueuse, participant sciemment à l’industrialisation de la mort ou en en profitant largement. A travers l’exemple de cette famille, La Zone d’intérêt donne des clés pour l’expliquer. Ils sont nourris par le jeu de la promotion sociale. Les velléités d’opposition ou de rébellion sont tuées dans l’œuf par la promesse de plus de responsabilités, de plus d’argent ou d’un statut social plus prestigieux. Le personnage de Sandra Hüller en est la plus effroyable illustration. Sourire aux lèvres, elle s’auto-proclame reine d’Auschwitz, et n’envisage pas de quitter cette maison qui correspond à tout ce dont elle a toujours rêvé et même au-delà.
C’est vraiment ce dont il est question ici, de cette avidité la plus crasse et la plus lâche qui peut pousser des personnes lambda à adhérer aux mécanismes de déshumanisation les plus abjects. C’était le cas dans les années 40 au moment le plus sombre de notre histoire moderne, mais le phénomène n’est pas si différent lorsque le profit et l’enrichissement personnel poussent aujourd’hui l’ultra-capitalisme à ignorer des vies humaines détruites (en vrac les scandales sanitaires de la crise des opioïdes ou de l’eau empoisonnée aux Etats-Unis, le médiator ou les algues vertes en France… )
La Zone d’Intérêt est un film rare, aussi important que difficilement supportable, qui, par sa singularité formelle offre une nouvelle vision de la Shoah, réactivant le nécessaire devoir de mémoire tout en questionnant par écho notre société, lui conjurant de faire en sorte que l’histoire ne se répète jamais. On y pense abasourdi sur son siège un fois la lumière revenue. Et longtemps après aussi…

Synopsis : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Séries | LOVE & DEATH – 15/20 | THE GILDED AGE S02 – 14/20 | WHAT IF..? S02 – 08/20

LOVE & DEATH (Canal+) – 15/20

D’un fait divers effroyable, David E. Kelly (Ally McBeal, Big Little lies…) tire une série parfois désopilante. En prenant le parti pris de développer ses personnages en profondeur avant que le drame ne survienne, Love and Death parvient à happer son spectateur et à la garder constamment en alerte sur 7 épisodes. C’est aussi la série d’une grande comédienne, Elizabeth Olsen. Elle est d’autant plus impressionnante qu’elle construit très progressivement son personnage, entre égoïsme, folie et trauma, tout en gardant en permanence une part de flou sur ses réelles intentions. Le procès est passionnant, rythmé par la très amusante rivalité entre le juge et l’avocat de Candy. Dans des décors et des référence 70’s impeccables, Love & Death parvient à trouver l’équilibre délicat entre le sordide et l’humour, ce qui n’est pas la moindre de ses réussites.

THE GILDED AGE S02 (HBO Pass Warner) – 14/20

The Gilded Age confirme être la digne héritière de Downton Abbey.
Reconstitution remarquable d’un New-York florissant, demeures magnifiques, robes à tomber et, enjeu suprême de cette saison, une place en loge à The Academy of Music, l’opéra de New-York où l’on vient voir pour se faire voir. The Gilded Age s’amuse des rivalités très superficielles entre vieille garde bourgeoise et nouveaux riches sur fond de révolution industrielle, et émeut quand elle évoque les moins nantis. Le cahier charge est respecté à la lettre pour rendre ce soap opera drôle et gentillet aussi addictif que son ainée. Cerise sur le gâteau, Carrie Coon s’impose comme une grande bitchy Queen.

WHAT IF..? S02 (Disney+) – 08/20

Graphiquement toujours intéressant, What If… plonge cependant au niveau des enjeux pour cette 2ème saison, terriblement faibles. Des histoires au mieux sans intérêt, au pire confuses et mal construites, comme une nouvelle preuve que le MCU ne sait plus où il va.
Pénible et dispensable