THE IMMIGRANT – 13,5/20

The ImmigrantRéalisé par James Gray
Avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner

Synopsis : 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance et l’espoir de jours meilleurs. Mais c’est sans compter sur la jalousie de Bruno…

Avis : Fresque tragique empreinte d’un certain classicisme, The Immigrant n’est pas de ces films qui se laissent facilement apprivoiser. Sans fureur ni grandes envolées dramatiques, aux colères contenus et aux sentiments voilés, le nouveau film de James Gray se positionne comme un mélo minimaliste qu’on appréhende progressivement. Simplement sublimé par la mise en scène précise mais discrète du réalisateur et la superbe photographie de Darius Khondji (ah ce dernier plan…), The Immigrant déroule un récit peu spectaculaire parfois un peu bavard et se concentre exclusivement sur le destin de cette femme qui débarque dans un New York crasseux encore en gestation. La reconstitution très réussie de la Grande Pomme n’a encore une fois rien d’ostentatoire, comme si cette histoire pouvait se dérouler à n’importe quelle époque, dans n’importe quel pays.
Le propos politique est présent en fond mais jamais assené, trouvant un écho lointain dans notre société contemporaine (Il se trouvera malheureusement toujours des personnes qui verront dans la misère humaine et le désœuvrement d’autrui un moyen de s’enrichir). Mais ce sont bien les personnages et les sentiments qui les animent qui comptent. Le portrait d’Ewa est particulièrement riche. Apeurée mais jamais totalement soumise, reniant certaines de ses plus solides convictions mais avec toujours dans l’œil un éclat de fierté, refusant d’abdiquer malgré les humiliations et l’avilissement, ce personnage tragique est admirablement porté par Marion Cotillard. L’actrice livre une nouvelle performance totale et éclatante. Au-delà de la prouesse de s’exprimer en polonais, elle offre à Ewa toutes les nuances et l’intelligence instinctive de son jeu, exprimant ce mélange de fragilité et de détermination qui ne la fait jamais se poser totalement en victime. Son face à face avec Joachim Phoenix est d’une brulante intensité, l’acteur n’excellant jamais plus que lorsqu’il interprète des hommes torturés à la noirceur culpabilisatrice.
On pourra reprocher à The Immigrant son manque de souffle, son apparente froideur, mais il a indéniablement du style et laisse, mine de rien, une réelle empreinte. Oui, on se souviendra d’Ewa.

AVANT L’HIVER – 14/20

Avant l'hiverRéalisé par Philippe Claudel
Avec Daniel Auteuil, Kristin Scott Thomas, Leïla Bekhti

Synopsis : Paul est un neurochirurgien de soixante ans. Quand on est marié à Lucie, le bonheur ne connaît jamais d’ombre. Mais un jour, des bouquets de roses commencent à être livrés anonymement chez eux au moment même où Lou, une jeune fille de vingt ans, ne cesse de croiser le chemin de Paul. Alors commencent à tomber les masques : les uns et les autres sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? La vie de Paul et Lucie est-elle celle dont ils avaient rêvé ? Qui ment et qui est vrai ? Est-il encore temps, juste avant l’hiver de la vie, d’oser révéler les non-dits et les secrets ? Où sont les monstres et qui sont les anges ?

