LES INFIDELES – 11,5/20

Les InfidèlesRéalisé par Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Emmanuelle Bercot…
Avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Alexandra Lamy…

Synopsis : L’infidélité masculine et ses nombreuses variations, vues par 7 réalisateurs.

Avis : Porté par l’énorme buzz post-Oscars autour de The Artist / Dujardin et par un concept encore une fois original et assez casse-gueule (le film à sketchs), Infidèles était attendu comme une sorte d’ovni exagérément (et donc faussement)  machiste et jubilatoire. On n’y est pas tout à fait et le film a finalement les défauts de ses qualités.  Inégal et manquant de cohérence, il bénéficie cependant d’une réelle qualité d’écriture et d’une efficacité redoutable dans la précision des répliques, certaines étant franchement tordantes.
Mais le concept s’épuise rapidement, victime du côté répétitif qu’induit forcément la présence des deux mêmes acteurs dans chaque sketch. Si Dujardin démontre une nouvelle fois son épatante capacité à interpréter des personnages aussi différents qu’un minable commercial frustré et un séducteur amoral au sourire carnassier, Lelouche a beaucoup plus de mal à renouveler son registre de scène en scène. Son personnage est bon et il le tient remarquablement, mais il varie trop peu dans chaque histoire pour qu’on n’ait pas l’impression de redite.
Sur le contenu qu’on attendait trash, cul et irrévérencieux, c’est en partie convaincant, avec des références évidentes au cinéma de Blier des débuts sans pour autant en atteindre la poésie crasse. Les scénarios ne se veulent pas donneurs de leçons, mais ils le sont forcément, l’accent étant largement mis sur le côté pathétique des ces machos niqueurs compulsifs.
Au final, Les Infidèles reste un film assez potache, parfois limite beauf, plombé par quelques pénalisantes lourdeurs  ou/et longueurs, et manquant clairement d’ambition formelle. On assiste cependant à une salutaire respiration avec le segment de Emmanuelle Bercot dans lequel Alexandra Lamy prouve qu’elle vaut beaucoup mieux que  son statut actuel de « femme de ». Entre nuance, belle autorité et douce fragilité, elle confirme la remarquable impression qu’elle avait laissée dans le très bon Ricky de Ozon.

BULLHEAD – 15/20

BullheadRéalisé par Michael R. Roskam
Avec Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy

Synopsis : Jacky est issu d’une importante famille d’agriculteurs et d’engraisseurs du sud du Limbourg. A 33 ans, il apparaît comme un être renfermé et imprévisible, parfois violent… Grâce à sa collaboration avec un vétérinaire corrompu, Jacky s’est forgé une belle place dans le milieu de la mafia des hormones. Alors qu’il est en passe de conclure un marché exclusif avec le plus puissant des trafiquants d’hormones de Flandre occidentale, un agent fédéral est assassiné. C’est le branle-bas de combat parmi les policiers. Les choses se compliquent pour Jacky et tandis que l’étau se resserre autour de lui, tout son passé, et ses lourds secrets, ressurgissent…

Avis : Ça vous dit un polar rural en flamand sur un trafic d’hormones en milieu bovin ? Dit comme ça, pas des masses, hein…  Sauf que céder à la curiosité pourrait bien vous procurer une de ses bonnes claques cinématographiques qui n’arrivent pas si souvent sur nos écrans.
Car ce Bullhead est d’une rare intensité, jouant à la fois la carte du film mafieux et celle du drame intime, pan tragique que l’on devine en découvrant Jacky. Le récit, tendu, électrique, parfois étouffant, nous tient en haleine jusqu’au plan final, plus accrochés par le parcours de ce personnage sombre et renfermé qui bouffe littéralement l’écran, que par la trame policière un peu confuse.
La réalisation est d’une étonnante maitrise, passant avec une grande facilité de fulgurances poétiques à un réalisme brutal. Elle traduit surtout une fascination pour cet immense corps déformé et massif, la caméra tournant constamment autour de lui, le suivant au plus près dans ses déplacements, captant chaque mouvement de muscle, chaque expression, chaque frustration. On ressent très vite, sans pour autant le comprendre, le malaise qui habite Jacky et qui se lit dans la monstruosité de son apparence. Matthias Schoenaerts prête littéralement son corps au personnage, impressionnant mélange de fragilité et de puissance frustre, que l’on sent en permanence à la limite de l’explosion.
Une découverte assez bluffante.

