Cinéma | UN AUTRE MONDE – 15/20

De Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon

Chronique : Stéphane Brizé et Vincent Lindon poursuivent leur exploration du monde du travail avec Un autre monde. Contrairement à La loi du Marché et En Guerre, l’acteur n’incarne ni un syndicaliste, ni un travailleur précaire, mais passe de l’autre côté en endossant le costume cravate d’un cadre dirigeant obligé d’appliquer le nouveau plan social d’une direction qu’il ne comprend plus.
Et c’est tout aussi puissant.
De son cinéma social-réaliste quasi documentaire, Brizé décortique les mécanismes avilissants d’un capitalisme inhumain, où les salariés ne sont que des unités de coûts, tout en s’aventurant sur le terrain du drame familial en mesurant l’impact de l’engagement professionnel sur la vie personnelle.
Le réalisateur place sa caméra au milieu d’échanges sidérants, de regards qui vous secouent profondément. Partagé entre la loyauté pour son entreprise à qui il sacrifie tout depuis 10 ans et le reniement de valeurs morales avec lesquelles il pouvait composer jusque-là, Philippe se retrouve pris au piège. Il devient à son tour la victime du cynisme sans visage de grands groupes à la coupe d’actionnaires avides et sans scrupule.
Cela pourrait paraître caricatural, c’est terrifiant de justesse. Jusqu’au discours louvoyant du grand patron américain qui prêche le faux pour savoir le vrai et trancher dans le vif. Glaçant.
Vincent Lindon est le visage tourmenté et inquiet d’Un autre monde. Il est comme toujours formidable, évidement. Ses confrontations avec Marie Drucker, aussi épatante qu’effrayante en PDG française, froide exécutante, sont captivants.
Si Un autre monde appuie un peu trop sur les dommages familiaux collatéraux, Brizé signe un nouveau grand film social et politique. Qui remue et questionne. Et met en colère.

Synopsis : Un cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd’hui exécutant. Il est à l’instant où il lui faut décider du sens de sa vie.

Cinéma | LA VRAIE FAMILLE – 14,5/20

De Fabien Gorgeart
Avec Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati

Chronique : La Vraie Famille est un drame bouleversant qui interroge sur la parentalité et les frontières toujours un peu floues qui entourent le rôle des familles d’accueil. Comment trouver l’équilibre entre donner suffisamment d’amour à un enfant pour qu’il s’épanouisse tout en évitant de trop s’y attacher ?
Le film capture toute la complexité de situations où il faut décider à un instant T quelle sera la meilleure solution pour l’enfant à long terme, ce qui peut conduire à des arbitrages aussi difficiles que douloureux. Pour les familles bien sûr, mais aussi pour les représentants des institutions sociales qui n’ont pas le beau rôle.
La Vraie Famille est bouleversante parce que c’est criant de vérité et traité avec autant de réalisme que de pudeur. C’est aussi bouleversant parce que Mélanie Thierry y est exceptionnelle en mère de substitution tiraillée entre sa mission de famille d’accueil et le lien filiale qu’elle a tissé avec cet enfant recueilli à 1 an et demi. Elle est au diapason d’une distribution d’une justesse remarquable. Il faut souligner d’ailleurs la qualité de la direction d’acteurs de Fabien Gorgeart qui tire de son casting d’enfants des performances d’une rare précision, en particulier du petit Gabriel Pavie qui vous arrachera les larmes d’un simple regard.
Cela joue beaucoup dans la qualité globale de La Vraie Famille, un mélo familiale sobre, émouvant et juste. Un coup de cœur et au cœur.

Synopsis : Anna, 34 ans, vit avec son mari, ses deux petits garçons et Simon, un enfant placé chez eux par l’Assistance Sociale depuis l’âge de 18 mois, qui a désormais 6 ans. Un jour, le père biologique de Simon exprime le désir de récupérer la garde de son fils. C’est un déchirement pour Anna, qui ne peut se résoudre à laisser partir celui qui l’a toujours appelée « Maman ».

Cinéma | THE INNOCENTS – 15/20

De Eskil Vogt
Avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Mina Yasmin Bremseth Asheim

Chronique : Fable surnaturelle tétanisante, The Innocents est le deuxième film d’Eskil Vogt, plus connu pour être le scénariste des films de Joachim Tier, dont Julie en 12 chapitres. Pas étonnant donc que le film explore le mal-être et l’indécision, la quête de soi. L’originalité de The Innocents est qu’il s’intéresse à des enfants. Vogt explore la psyché et les émotions enfantine dans une parabole sombre et funeste teintée de super-héroïsme, qui in fine pose la question du choix entre le bien et le mal.
Dans une cité dortoir de Suède, des gamins aux étranges pouvoirs se lient d’amitié et testent dangereusement leurs limites Exclus ou négligés par le monde des adultes, leurs différences, leur colère et leur ressentiment les font grandir plus vite qu’ils ne le devraient.
Le réalisateur installe d’emblée un malaise diffus. C’est inconfortable et pourtant prenant, malgré la sècheresse de la mise en scène. Quelque chose plane et l’excellent travail sur le son et le hors champ fait qu’on est toujours en alerte. Le calme apparent ne sera interrompu que brièvement mais par des scènes d’une extrême violence.
The Innocent, malaisant et crispant de bout en bout, suggère plus qu’il ne montre et est porté par des gamins aussi exceptionnels qu’intimidants.
Un conte fantastique intime, éprouvant et troublant.