Avis : Pour son premier film, l’auteur Philippe Claudel nous avait cueilli à froid avec l’âpre et bouleversant Il y a longtemps que je t’aime. Après un détour par la comédie passé un peu inaperçu (Tous les soleils), il revient avec un drame bourgeois d’une grande élégance et particulièrement solide. Le réalisateur brille dans la caractérisation de ses personnages qu’il croque par petites touches, dévoilant comme si de rien était leurs aspérités, leurs contradictions. Evitant à tout prix le manichéisme, il révèle leurs failles alors qu’approche l’hiver de leur vie, comme l’annonce le titre du film. Il installe une mécanique précise pour décrire comment un grain de sable, en l’occurrence l’irruption du personnage de Lou, va faire voler en éclats les apparences, déterrer les secrets, faire poindre les regrets et les frustrations.
Et cela sans jamais se détourner d’une ambiance feutrée, sans avoir recours à de grands éclats de voix. La mise en scène insiste clairement sur des tons pré-hivernaux, un environnement brumeux et automnal. Claudel filme les extérieurs dans le brouillard ou sous la pluie et les intérieurs éclairés de couleurs chaudes, propices aux révélations. Car si les dialogues sonnent toujours très justes, Claudel n’en oublie pas que le cinéma est avant tout un média d’image, offrant ainsi une réalisation fouillée et subtilement symbolique (les roses qui envahissent le quotidien du couple, les reflets dans les vitres ou les miroirs)
Avant l’Hiver séduit aussi parce qu’il ne nous emmène pas forcément où on l’attend, se parant d’un certain mystère sans que l’on soit tout à fait dans le thriller. Et s’il est formidablement bien écrit, son principal atout reste la force de son interprétation. Claudel peut compter sur ce qui se fait de mieux dans le cinéma français. Daniel Auteuil et Kristin Scott Thomas sont royaux et instillent ce qu’il faut de nuances à leurs personnages, lui perdant pied après cette rencontre inattendue et pris de vertige en regardant en arrière, elle accusant le coup stoïquement, déjà consciente d’être prisonnière de sa maison de verre et de lourds secrets longtemps camouflés. (Soit dit en passant, quel dommage que l’actrice et le réalisateur soient brouillés, leur collaboration a pourtant quelque chose d’évident…. ) A leur côté on découvre avec satisfaction les fêlures du jeu de Leïla Bekhti, on apprécie la solidité de celui Richard Berry.
Philippe Claudel impose son style sans artifice, avec pudeur et modestie, raconte son histoire simplement et nous y embarque avec conviction. On est convaincus.

LES GARÇONS ET GUILLAUME A TABLE! – 14,5/20

Les Garçons et Guillaume, à table !Réalisé par Guillaume Gallienne
Avec Guillaume Gallienne, André Marcon, Françoise Fabian

Synopsis : Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : « Les garçons et Guillaume, à table ! » et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : « Je t’embrasse ma chérie » ; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.

Avis : Touchant, intelligent, sensible, drôle, inventif, impudique, les qualificatifs ne manquent pas pour évoquer le premier long métrage de Guillaume Gallienne.
En adaptant son one man show autobiographique, le comédien fait le choix assumé de ne pas cacher d’où lui vient l’inspiration. Son film ne se contente pas de transposer le spectacle sur grand écran, mais prend la scène comme point de départ pour digresser ensuite vers des passages filmés comme autant d’illustrations de son histoire si singulière. Il opère donc des allers retours fluides entre théâtre et cinéma, chaque univers s’immisçant fréquemment dans l’autre. Procédé ingénieux qui touche à une sorte d’évidence et qui renforce le côté très personnel du projet. Gallienne se met clairement à nu et nous propose son histoire avec une indéniable poésie. La sincérité, l’humour et la finesse avec lesquelles il se raconte désarment toute critique d’égotisme, et ce parce qu’il évoque quelque chose d’assez universel finalement. Certes, il se livre totalement, sans retenu, et intègre forcément ses proches à sa propre introspection ce qui peut interpeller, mais c’est pour mieux exposer le malaise et la recherche d’un personnage qui s’est perdu lui même à vouloir être à tout prix ce que les autres voulaient qu’il soit. Évidemment la particularité de cette histoire est qu’elle raconte un coming out à l’envers, la découverte de son hétérosexualité par un garçon que tout le monde pensait (et que sa mère voulait) homosexuel. Ressort à la fois éminemment comique et dramatique dont Gallienne se sert avec beaucoup d’esprit, d’auto-dérision et de subtilité. Le jeune réalisateur a raison d’insister sur le fait que le sujet n’est pas uniquement le coming out (même si au final il ne peut nier que le film est paradoxalement très gay), car il parle à tout ceux qui ont inconsciemment ou pas suivi un chemin qu’ils n’avaient pas tracé eux-même et se mettent un jour à la recherche de leur propre identité.
Les garçons et Guillaume à table ! mise donc aussi sur une mise en scène maline, fourmillant d’idées et de drôlerie, et qui frôle l’excellence lorsque Gallienne interprète sa mère avec une fascinante audace décomplexée.
Une chose est sûre en tout cas, ce bonhomme déborde de talent.