LA DAME DE FER – 9/20

La Dame de ferRéalisé par Phyllida Lloyd

Avec Meryl Streep, Jim Broadbent, Susan Brown

Synopsis : Margaret Thatcher, première et unique femme Premier ministre du Royaume-Uni (de 1979 à 1990), autrefois capable de diriger le royaume d’une main de fer, vit désormais paisiblement sa retraite imposée à Londres. Agée de plus de 80 ans, elle est rattrapée par les souvenirs. De l’épicerie familiale à l’arrivée au 10 Downing Street, de succès en échecs politiques, de sacrifices consentis en trahisons subies, elle a exercé le pouvoir avec le soutien constant de son mari Denis aujourd’hui disparu, et a réussi à se faire respecter en abolissant toutes les barrières liées à son sexe et à son rang. Entre passé et présent, ce parcours intime est un nouveau combat pour cette femme aussi bien adulée que détestée.

Avis : Ceux qui attendaient de la Dame de fer une biographie ample, précise et sulfureuse, de ses portraits monumentaux de personnages plus grands que nature qui ont marqué l’histoire avec un grand H, ceux là repasseront… Le film manque totalement sa cible en prenant pour angle scénaristique principal la maladie de cette vielle femme qui fut une figure politique majeure du 20ème siècle. Ainsi plutôt que de se concentrer sur l’empreinte laissée par Margaret Thatcher sur son pays et sur le monde, le film préfère nous montrer pendant pratiquement la moitié du film une Thatcher confuse et perdue dans son appartement, discutant avec son défunt mari. Mais le procédé, en plus de rapidement lasser, semble avoir été employé uniquement pour créer artificiellement du pathos et de l’empathie pour la vieille dame, ce qui ne semble pas vraiment le plus approprié pour un personnage aussi controversé que Thatcher.

Et cela d’autant plus que la politique n’est traitée que du bout des doigts, par des sauts dans le passé factuels et superficiels. Oui, Thatcher, était conservatrice, ultra-conservatrice même, le film pouvait difficilement montrer le contraire. Mais il ne va jamais assez loin dans l’analyse comportementale de la dame de fer, son autorité butée, son goût du conflit et son intransigeance qui auront eu des conséquences violentes et dramatiques pour son pays et son peuple (les fermetures de mines, la lutte contre l’IRA, les Malouines….).

Pourtant, la réalisatrice disposait d’un matériel de base d’une richesse inouïe pour développer une fresque  qui aurait capté l’essence d’une époque à travers le parcours de la première femme à atteindre les plus hautes fonctions de l’état britannique. C’est malheureusement loin d’être le cas, d’autant plus que la lourdeur de la réalisation n’aide en rien. Flash back assez laids, «apparitions» peu judicieuses, plans trop appuyés, rythme poussif… Et à se concentrer uniquement sur son héroïne, Phyllida Loyd néglige les personnages secondaires qui auraient pu constituer un formidable contre-poids.

Alors bien sûr il reste Meryl Streep, magistrale. Le plus grande actrice actuelle se fond dans le personnage avec un fascinant mimétisme. Au delà de la prouesse technique, ses gestes, intonations, son allure, tout est d’une perfection et d’une justesse confondante. Son interprétation mérite évidemment un Oscar. Dommage que ce soit pour ce film-là.

CHRONICLE – 14/20

ChronicleRéalisé par Josh Trank

Avec Dane DeHaan, Alex Russell, Michael B. Jordan

Synopsis : Après avoir été en contact avec une mystérieuse substance, trois lycéens se découvrent des super-pouvoirs. La chronique de leur vie qu’ils tenaient sur les réseaux sociaux n’a désormais plus rien d’ordinaire… D’abord tentés d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour jouer des tours à leurs proches, ils vont vite prendre la mesure de ce qui leur est possible. Leurs fabuleuses aptitudes les entraînent chaque jour un peu plus au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Leur sentiment de puissance et d’immortalité va rapidement les pousser à s’interroger sur les limites qu’ils doivent s’imposer… ou pas !

