DOULEUR ET GLOIRE – 15/20

Douleur et gloire : AfficheDe Pedro Almodóvar
Avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia

Chronique : Tout en raffinement et en sobriété, Pedro Almodovar livre son film le plus personnel, le plus doux, avec la délicatesse que son cinéma autrefois excentrique tend à épouser depuis une décennie (à l’exception notable du très mauvais Les Amants Passagers).
Douleur et Gloire frise l’excellence, que ce soit dans sa manière de construire son récit dans l’auto-fiction, genre éminemment casse-gueule, que dans sa direction artistique, chaleureuse et picturale.
Almodovar trimballe son spectateur dans son passé, ses souvenirs, réels ou fantasmés, et ses rêveries créatrices. Sans que les frontières entre eux ne soient jamais vraiment étanches…
Il gratifie son spectateur de plans larges toujours aussi sublimes, de réminiscences lumineuses et de décors chatoyants alors que Salvador se réconcilie progressivement avec son passé.
Douleur et Gloire est un grand film apaisé sur le désir. Le désir de créer qui s’est tari et qu’on tente de ranimer ou de compenser par une addiction nouvelle, le désir à la fois douloureux et réconfortant des passions d’antan…
Les obsessions Almodovariennes sont bien présentes, la fièvre créatrice, l’angoisse du temps qui passe et du corps qui lâche, la figure maternelle tour à tour inspirante et castratrice. Mais la mélancolie à remplacer l’hystérie. Le réalisateur enchaine les moments simples mais bouleversants. Une réconciliation après vingt ans d’une brouille que les égos d’alors n’avait pu surmonter, les retrouvailles nostalgiques et dépassionnées avec un amant qui n’a jamais été oublié, un dessin retrouvé au hasard qui fait renaître la confusion du premier désir charnel … Salvador croise ses fantômes du passé pour mieux trouver la paix.
S’il n’a jamais caché que Salvador était son double fictionnel, Almodovar brouille habilement les pistes et les esprits pour ne jamais totalement se dévoiler. Ce qui fait de Douleur et Gloire certes son film le plus personnel, mais aussi l’un des plus pudique. Son usage de la mise en abîme s’avère de plus en plus maîtrisée, discrète mais omniprésente, entraînant son spectateur dans un grand huit émotionnel.
Almodovar fini par lâcher dans son dernier plan un message d’espoir poignant et s’autorise une déclaration d’amour passionnée au cinéma, à son cinéma.
On la partage entièrement.

Synopsis : Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie de Salvador, un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.

SYBIL – 12,5/20

Sibyl : AfficheDe Justine Triet
Avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel

Chronique : Portrait complexe d’une femme compliquée (et dont la rareté lui confère par conséquent une grande valeur), Sybil marque les retrouvailles précoces entre Justine Triet et Virginie Efira après l’enlevé Victoria.
La réalisatrice intrigue avec une mise en scène troublante, mettant en place une espèce de puzzle aussi bien temporelle que sonore, jouant de flash-backs et de plans muets. Elle met ainsi en exergue les multiples dimensions du personnage de Sybil, sa force et ses failles, donnant l’impression qu’elle est toujours sur un fil, que la maitrise apparente de son quotidien, de la gestion de ses patients, de sa famille, peut se briser à tout moment. On guette le moment où elle finira par perdre pied.
L’arrivée de Margot dans sa vie va être ce déclencheur.
Malheureusement à partir du départ de Sybil sur le tournage, le scénario n’est plus vraiment à la hauteur de ses personnages. Comme s’il devait absolument refléter la confusion qui fait rage dans la tête de son héroïne, quitte à perdre son spectateur. Sybil vire alors au thriller erotico-psychologique assez grossier, faussement provocateur et peu nuancé. Son style narratif un peu surécrit convenait bien mieux à la distance très à propos de sa première partie, plus littéraire.
Reste l’impressionnante performance de Virgine Efira, qui semble tirer le meilleur de ses précédents rôles pour composer magistralement sa Sybil, mélange de douceur, de violence enfouie et de lâcher prise.
A défaut d’un prix d’interprétation cannois, espérons que les prochains César récompense enfin son talent protéiforme.

