UNDER THE SKIN – 13,5/20

Under the SkinRéalisé par Jonathan Glazer
Avec Scarlett Johansson

Synopsis : Une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître.

Avis : Ce n’est pas comme si on n’avait pas été prévenus. Under the skin est un film atypique, une expérience sensorielle autant que cinématographique, si bien qu’il aurait autant sa place dans un musée d’art moderne que dans une salle de cinéma. Objet filmique étrange et difficile d’accès, plus intriguant que beau, Under the skin délivre d’entrée des images hypnotiques qu’il couvre d’un son entêtant très travaillé. Le propos est obscur au départ, on ne voit pas très bien où cela va bien nous mener, jusqu’à une scène choquante sur une plage d’Ecosse. Le détachement du personnage de Scarlett Johansson contraste avec l’horreur de la situation. On comprend alors qu’une sorte de prise de conscience va progressivement la gagner, ou du moins un questionnement sur sa propre nature, pour finir par l’éloigner de sa mission.
Dommage que le film traine un peu en longueur, perdant du coup de sa force évocatrice. Un récit un peu plus concentré et tenu aurait sans doute rajouté à la fascination qu’exerce les mystères qui entourent cette extraterrestre, sa chasse initiale (pour qui, pour quoi ?), ses rencontres et sa fuite. Au-delà du film lui-même, il est tout aussi passionnant de voir la façon dont Glazer filme son actrice, qui se met littéralement à nu. L’utilisation de la caméra cachée donne une dimension quasi-documentaire au film dans ses scènes en extérieur (ce n’est pas le moindre de ses paradoxes). Après n’avoir été qu’une voix dans Her, Scarlett Johansson n’est cette fois presque qu’un corps, désirable, sensuelle, sexuelle. Pour autant sa performance ne se résume pas à cette présence charnelle, elle parvient à traduire parfaitement le trouble qui gagne peu à peu son personnage. Pour elle, Under the skin était un choix risqué. Mais son audace ne fait que confirmer quelle grande actrice elle est amenée à devenir.

JERSEY BOYS – 13/20

Jersey BoysRéalisé par Clint Eastwood
Avec Christopher Walken, John Lloyd Young, Francesca Eastwood

Synopsis : Quatre garçons du New Jersey, issus d’un milieu modeste, montent le groupe « The Four Seasons » qui deviendra mythique dans les années 60. Leurs épreuves et leurs triomphes sont ponctués par les tubes emblématiques de toute une génération qui sont repris aujourd’hui par les fans de la comédie musicale…

Avis : Après deux films au mieux décevant (J. Edgar) au pire complétement raté (Au-delà) et une télé-réalité familiale qui écornait sérieusement le mythe, il était légitime de se demander si l’heure de la retraite (bien méritée) n’avait pas sonné pour Clint Eastwood.
Pas tout à fait il semblerait. S’il n’atteint pas la justesse narrative et l’ampleur dramatique de ses plus grands films (Gran Torino, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Iwo Jima et j’en passe), Jersey Boys en a la fluidité, la précision et le classicisme racé et classieux. Surtout, il place ses personnages au cœur du film, leur donne du coffre en les faisant évoluer dans un cadre très précisément dessiné et joue d’une mise en scène astucieuse pour les mettre en valeur, via des apartés face caméra justifiés et une intégration efficace des chansons. Notons également la très bonne idée de garder le cast original de Broadway, garantissant une certaine authenticité.
Il peut paraître étonnant de retrouver Eastwood à l’adaptation d’une comédie musicale, mais le réalisateur a toujours été un grand mélomane, donnant à la musique une place prépondérante dans sa filmographie. En retraçant le parcours de 4 Seasons, il regarde aussi une certaine Amérique dans le rétroviseur, conférant à son film une couleur nostalgique et mélancolique au-delà de la légèreté du genre. Mais s’il convoque le cinéma de Sergio Leone ou Scorsese, c’est pour mieux en donner sa propre version. Si on comprend qu’on navigue dans un environnement mafieux, on ne voit pas le moindre règlement de compte sanglant ni exécution sommaire, les trahisons, les arrangements véreux sont laissés de côté, le réalisateur préférant insister sur la loyauté et la fidélité de ses protagonistes. On est loin du triptyque Sex, Drug & Rock&Roll et du modèle ascension/descente aux enfers propre aux biopics musicaux. Les membres du groupe sont présentés comme des artisans, assez peu portés sur la recherche de la notoriété, mais considérant leur art comme un métier, un moyen de subvenir aux besoins de leur famille. C’est sans doute moins romanesque mais finalement peut-être plus proche qu’on ne croit de la réalité de l’époque pour la plupart des groupes qui se montaient. En toile de fond peut-être, une critique de notre société actuelle et de la quête de la célébrité à tout prix (assez ironique quand on connait les dernières contributions télévisuelles de sa famille).
Cette façade un peu lisse et sage, et un rythme un poil mollasson sont peut-être aussi la limite de Jersey Boys, dont on pourra regretter l’absence de climax dramatiques forts.
Au final, il conserve les qualités et les défauts d’un musical réussi. Sympathique, entrainant et bon enfant, mais pas forcément renversant.