Synopsis : Un été, quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs et jouent à tester leurs limites, loin du regard des adultes. Mais ce qui semblait être un jeu d’enfants, prend peu à peu une tournure inquiétante…

Cinéma | LES VEDETTES – 14/20

Avec Grégoire Ludig, David Marsais, Julien Pestel

Chronique : Deuxième film du Palmashow après un détour dans l’univers singulier de Quentin Dupieux, Les Vedettes se démarque assez nettement de Max et Léon, leur première réalisation, en se rapprochant plus de l’essence des sketchs qui les ont fait connaître. Tout en évitant de tomber dans le piège du film à sketchs justement.
Ils incarnent deux loosers typiques de leurs créations télévisuelles, Daniel, chanteur raté à Haut Potentiel Gros Connard et Stéphane, responsable de rayon dans une chaine d’électro-ménager naïf, zélé et accroc aux crédits, pour construire une comédie sociale pertinente qui égratigne le monde des jeux télévisés et la surconsommation.
Il y a une bonne dose de moquerie, évidemment, mais en déplaçant le curseur du cynisme et de la méchanceté sur les producteurs des émissions ou la patronne de l’enseigne de distribution les deux compères insufflent de la bienveillance à leur récit et finissent comme toujours par célébrer l’amitié.
La sobriété de la mise en scène de Jonathan Barré est une réussite car elle s’efface derrière un univers de banlieue urbaine impersonnelle criant de réalisme avec ses zones industrielles déprimantes et ses pavillons résidentiels tous identiques, que la partition sonore et musicale vient appuyer (Vous ne pourrez pas vous enlever de la tête la mélodie de Simplement Dan…)
Si on ne rit pas forcément à se décrocher la mâchoire, on sourit constamment et on pense beaucoup aux Inconnus, dont le Palmashow se réclame l’héritier à juste titre.
Si Les Vedettes plaira surtout aux aficionados du duo, c’est un deuxième film pensé et construit qui vaut vraiment le détour.

Synopsis : Daniel, un chanteur raté, travaille dans un magasin d’électroménager. Prêt à tout pour rembourser ses dettes et se retrouver sous le feu des projecteurs, il décide d’utiliser Stéphane, un collègue naïf et prétentieux, pour participer à des jeux télévisés. Alors oui tout les oppose, non ça ne sera pas de tout repos, mais Daniel et Stéphane sont plein de ressources…

Séries | HANNA S03 – 14/20 | LOVE LIFE S02 – 14/20 | DEAR WHITE PEOPLE S04 | 11/20

HANNA S03 (Prime Video) – 14/20

Baissé de rideau pour cette excellente série d’action servie par une jeune actrice exceptionnelle (Esme Creed-miles). Violente et sans concession, cette 3ème et dernière saison peuplée d’agents double et riche en trahison offre également une intrigue de cyber-espionnage solide et un bad guy détestable, donc réussi. Une belle fin.

LOVE LIFE S02 (OCS) – 14/20

La première saison qui suivait les péripéties amoureuses de Darby (Anna Kendrick) nous avait séduit. La seconde nous invite à suivre le parcours sentimental de Marcus (William Jackson Harper vu dans The Good Life). Et c’est toujours aussi charmant. Construite autour d’épisodes courts et addictifs, Love Life maintient le suspense sur LA question que l’on se pose constamment : avec qui va-t-il finir.
En ayant comme personnage central un éditeur afro-américain, cette deuxième saison s’avère naturellement plus politique, traitant subtilement de la question raciale aux USA mais sans qu’elle ne vienne cannibaliser le sujet principal de la série, l’amour. Hâte de découvrir la figure de la saison 3.

DEAR WHITE PEOPLE S04 (Netflix) – 11/20

Pour sa dernière saison, Dear White People se mue en comédie musicale tout en articulant son récit entre la continuité temporelle de la saison 3 et des flash forwards. Ça fait beaucoup à la fois et ce n’est pas franchement une réussite. Le rendu est impersonnel et tristounet, le rythme plombé par des numéros musicaux inégaux et les arcs narratifs tous un peu déprimants, aucune histoire ne vient mettre un peu de bonne humeur ou d’humour, contrairement aux autres saisons.
Le propos sur les luttes des minorités racisées et les débats internes au mouvement sur le meilleur forum à adopter sont toujours pertinents, mais ils sont noyés par l’accumulation de concepts qui ont tout de la fausse bonne idée.
Vraiment dommage que la série perde de sa force dans la dernière ligne droite.

