WHITE BIRD – 13/20

White BirdRéalisé par Gregg Araki
Avec Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni

Synopsis : Kat Connors a 17 ans lorsque sa mère disparaît sans laisser de trace. Alors qu’elle découvre au même moment sa sexualité, Kat semble à peine troublée par cette absence et ne paraît pas en vouloir à son père, un homme effacé. Mais peu à peu, ses nuits peuplées de rêves vont l’affecter profondément et l’amener à s’interroger sur elle-même et sur les raisons véritables de la disparition de sa mère…

Avis : Gregg Araki capte l’essence de l’état adolescent comme personne. Il le prouve une nouvelle fois avec White Bird, qui s’inscrit plus dans la lignée de Mysterious Skin (sans en atteindre sa puissance émotionnelle et sa force narrative), que dans les délires pop de Kaboom ou Smiley Face.
Araki installe ses personnages dans un univers ouaté et codifié mais qu’on devine pullulant de non dits et de frustration. Dans une première partie jonglant habilement entre chronique familiale et amorce d’un thriller fortement sexué, Araki excelle une nouvelle fois à dessiner l’urgence, les désirs et l’ennui adolescent, bien aidé par la performance cristalline et rayonnante de Shailene Woodley. Il crée un halo mystérieux, à la fois dérangeant et excitant, au cœur duquel plane l’ombre instable de la mère, absente et pourtant omniprésente.
Comme souvent dans sa filmographie, le réalisateur refuse toute stylisation excessive. Les coupes sont sèches, les plans simples, seules quelques apartés oniriques ajoutent une poésie teintée de fantastique et alimentent les fantasmes véhiculés par la figure maternelle. La force formelle de White Bird repose essentiellement sur cette délicieuse reconstitution des années 80, qu’une BO impeccable accompagne.
Lorsque le film passe assez clairement du côté du thriller, il perd paradoxalement en mystère, comme si Araki devait se résoudre à faire avancer son histoire. On excusera le dénouement grotesque en soulignant une nouvelle fois la capacité du réalisateur à cerner des personnages en transition. Son acuité habituelle pour dépeindre le passage à l’âge adulte se double ici d’un remarquable portrait de « femme désespérée », qui conservera ses zones d’ombre bien après que les raisons de sa disparation aient été révélées.

FURY – 14/20

FuryRéalisé par David Ayer
Avec Brad Pitt, Shia LaBeouf, Logan Lerman

Synopsis : Avril 1945. Les Alliés mènent leur ultime offensive en Europe. À bord d’un tank Sherman, le sergent Wardaddy et ses quatre hommes s’engagent dans une mission à très haut risque bien au-delà des lignes ennemies. Face à un adversaire dont le nombre et la puissance de feu les dépassent, Wardaddy et son équipage vont devoir tout tenter pour frapper l’Allemagne nazie en plein cœur…

Avis : La guerre dans toute son horreur, dans toute sa violence, sans filtre. Fury n’épargne pas son spectateur et exhibe ostensiblement les atrocités subies par les soldats, aussi bien physiquement que psychologiquement. Le film de David Ayer, chantre d’un cinéma réaliste, est d’une brutalité inouïe. Les balles fusent, la boue déchirée par les obus recouvre des corps déchiquetés, des membres jonchent des terrains martyrisés… Au milieu de ce carnage, des hommes qui n’en sont plus tout à fait tentent d’apporter une justification à ce qui s’apparente plus à un massacre qu’un combat, essaient de se convaincre que la cause est juste. Mais avec le mort qui peut les faucher à chaque instant, ils perdent très vite tout recul et se réfugient dans la haine de l’ennemi pour tenir.
La mise en scène de Ayer, d’une brutalité inouïe, n’a pas d’autre ambition que de traduire cette réalité crasse, sans sous-titres politique ni message humaniste. Le résultat est saisissant. Il filme ces 5 hommes au plus près, utilisant parfaitement l’univers confiné, sale, angoissant du tank pour créer une ambiance claustrophobe qui atteint son paroxysme dans une scène finale épique, anxiogène et suffocante. Intense et terrassant.

MOMMY – 14/20

MommyRéalisé par Xavier Dolan
Avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément

Synopsis : Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d’équilibre et, bientôt, d’espoir.