LA VENUS A LA FOURRURE – 14/20

La Vénus à la fourrureRéalisé par Roman Polanski
Avec Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric

Synopsis : Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…

Avis : Face à face incandescent et sensuel entre un metteur en scène et une actrice arrivée de nulle part, La Vénus à la fourrure installe progressivement un trouble et ambiguë jeu de pouvoir et de séduction, sans qu’on ne sache jamais vraiment quelles sont les intentions et les motivations de chacun. En acceptant de donner sa chance à la mystérieuse Vanda pour interpréter le rôle principal de sa pièce (nommée Vanda également, étrange coïncidence), Thomas va sans s’en douter se mettre en danger. Il va dévoiler bien plus qu’il ne le souhaite des ses propres fantasmes projetés dans son projet, adaptation d’un roman aux origines du sadomasochisme. Et se jeter malgré lui (ou pas) dans la gueule de la louve.
Roman Polanski n’a pas son pareil pour faire d’un huis clos un lieu riche et vivant, et il parvient encore à faire bouger les murs du théâtre dans lequel se passe l’action pour donner corps et chair à cette fascinante mise en abîme. Car outre la confusion de plus en plus forte qui se crée entre les personnages de la pièce et ceux du film, on ne peut pas ne pas aussi y voir la propre réflexion du réalisateur sur la relation entre un pygmalion supposé et son élève, sentiment évidemment renforcé par le faite que Polanski y dirige sa compagne.
Le réalisateur va progressivement effacer la frontière entre réel et fiction, pour terminer dans l’abstraction la plus totale. Une impression de confusion qui n’apporte volontairement pas de réponse claire et ponctue un combat épique et charnel entre Vanda et Thomas, entre provocation et soumission.
Les dialogues sont inspirés, vifs, jouent parfaitement sur l’ambiguïté, fascinent parfois. Emmanuelle Seigner y trouve sans nul doute son plus beau rôle. Magnifique de vulgarité, provocante, (faussement ?) ingénue, elle va se transformer au contact de ce personnage qu’elle semble déjà connaître par cœur, au point d’en devenir inquiétante, menaçante. Ses va et vient entre son personnages d’idiote dévergondée et celui de manipulatrice dominatrice n’en sont que plus savoureux, d’autant plus qu’ils laissent le personnage de Thomas totalement désarmé et interdit. Ce dernier est impeccablement interprété par Matthieu Amalric, qui semble beaucoup s’amuser à faire sombrer son personnage dans l’avilissement qu’il a lui-même créé.
Evidemment, l’ensemble est très théâtral, mais Polanski parvient avec élégance et un talent fou à ne pas verser dans le théâtre filmé. Sa Venus à la fourrure est tour à tour vivace, charnelle, drôle, érotisée, surprenante, subversive, intrigante, effrayante.
Une partition brillante et spirituelle.

CAPITAINE PHILLIPS – 14,5/20

Capitaine PhillipsRéalisé par Paul Greengrass
Avec Tom Hanks, Catherine Keener, Barkhad Abdi

Synopsis : Capitaine Phillips retrace l’histoire vraie de la prise d’otages du navire de marine marchande américain Maersk Alabama, menée en 2009 par des pirates somaliens. La relation qui s’instaure entre le capitaine Richard Phillips, commandant du bateau, et Muse, le chef des pirates somaliens qui le prend en otage, est au cœur du récit. Les deux hommes sont inévitablement amenés à s’affronter lorsque Muse et son équipe s’attaquent au navire désarmé de Phillips. À plus de 230 kilomètres des côtes somaliennes, les deux camps vont se retrouver à la merci de forces qui les dépassent…