Cinéma | ARTHUR RAMBO – 12,5/20

De Laurent Cantet
Avec Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes

Chronique : Laurent Cantet a peu d’équivalent quand il s’agit d’ausculter la société française. C’est toujours très juste, très précis (Entre les murs, L’Atelier, L’emploi du temps…).
En s’emparant de l’histoire de Medhi Meklat, il trouve un matériel riche pour l’analyser à travers le prisme de l’hyper-connectivité de sa jeunesse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette histoire est sujette à débats et soulève des questions, beaucoup de question.
Sur l’anonymat des réseaux sociaux et l’impunité qu’elle confère, sur la liberté d’expression, le droit à l’oubli… Mais aussi et surtout sur la responsabilité des auteurs de ces messages sans nom ni visage et l’interprétation que des personnes qui n’ en n’ont pas les codes peuvent en faire. Le scandale qui éclabousse la carrière prometteuse de Karim m, double fictionnel de Meklat, fait se télescoper l’intention première de celui qui écrit ses tweets scandaleux qu’il veut purement provocateurs, et leur portée sociétale qui exacerbe toutes les tensions qui tendent le débat social. Grisé par le buzz qu’il crée et pris dans un engrenage qui fait que plus les messages sont trashs, plus ça fait marrer et plus ça like, il ne se rend pas compte que certains peuvent les prendre au premier degré.
La mise en scène de Cantet qui choisit d’afficher les tweets sporadiquement est pertinente. Elle crée un malaise palpable dès le départ tout en gardant de la distance. Le réalisateur ne juge pas son anti-héros, il fait un constat clinique et le laisse à ses contradictions.
Les premières minutes qui opposent les débuts glorieux de l’auteur Karim M et l’horreur des tweets d’Arthur Rambo sont ainsi très prometteuses. Malheureusement, le film se met rapidement à tourner en rond dès que la double identité de Karim est révélée.
La hauteur de vue de la réalisation génère peu d’émotion, les enjeux s’effilochent, et on assiste à une succession de scènes dont on peine à voir l’intérêt. Arthur Rambo ne dure qu’1h30, mais il tire sérieusement en longueur… La faute également à un manque d’incarnation et un jeu d’acteurs inégal. Heureusement, le film se rattrape in extremis dans son dénouement, éclair, brutal et cruel.
Mais on a connu Cantet plus inspiré.

Synopsis : Qui est Karim D. ? Ce jeune écrivain engagé au succès annoncé ou son alias Arthur Rambo qui poste des messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux…

Cinéma | ADIEU MONSIEUR HAFFMAN – 14/20

De Fred Cavayé
Avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau

Chronique : Adieu Monsieur Haffman est adapté d’une pièce, et ça se voit.
Mais il est adapté d’une bonne pièce et ça se voit aussi.
Outre la valeur testimoniale du récit et sa force historique, l’intrigue décortique très bien les rouages qui conduisent un homme tout ce qu’il y a de plus ordinaire à commettre des actes odieux et à frayer avec l’innommable.
Mercier n’a rien d’un collabo. Mais il va le devenir parce que l’occupation allemande va lui offrir ce qu’il n’avait jamais eu conscience de désirer. Cette perspective de pouvoir, de confort et d’argent exacerbe ses peurs et ses insécurités au point de l’aveugler sur la portée de ses actes et la radicalité de ses choix.
Fred Cavayer est un excellent réalisateur de thriller (Pour Elle, A bout portant), et il parvient à insuffler une tension propre au genre à son film historique pourtant quasiment exclusivement circonscrit à un appartement et son sous-sol. Par l’utilisation de la musique, d’une caméra qui accompagne ses personnages plutôt qu’il ne les observe et quelques twists scénaristiques, il réussit le transfert des planches au grand écran.
Si le scénario peut sembler excessif par moment, le talent d’acteurs irréprochables le rend parfaitement crédible. Auteuil est comme d’habitude parfait, Sara Giraudeau apporte de la nuance à un rôle sur le papier secondaire, opposant sa douceur et sa fragilité à la rustrerie de Lelouche, intense et convaincant en français moyen dépassé et grisé par ce qui lui arrive.
Classique oui, mais réussi. Du bon ciné à la française !

Synopsis : Paris 1941. François Mercier est un homme ordinaire qui n’aspire qu’à fonder une famille avec la femme qu’il aime, Blanche. Il est aussi l’employé d’un joaillier talentueux, M. Haffmann. Mais face à l’occupation allemande, les deux hommes n’auront d’autre choix que de conclure un accord dont les conséquences, au fil des mois, bouleverseront le destin de nos trois personnages.