Avis : Chronicle s’inscrit directement dans la lignée du remarquable Cloverfield de Matt Reeves. Le procédé est malin car il place le spectateur au cœur du film en ne montrant a priori que des images captées par une caméra tenue par le personnage principal. Le principe renforce ainsi le pseudo-réalisme de l’arrivée du fantastique dans le réel. Si Cloverfield se tenait stricto sensu à cette contrainte, Chronicle a un peu tendance à louvoyer sur certains plans pour lier le récit (enchainement de plans larges et de gros plans, coupes trop rapides), sans compter la très pratique caméra volante. C’est effectivement un peu moins couillu, mais finalement pas très important et tout aussi efficace.

Les premières minutes du film font un peu peur, nous balançant un cliché certes propre à de nombreuses histoires de super-héros, mais pour le coup grossièrement exposé. Un geek solitaire, introverti et mal dans sa peau, tête de turc de son lycée va faire l’acquisition d’un super pouvoir qui va changer son existence.  Mais de ce cliché va naître un traitement plutôt original, puisqu’on va rapidement s’éloigner radicalement de l’imagerie classique du héros sauveur de la veuve et de l’orphelin. A partir du moment où les trois ados découvrent leur pouvoir, le récit se met habilement en place et devient de plus en plus prenant au fur et à mesure qu’ils le maîtrisent.

Des blagues potaches du début aux premiers dangereux dérapages, la relation entre les trois amis fonctionne parfaitement. C’est à la fois très amusant quand ils testent leurs nouvelles capacités avec l’insouciance de leur âge, et de plus en plus flippant quand ils réalisent que ce pouvoir peut aussi répondre à leurs pulsions destructrices. Ces scènes s’enchaînent efficacement jusqu’à un final bluffant, dont la surprenante intensité nous cloue à notre fauteuil.

Et en jouant comme Cloverfield sur un réalisme factice, le film fonctionne d’autant plus qu’il fait écho à un fantasme qu’on a tous secrètement rêvé d’assouvir… Vous n’avez jamais rêvé de pouvoir voler?

UNE BOUTEILLE A LA MER – 12,5/20

Une bouteille à la merRéalisé par Thierry Binisti
Avec Agathe Bonitzer, Mahmud Shalaby, Hiam Abbass

Synopsis : Tal est une jeune Française installée à Jérusalem avec sa famille. A dix-sept ans, elle a l’âge des premières fois : premier amour, première cigarette, premier piercing. Et premier attentat, aussi.
Après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, elle écrit une lettre à un Palestinien imaginaire où elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine peut régner entre les deux peuples.
Elle glisse la lettre dans une bouteille qu’elle confie à son frère pour qu’il la jette à la mer, près de Gaza, où il fait son service militaire.
Quelques semaines plus tard, Tal reçoit une réponse d’un mystérieux « Gazaman »…

Avis : Si l’ensemble n’est pas toujours tout à fait juste, Une bouteille à la mer ne manque pas de conviction. A travers une intrigue un tantinet naïve, le film aborde peu la complexité du conflit Israélo-palestinien, évitant ainsi tout manichéisme ou parti-pris, mais préfère se concentrer sur la correspondance entre les deux adolescents, entre questionnement, incompréhension, rejet et attirance. Ceci dit, la guerre en reste le décor principal, et leur relation est clairement dictée par la peur et l’angoisse ressenties par les civils de chaque côté de la frontière. La tension n’est jamais occultée, et le film ne tombe pas dans l’angélisme béat. La réalisation est à l’avenant, sobre, pour ne pas dire minimaliste. Mais cet apparent manque d’ampleur est plutôt un atout qui renforce la modestie du message d’espoir et humaniste face à l’absurdité du conflit. Espoir parfaitement traduit par l’interprétation gracieuse et concernée de Agathe Bonitzer et Mahmud Shalaby. Au final, une histoire utile et touchante.