Synopsis : Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. En plein tournage, elle est enceinte de l’acteur principal… qui est en couple avec la réalisatrice du film. Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement. La parole de sa patiente nourrit son roman et la replonge dans le tourbillon de son passé. Quand Margot implore Sibyl de la rejoindre à Stromboli pour la fin du tournage, tout s’accélère à une allure vertigineuse…

LES CREVETTES PAILLETÉES – 14/20

Les Crevettes pailletées : AfficheDe Cédric Le Gallo, Maxime Govare
Avec Nicolas Gob, Alban Lenoir, Michaël Abiteboul

Chronique : Les Crevettes Pailletées est une comédie enlevée, drôle, à la trame certes peu originale (la rédemption par l’acceptation) mais efficace. L’essence du film populaire. A une exception près, c’est une comédie ostensiblement queer, un feel gay movie assumé, avec son lot de défauts (jeu des comédiens inégal, dialogues parfois assez pauvres) mais pas plus que pour une comédie « classique ». Le scénario finit d’ailleurs par se densifier et s’épaissir après une entame plutôt laborieuse et son pitch prétexte trouve au fil des scènes un peu plus de profondeur. Traversé de punchlines et de répliques savoureusement bordelines mais qui font souvent mouche et parcouru par une BO forcément entrainante (la moindre des choses pour un film queer), Les Crevettes Pailletées vaut mieux que le procès en caricature que certains lui font. Le trait est certes forcé, mais comme dans la plupart des comédies. Surtout le film regarde d’un œil nouveau, conscient et positif la communauté homosexuelle en exposant fièrement sa diversité. Il trimbale un militantisme bon enfant, mais bien visible. Car s’il y a une union et une cohérence dans le combat, les scénaristes n’hésitent pas à pointer du doigts les débats et les contradictions à l’intérieur d’une communauté riche et diverses aux positions parfois très éloignées.
Cette diversité est illustrée par le parcours de chacun de ses membres, pour qui rien n’a jamais été évident, pour qui rien n’est jamais totalement gagné. Ils ont tous une légitimité dans les revendications qu’ils mènent, même si elle s’est construite différemment, même s’ils souhaitent l’exprimer différemment.
La composition très hétéroclite de l’équipe met en exergue la nécessaire question de l’invisibilité, et permet de dénoncer les diverses formes d’ostracisation qui peuvent s’exercer jusqu’au sein même d’un groupe gay : transphobie, follophobie, agisme, dénonciation des modes de vie hétéronormés…
Et les réalisateurs le font avec assez de finesse pour qu’on ne rie pas d’eux mais avec, et qu’un public mainstream prenne conscience de la singularité et la variété d’une communauté dont ils ne présentent qu’une partie, peut-être un peu plus exubérante que la moyenne.
Par son habileté à mêler humour et destins personnels, Les Crevettes Pailletées rappelle ce que les comédies britanniques comme The Full Monty (évidemment) ou Quatre mariages et un Enterrement pouvait offrir de meilleur, la subtilité du jeu britannique en moins peut-être, tout en s’érigeant à juste titre comme manifeste joyeux contre l’homophobie. Une feel good & gay movie réjouissant.

Synopsis : Après avoir tenu des propos homophobes, Mathias Le Goff, vice-champion du monde de natation, est condamné à entraîner « Les Crevettes Pailletées », une équipe de water-polo gay, davantage motivée par la fête que par la compétition. Cet explosif attelage va alors se rendre en Croatie pour participer aux Gay Games, le plus grand rassemblement sportif homosexuel du monde. Le chemin parcouru sera l’occasion pour Mathias de découvrir un univers décalé qui va bousculer tous ses repères et lui permettre de revoir ses priorités dans la vie.

EL REINO – 15/20

El reino : AfficheDe Rodrigo Sorogoyen
Avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Josep María Pou