Avis : Thriller haletant et nerveux, Capitaine Phillips vous secoue dans tous les sens pendant plus de deux heures, enchaînant les scènes d’action et les moments de bravoure avec une efficacité redoutable. De l’éreintante prise d’otage au dénouement irrespirable, la tension ne retombe jamais et la mise en scène d’une maîtrise affolante de Paul Greengrass plonge littéralement le spectateur au cœur du drame. Sa caméra en prise constante avec un épatant réalisme ne baisse jamais la garde, saisissant au plus près l’affrontement entre l’équipage et les pirates. Le réalisateur semble vouloir revenir au cinéma de ses débuts, une vision très clinique d’évènements ayant marqués l’histoire et hautement dramatiques. Il laisse donc de côté Jason Bourne et nous rappelle au souvenir des brûlants et excellents Bloody Sunday ou Vol 93.
Ce qui frappe également à la vision de Capitaine Phillips, ce sont les efforts de Greengrass pour éviter tout manichéisme. Les motivations des pirates sont clairement dictées par leur condition de vie et leur détermination finit par vaciller au fur et à mesure que la prise d’otage tourne mal. Alors qu’on connait à peu près la fin (Phillips ayant écrit un bouquin, on se doute qu’il survit), la force du film réside justement dans la relation entre Phillips et les pirates. Leurs hésitations finissent par les rendre attachants et humains, en particulier Muse le leader. Le sort de ces derniers devient progressivement l’enjeu principal du final. Le suspense, ce sont eux qui le créent.
Au-delà de sa virtuosité formelle, Captain Philips bénéficie d’une interprétation assez magistrale. Outre l’oscarisable performance de Tom Hanks, volontairement discret et posé pendant les trois quarts du temps pour mieux tout emporter dans une dernière demi-heure dantesque, on est frappé par la partition fascinante et d’une incroyable richesse de Barkhad Abdi, acteur amateur faisant plus que donner le change à la star américaine.
Dans la veine de ses premiers films énervés et rivalisant d’intensité, Paul Greengrass offre une nouvelle décharge d’adrénaline blindée de cinéma. Une certaine vision du cinéma d’action, conscient et inspiré. Comme on l’aime.

IL ÉTAIT TEMPS – 13,5/20

Il était tempsRéalisé par Richard Curtis
Avec Domhnall Gleeson, Rachel McAdams, Bill Nighy

Synopsis : À l’âge de 21 ans, Tim Lake découvre qu’il a la capacité de voyager dans le temps… Lors de la nuit d’un énième nouvel an particulièrement raté, le père de Tim apprend à son fils que depuis des générations tous les hommes de la famille maîtrisent le voyage intertemporel. Tim ne peut changer l’histoire, mais a le pouvoir d’interférer dans le cours de sa propre existence, qu’elle soit passée ou à venir… Il décide donc de rendre sa vie meilleure…

Avis : La comédie romantique anglaise doit beaucoup à l’imagination et au talent de Richard Curtis, initiateur de ses plus belles réussites (4 mariages et un enterrement et Notting Hill comme producteur, Love Actually et plus récemment Good Morning England comme réalisateur). Sans totalement atteindre le niveau de ses prédécesseurs, Il était temps ne dépareille pas et parvient même à surprendre en empruntant une direction inattendue en cours de route.
Jamais embarrassé par un pitch fantastique qui aurait pu facilement être encombrant (jamais facile de garder le fil lorsqu’il s’agit de voyage dans le temps), le réalisateur conserve un rythme soutenu et une écriture rigoureuse tout du long, entre humour so british et émotions contenues. Il cadence également son récit d’une bande-son comme souvent très efficace.
Mais contre toute attente, il opère un virage étonnant à mi-chemin délaissant la traditionnelle love story pour se concentrer sur la force des liens familiaux et de la transmission, traitant en particulier la relation qui unit le héros à son père. Le film y gagne en épaisseur et son propos en profondeur. Ceci dit, le tout reste léger et Il était temps remplit parfaitement son rôle de Feel Good Movie.
L’autre point fort du film, as usual dans les brit com, est son casting sur-mesure. Plus précisément, le pari culotté mais assez génial de faire de Domhall Gleeson un héros de comédie romantique s’avère être plus qu’une réussite. Il y révèle un charme insoupçonnable.
Il était temps s’inscrit donc parfaitement dans la tradition des comédies britanniques au dialogues soignés et où un humour très classe et teinté d’auto-dérision rivalise avec une sincère émotion.
On confirme, la recette fonctionne toujours aussi bien.

INSIDE LLEWYN DAVIS – 15/20

Inside Llewyn DavisRéalisé par Ethan Coen, Joel Coen
Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake

Synopsis : Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961. Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu’un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu’il se crée lui-même. Il ne survit que grâce à l’aide que lui apportent des amis ou des inconnus, en acceptant n’importe quel petit boulot. Des cafés du Village à un club désert de Chicago, ses mésaventures le conduisent jusqu’à une audition pour le géant de la musique Bud Grossman, avant de retourner là d’où il vient.