ANOTHER HAPPY DAY – 13/20

Another Happy DayRéalisé par Sam Levinson
Avec Ellen Barkin, Ezra Miller, Kate Bosworth

Synopsis : Lynn débarque chez ses parents pour le mariage de son fils aîné, Dylan. Elle est accompagnée de ses deux plus jeunes fils, Ben et Elliot. La propension de ce dernier à mélanger alcool, drogues et médicaments ne le prive pas d’une certaine lucidité sur la joie des réunions de famille.
Et la réunion, de fait, est joyeuse : grands-parents réac, tantes médisantes, cousins irrémédiablement beauf.
Sans compter le premier mari de Lynn qui arrive flanqué de sa nouvelle femme tyrannique.
Chaque matin annonce décidément un nouveau jour de bonheur.
Une comédie sur des adultes en guerre, des ados en crise et le mariage qui les rassemble tous… pour meilleur et pour le pire.

Avis : Les familles dysfonctionnelles  ont toujours été un terreau fertile pour le ciné indé américain. La smala névrotique dans laquelle se débat Lynn était donc un sujet parfait, duquel Sam Levinson tire un film vif et enlevé. Un jeu de massacre en bonne et due forme, des saillies verbales cyniques et impitoyables, le tableau est à la fois d’une imparable férocité  et particulièrement réjouissant.
Le réalisateur appuie sans doute un peu trop le trait, c’est la limite du film, mais on comprend qu’il n’ait pas voulu se censurer avec cette galerie de personnages tous aussi barrés les uns que les autres. Et cela ne l’empêche pas de délivrer quelques scènes où émergent sincérité et émotion, comme de courtes respirations dans l’hystérie de la réunion de famille.
Si le tout sonne si juste, c’est que l’interprétation est globalement irréprochable. Le trio féminin est parfait (Demi Moore comme on ne l’avait pas vu depuis longtemps, Ellen Barkin émouvante malgré sa bizarrerie buccale et l’effrayante Ellen Burstyn dont le sourire glaçant rappelle l’inoubliable mère junkie de Requiem for a Dream). Mais la véritable star est sans conteste Ezra Miller, formidable gamin d’une aisance et d’un naturel fascinant dans ce rôle d’ado psychotique. Une promesse pour l’avenir (il devrait être Akira live) et l’envie, pour ceux qui ne l’ont pas vu (dont je fais parti), de découvrir  We need to Talk about Kevin où parait-il, il crève l’écran.

DETACHMENT – 13/20

DetachmentRéalisé par Tony Kaye Avec Adrien Brody, Marcia Gay Harden, James Caan

Synopsis : Henry Barthes est un professeur remplaçant. Il est assigné pendant trois semaines dans un lycée difficile de la banlieue new-yorkaise. Lui qui s’efforce de toujours prendre ses distances va voir sa vie bouleversée par son passage dans cet établissement…

Avis : Porté à bout de bras par un Adrian Brody intense, Detachment dresse un état des lieux désabusé et terrifiant d’une jeunesse laissée totalement à l’abandon, sans une once d’espoir pour son avenir. Un anti-Glee en quelque sorte…

Il n’y a apparemment absolument rien à sauver de l’univers dans lequel le professeur remplaçant débarque. Ses collègues sont résignés et isolés, les parents absents et coupables de tous les maux de leur progéniture et les élèves violents, névrosés ou suicidaires. Bref, c’est pas la joie…

Cette misère sociale est perçue à travers les yeux de Henry, lui-même traumatisé par un drame terrible dans son enfance et poursuivi par un Œdipe mortifère. Sans doute est-ce pour cela que l’atmosphère du film est si sombre, parce qu’on voit le monde à travers le prisme d’un homme lui-même profondément pessimiste et désenchanté. La mise en scène va dans ce sens, à la fois très intéressante dans sa variété, mais un peu contre-productive par son ostentation. Le récit est entrecoupé de flash-back et d’interviews, ce qui lui confère un petit air de faux documentaire, ainsi que de passages en animation (plutôt très réussis d’ailleurs). Autre élément très présent, la musique renforce constamment la volonté affichée d’une empathie immédiate pour les protagonistes du drame. Malgré de nombreuses qualités, la réalisation est aussi exagérément appuyée que la vision globale est exagérément sombre.

Si Detachment émerge finalement, c’est essentiellement grâce à l’interprétation habitée et inspirée d’Adrian Brody, dont le regard traduit à la fois une infinie tristesse et un espoir fou.