Avis : Oui, Xavier Dolan peut-être agaçant. Mais Xavier Dolan est génial. Un indéniable surdoué. Il est d’ailleurs peut-être agaçant parce qu’il sait qu’il est génial. Ou pas. Car Xavier Dolan ne fait finalement que traduire à l’écran une culture pop dont il se fait l’exquis porte drapeau, une influence qu’il fait plus que revendiquer, qu’il brandit comme l’insigne de son art baroque. Au fond, il n’y a pas de calcul dans l’œuvre de Dolan. Il filme littéralement ce qu’il a dans la tête. Et comme il se passe beaucoup de chose dans sa tête…
Le jeune réalisateur a conscience de la force de son cinéma, de la puissance émotionnelle et évocatrice d’une chanson éculée sur des images pastels, de l’imaginaire que véhicule un ralenti (il les adore), du choc que peut procurer un changement de plan brutal.
Le malentendu vient sans doute du fait qu’il ne s’excuse pas de faire un cinéma souvent outrancier, parfois kitch, éminemment populaire donc, mais fondamentalement sincère. Ce sont autant de souvenirs et de références qui l’ont marqués qu’il emprunte pour construire ses histoires.
Mommy est donc l’expression des ses influences et de sa singularité, à l’image de ses quatre premiers longs métrages.
Beaucoup l’ont érigé comme le film de la maturité, mais cela fait deux films que Xavier Dolan prouve qu’il a gommé les scories de ses débuts . Laurence Anyways était d’une remarquable concision, d’un esthétisme terrassant et d’une grande sensibilité. Et que dire de l’âpreté et de la complexité de Tom à la ferme ?
Or Mommy retombe parfois dans quelques travers Dolanien, l’hystérie par moments, l’excès mal contenu, des effets qui peuvent apparaître forcés. C’est rare, mais suffisamment présent pour le priver du statut de film total (et Palmable) auquel il aspirait.
Parce qu’au-delà de ça, Mommy est incontestablement un grand film.
Parce qu’il repose sur une idée formelle qui n’a rien d’un artifice.
Parce qu’il met en scène des personnages d’une densité folle.
Parce que leurs interprètes sont monstrueux de charisme.
Parce que Dolan est capable de vous renverser de votre chaise par des fulgurances foudroyantes.
Parce qu’il vous achève avec des uppercuts émotionnels que vous n’aviez pas vu venir.
En limitant l’écran à un carré étriqué, Dolan modifie la perception du spectateur, l’incite à rester avec ses personnages, créant une intimité parfois impudique, mais particulièrement engageante. Et quels personnages ! Si la figure maternelle a toujours été au cœur du cinéma de Dolan, Die (impériale Anne Dorval) en est l’incarnation ultime. A la fois femme indépendante, mère apeurée et amie surprotectrice, elle forme avec son «gars » (Antoine-Olivier Pillon, une révélation) un couple mère-fils fusionnel et vibrant. L’arrivée de la discrète Kira, bien loin de les éloigner, va leur apporter une stabilité, certes fragile, mais qui leur permettra de sortir un peu de la boule de violence dans laquelle ils s’enfermaient, et lui offre à elle un échappatoire à un quotidien plombant, où plane l’absence du fils. C’est une fable filiale et passionnelle que le réalisateur exécute, une œuvre qui ne s’encombre pas du réalisme à tout prix, mais convoque un imaginaire riche et dense, un symbolisme tout aussi évocateur.
Au-delà de la métaphore sur l’enfermement et du repli sur soi, le choix d’un cadre restreint offre de formidables possibilités narratives, dont Dolan se saisit avec gourmandise. Et excès, oui. C’est la limite de Mommy, qui n’atteint pas à mon sens la poésie furieuse des Amours ou de Laurence, même si la puissance de son cinéma reste intacte. Et son talent inattaquable.
Son prochain film sera en anglais. Avec Jessica Chastain. C’est peu dire qu’on a hâte de voir ça.

GONE GIRL – 15/20

Gone GirlRéalisé par David Fincher
Avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris

Synopsis : A l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ?

Avis : David Fincher continue de creuser un ambitieux cinéma de la névrose en se réinventant, en prenant de nouveaux chemins, mais en impressionnant à chaque fois. Gone Girl s’éloigne des univers sombres, glauques et anxiogènes des Seven, Panic Room, Zodiac ou autre Millenium, (si l’on exclue la parenthèse romantico-fantastique Benjamin Button et l’épatante redéfinition du biopic entreprise avec Social Network), tout en en conservant les fondements. Il plante un décor de banlieue américaine lumineusement mortifère où l’on assiste à la déliquescence d’un couple modèle. Ce n’est pas la dernière des apparences qui va tomber.
Fincher nous ballade dans un film gigogne, au genre indéfinissable, à la fois intrigant, haletant, flippant et ludique, où les changements de points de vue sont autant de renversements narratifs inattendus. Gone Girl prend tellement de directions différentes que c’est un petit miracle qu’il conserve sa cohérence de bout en bout. La virtuosité du réalisateur, son incroyable maitrise formelle et son sens du tempo donne du relief et du poids aux faux semblants qui jalonnent un scénario intelligent, parfois vicieux, astucieux, dense et déroutant.
Ça aurait pu être grotesque, c’est fascinant. Parce qu’au-delà du thriller, il dissèque en creux les frustrations du mâle américain inquiet que l’on puisse questionner sa virilité, il trouble l’image de la femme idéale en nous trimballant dans un labyrinthe narratif abyssal. Et couvre d’un voile crasseux la vie un peu trop parfaite de Nick et Amy. Le réalisateur en profite également pour fustiger le cynisme et la légèreté des médias dont la recherche permanente du sensationnalisme ne s’encombre jamais trop de la vérité et du sort de personnes qu’ils mettent en une.
La richesse et la profusion de Gone Girl sont impeccablement contrôlées par la caméra de Fincher, sa mise en scène d’une précision folle n’est jamais ostentatoire, la musique entêtante de Trent Reznor et le jeu tout en subtilité de Ben Affleck et de la formidable Rosamund Pike en sont la parfaite illustration.
Gone Girl ne sera donc pas le film qui ternira l’inégalable filmographie du réalisateur qui ne souffre d’aucun raté et compte certaines des œuvres les plus importantes du cinéma populaire américain contemporain.
Son dernier film ne fait que confirmer qu’il est incontestablement le faiseur le plus constant et le plus brillant d’Hollywood. Rien de moins.