Avis : D’une classe folle, le nouveau film des frères Coen nous offre un savoureux voyage dans l’Amérique des années 60 et les rades de Greenwich Village, là où naquit la scène folk. Inside Llewyn Davis bénéficie d’un traitement d’une grande sophistication et d’une mise en scène brillante.
Le film baigne constamment dans une ambiance cotonneuse, assez intrigante, qu’illustre une admirable lumière, enfumée et neigeuse. Évidemment, les passages musicaux, intenses et concernés, participent largement à la diffusion de cette poésie un peu cafardeuse, mais souvent émouvante, que dégage le film. Outre un style assez imparable, le film séduit assez immédiatement par ce qu’il questionne sur la frontière tenue entre talent et succès. Llewyn n’a t-il pas eu le soupçon de chance nécessaire pour percer ou n’est-il simplement pas suffisamment doué ? Cette question sans réponse rend le personnage de Llewyn Davis particulièrement complexe et donc attachant. Refusant toute compromission par rapport à son art, il semble se complaire dans une posture d’artiste maudit, ne veut réussir que par ses chansons et semble exiger des gens qui l’entourent qu’ils le comprennent et le soutiennent. A travers le portrait du jeune chanteur, les réalisateurs imposent une évidente réflexion sur le statut d’artiste, la complexité du processus créatif et de sa place dans la société. Oscar Isaac, de tous les plans, interprète avec un incontestable talent et une rare élégance ce looser magnifique, entre résignation désinvolte et prudente arrogance.
La classe, voilà…

QUAI D’ORSAY – 14,5/20

Quai d'OrsayRéalisé par Bertrand Tavernier
Avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup

Synospsis : Alexandre Taillard de Worms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des Lumières : la France.Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares…

Avis : Brillant et bourré d’esprit, Quai d’Orsay nous embarque dans un tourbillon drolatique au cœur d’un ministère des affaires étrangères fantasmé et bouillonnant. Sans temps mort, on suit avec jubilation le parcours d’Arthur, fraîchement embauché auprès du ministre en tant que responsable du «langage» et sa découverte de la technocratie, des arcanes du pouvoir et son désarroi devant la constante insatisfaction de son patron.
Rythmée et d’une précision d’orfèvre, la réalisation intelligente de Tavernier donne à la fois dans le burlesque et le réalisme pour construire un récit hybride, moqueur et instructif. Le réalisateur offre à ce petit bijou de comédie politique sa vision toujours très juste de la société et lui confère une crédibilité inattaquable. Le ton est léger et volontairement dégagé de la réalité, comme pour mieux faire émerger le vrai de cette fantaisie dans les coulisses du pouvoir.
Il n’hésite pas non plus à faire appel à quelques tics discrets comme la split screen ou le running gag (le stabilo, les feuilles qui volent) pour cadencer son propos et lui conférer une tension permanente, un sentiment d’urgence constant.
Entouré du stoïque Niels Arestrup et du dépassé Raphaël Personnaz, Thierry Lhermitte campe un pimpant ministre hyperactif aussi bavard et inspiré qu’aux réactions contradictoires. De loin la meilleure composition de l’acteur depuis le Dîner de cons. L’ensemble du casting est d’ailleurs excellent, à l’image d’une troupe de théâtre homogène, et sert admirablement des dialogues précis, drôles, justes et ravageurs.
Autant dire qu’on ne voit pas passer les deux heures de Quai d’Orsay.

SNOWPIERCER, LE PERCENEIGE – 10/20

Snowpiercer, Le TransperceneigeRéalisé par Bong Joon Ho
Avec Chris Evans, Song Kang-Ho, Ed Harris

Synopsis : 2031. Une nouvelle ère glaciaire. Les derniers survivants ont pris place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s’arrêter. Dans ce microcosme futuriste de métal fendant la glace, s’est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d’hommes entraînés par l’un d’eux tente de lutter. Car l’être humain ne changera jamais…