Chronique : Avec une précision documentaire et un sens du thriller stupéfiant, Rodrigo Sorogoyen dénonce les mécanismes de la corruption politique systémique en Espagne.
Il le fait avec une mise en scène tapageuse, nerveuse, qu’une musique électro accompagne en permanence alors que la caméra ne quitte jamais son anti-héros devenu fusible. Cela ne dénature cependant pas son propos, il le porte au contraire, du moins dans une première partie qui expose les enjeux et les liens entre les (nombreux) protagonistes de l’affaire. En n’adoptant qu’un seul point de vue, et donc en faisant du spectateur le complice de Manuel, El Reino pointe du doigt le système d’avantage que ceux qui y participe, politiques locaux et nationaux, mais aussi journalistes. La rédemption forcée de Manuel, pas très loin d’être une vengeance instinctive, se heurte à une omerta opaque dont il ne soupçonnait pas la dangerosité.
Partant de là, Sorogoyen installe progressivement les conditions d’un thriller anxiogène, de plus en plus intense, sans temps mort, qui va prendre le dessus sur la charge politique, offrant de scènes haletantes jusqu’à un final abrupt qui laisse sans voix.
Antonio de la Torre excelle dans le registre du golden boy promis à un avenir radieux devenu la brebis galeuse du troupeau. Son attitude d’abord assurée laisse la place à une nervosité palpable et son regard effaré passe de la consternation à une détermination quasi suicidaire, entre paranoïa et volonté farouche de ne pas être le seul à tomber.
A l’heure du triomphe du format sériel, il est rassurant et assez enthousiasmant de voir qu’un thriller politique costaud et ambitieux peut encore tenir en 140 minutes sans interruption.

Synopsis : Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu’il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal…

NOUS FINIRONS ENSEMBLE – 12,5/20

Nous finirons ensemble : AfficheDe Guillaume Canet
Avec François Cluzet, Marion Cotillard, Gilles Lellouche

Chronique : Suite pas forcément attendue des Petits Mouchoirs, Nous finirons ensemble réunit cette même bande de potes neuf ans plus tard, encore très marquée par la perte de leur ami Ludo et visiblement en froid avec Max, le personnage acariâtre joué par François Cluzet qu’ils n’ont plus vu depuis 3 ans.
Un point de départ pas forcément folichon que Canet ne fait rien pour alléger. Un malaise s’installe d’emblée entre des personnages tristes et sombres, désabusés.
Le réalisateur semble questionner l’amitié sans réel lueur d’espoir. Il ne s’agit plus vraiment de savoir comment on devient amis, ni comment on le reste, mais pourquoi on continue à se voir lorsqu’on ne l’est plus tout à fait. Un programme pas très réjouissant.
Et il pousse très loin la noirceur de ses personnages, assez inégalement écrits. Max (Cluzet) est devenu la définition de l’expression « la vie lui a roulé sur la gueule », Eric (Lellouche) est devenu un connard arrogant avec le succès, Antoine (Laffite) son assistant un peu stupide corvéable à merci, Marie (Cotillard) compense son absence de but dans la vie en picolant et négligeant son fils et Isabelle (Arbillot) court de plan cul en plan cul pour redécouvrir une sexualité endormie pendant son mariage avec Alex (Magimel), personnage toujours aussi mal écrit, reposant peu habilement sur l’unique ressort de son orientation sexuelle. Le scénario, tout entier tourné vers ses personnages, flirte trop souvent avec les caricatures et abuse des grosses ficelles narratives (le saut en parachute, la sortie en mer).
Les rancœurs, les faux-semblants et les acrimonies sont trop visibles et on se dit que Canet est sans doute allé trop loin dans son opération d’atomisation du concept de la bande de pote.
Et pourtant quelque chose finit par prendre. Dans l’énergie qu’il trouve pour filmer sa troupe, son sens des plans et du montage, le choix des musiques qui les accompagne, sa direction d’acteur, un humour vachard un peu téléphoné mais efficace, Canet parvient à allumer une petite flemme qui décante cette ambiance viciée. L’aigreur s’atténue pour laisser la place à quelque chose de plus tendre, de plus rond qui s’achève sur un sourire qui fait un bien fou.

Synopsis : Préoccupé, Max est parti dans sa maison au bord de la mer pour se ressourcer. Sa bande de potes, qu’il n’a pas vue depuis plus de 3 ans débarque par surprise pour lui fêter son anniversaire ! La surprise est entière mais l’accueil l’est beaucoup moins…
Max s’enfonce alors dans une comédie du bonheur qui sonne faux, et qui mettra le groupe dans des situations pour le moins inattendues.
Les enfants ont grandi, d’autres sont nés, les parents n’ont plus les mêmes priorités… Les séparations, les accidents de la vie… Quand tous décident de ne plus mettre de petits mouchoirs sur les gros bobards, que reste-t-il de l’amitié ?