LES POINGS CONTRE LE MURS – 12,5/20

Les Poings contre les mursRéalisé par David Mackenzie
Avec Jack O’Connell (II), Rupert Friend, Ben Mendelsohn

Synopsis : Eric est un jeune délinquant violent prématurément jeté dans le monde sinistre d’une prison pour adultes. Alors qu’il lutte pour s’affirmer face aux surveillants et aux autres détenus, il doit également se mesurer à son propre père, Nev, un homme qui a passé la majeure partie de sa vie derrière les barreaux. Eric, avec d’autres prisonniers, apprend à vaincre sa rage et découvre de nouvelles règles de survie, mais certaines forces sont à l’œuvre et menacent de le détruire…

Avis : Le film de prison est un genre en soi, qui a délivré ces dernières années des films aussi réussis que le chef-d’œuvre de Audiard Un Prophète ou encore l’excellent Dog Pound. Les poings contre les murs est fait du même bois, optant pour un traitement très réaliste de l’univers carcéral et du quotidien des détenus. Apre, nerveux et constamment sous tension, le film de Mackenzie se distingue cependant en choisissant de laisser de côté tout sous-texte politique sur les conditions carcérales, et en préférant se concentrer sur la personnalité d’Eric, un jeune délinquant mineur incontrôlable, boule de violence ingérable, « surclassé » en prison pour adulte malgré son jeune âge. N’ayant comme seul langage que celui des poings et des coups, on le voit se faire sa place et s’imposer aux autres avec une férocité animale. Les poings contre les murs vaut surtout par sa mise en scène, clinique, au plus proche d’Eric, et qui s’accommode parfaitement de l’environnement clos pour créer un climat anxiogène et claustrophobe. Mackenzye est malheureusement bien moins à l’aise avec le pan humain de son drame, et en particulier la façon dont il décrit les relations d’Eric avec son père, les autres détenus et le thérapeute. La dimension émotionnelle du récit est maladroitement abordée, particulièrement lorsqu’on devine un potentiel parcours rédempteur pour Eric. Un poil caricatural et superficiel, le scénario n’est pas vraiment traité avec le même soin que le milieu dans lequel il se déroule. Réaliste donc, mais pas forcément crédible.
Reste des performances d’acteurs dantesques, en particulier celle du jeune Jack O’Donnel, dont le regard bestial et fiévreux embrase littéralement l’écran.

THE HOMESMAN – 13/20

The HomesmanRéalisé par Tommy Lee Jones
Avec Tommy Lee Jones, Hilary Swank, David Dencik

Synopsis : En 1854, trois femmes ayant perdu la raison sont confiées à Mary Bee Cuddy, une pionnière forte et indépendante originaire du Nebraska.
Sur sa route vers l’Iowa, où ces femmes pourront trouver refuge, elle croise le chemin de George Briggs, un rustre vagabond qu’elle sauve d’une mort imminente. Ils décident de s’associer afin de faire face, ensemble, à la rudesse et aux dangers qui sévissent dans les vastes étendues de la Frontière.

Avis : Deuxième film de Tommy Lee Jones en tant que réalisateur, The Homesman confirme qu’il ne s’agit pas d’un simple caprice pour l’acteur. Il y offre une véritable vision et fait preuve d’un indéniable savoir-faire.
Faux western sec et aride, the Homesman sort des sentiers battus en se penchant sur le sort de femmes que le grand Ouest aura usé, lessivé jusqu’à la folie. Un road movie porté par un féminisme à peine déguisé, désacralisant la conquête de l’ouest tout en le magnifiant à travers des plans d’une beauté rugueuse parfois saisissants.
The Homesman est peu aimable et provoquera parfois un réel inconfort. Car Jones ne cherche pas à séduire à tout prix. Mais cela ne signifie pas qu’il manque d’intérêt au contraire. Construit lentement, il gagne en intensité progressivement à mesure qu’on s’attache à ses personnages.
Des personnages traversés d’une grande mélancolie et d’une profonde solitude, incarnant implacablement ce drame dur et sensible qui se fait de plus en plus prenant. Et même surprenant.
Si Tommy Lee Jones sait filmer et se filmer, il donne surtout à Hilary Swank l’occasion de nous rappeler quelle grande actrice elle peut-être. Mue par une détermination butée, animée par une foi aveugle et le regard parcouru par une indicible tristesse, elle incarne une inoubliable Mary Bee.
Une deuxième œuvre sincère et convaincante, à l’image de son auteur.