Avis : Gros morceau de Science-Fiction énervée et brulante, Snowpiercer exploite jusqu’à la lie l’allégorie du train, miroir d’une humanité hierarchisée et foncièrement mauvaise pour asséner un message rendu difficilement audible par un pessimisme plombant et définitif.
Pourtant, la première partie est très engageante, la virtuosité de Bong Joon Ho conférant une vie propre à cet espace crasseux qu’est la queue du Perceneige. Alternant plans fixes et sages pour planter le décor et caméra nerveuse quand commence la révolte, il fait preuve d’un savoir-faire indéniable. Mais cette variété et ce mélange des genres qui fonctionnait si bien dans The Host s’enraille au milieu du récit lorsque les mutins commencent leur violente progression et croisent les nantis, tous forcément dépourvu de libre-arbitre et abrutis par le pouvoir en place. Le réalisateur coréen opte alors pour un cynisme qui ne sied pas vraiment au propos post-apocalyptique de l’histoire et teinte son récit d’un humour de mauvais goût qui culmine dans une laborieuse dernière partie. Symbole de ce décalage malvenu, des personnages manichéens et parfois burlesque, dont le cabotinage peut autant énerver que décrédibiliser l’entreprise globale. On pense à Tilda Swinton, grimée à l’extrême et qu’on croirait sortie d’un mauvais Burton, à Ed Harris, joyeux gouverneur sans scrupule qui cabotine outrageusement ou plus généralement à la catégorisation grossière des différentes «classes » du train, qui frôle la caricature.
Bong Joon Ho tombe dans la surenchère pour éviter la redite (je rentre dans un wagon, je bastonne, je sors, etc…) multipliant les clichés.
Le transperceneige aurait mérité un traitement dramatique plus poussé, plus nuancé, plus sérieux en quelque sorte. Quel potentiel pourtant ! Son sujet est fait d’un bois dont on construit de puissants films de lutte, de révolte populaire, un film qu’on entrevoit dans sa très réussie première partie. Malheureusement, Snowpiercer s’égare ensuite dans une succession d’effets poseurs et ostentatoires et perd le fil du grand film qu’il aurait pu être.
Une vraie déception

THOR, LE MONDE DES TENEBRES – 11/20

Thor : Le Monde des ténèbresRéalisé par Alan Taylor
Avec Chris Hemsworth, Natalie Portman, Tom Hiddleston

Synopsis : Thor : Le Monde des ténèbres nous entraîne dans les nouvelles aventures de Thor, le puissant Avenger, qui lutte pour sauver la Terre et les neuf mondes d’un mystérieux ennemi qui convoite l’univers tout entier… Après les films Marvel Thor et Avengers, Thor se bat pour restaurer l’ordre dans le cosmos, mais une ancienne race, sous la conduite du terrible Malekith, un être assoiffé de vengeance, revient pour répandre les ténèbres. Confronté à un ennemi que même Odin et Asgard ne peuvent contrer, Thor doit s’engager dans son aventure la plus dangereuse et la plus personnelle, au cours de laquelle il va devoir s’allier au traître Loki pour sauver non seulement son peuple et ceux qui lui sont chers, mais aussi l’univers lui-même.

Avis : Divertissement fun mais au scénario bâclé, Le Monde des ténèbres n’apporte pas grand chose de plus au premier volet des aventures du bellâtre au marteau magique, dont la vision très shakespearienne insufflée par Keneth Branagh lui conférait une toute autre complexité. Comme si ce deuxième épisode n’avait d’autre but que de faire patienter les fans jusqu’à Avengers 2 à coups de gros effets spéciaux, de combats homériques et de clins d’œil appuyé à l’univers Marvel. Un bad guy dont on se fout assez largement, une intrigue basée sur une mystérieuse force rouge sortie dont ne sait quel chapeau, on s’ennuie parfois devant ce nouvel épisode, surtout lorsqu’il se déroule dans l’espace. On s’amuse cependant toujours autant lorsque les scènes se passent sur terre, à l’instar de l’origine story (le décalage entre Thor et les terriens est toujours aussi propice à faire sourire), mais malheureusement, ces passages sont trop rares. Ceci dit, ne boudons pas notre plaisir de retrouver Loki, principal intérêt de ce sequel et personnage sans doute le plus intéressant du Marvelverse, ni celui de profiter d’un second degré parfois ravageur et d’un humour bon enfant finalement assez réjouissant.
Une distraction sans surprise, ni bonne, ni mauvaise.