Cinéma | LES OLYMPIADES – 17/20

De Jacques Audiard
Ecrit par Céline Sciamma, Léa Mysius
Avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant

Chronique : Certains films s’imposent à vous immédiatement, comme une évidence. Leur singularité saute aux yeux dès les premières images. Des coups de foudre. Les Olympiades est de ceux-là.
Parce que sa mise en scène charme l’œil, parce que ses dialogues flattent l’oreille, parce que son sujet éveille le sens, parce que ses histoires vous parlent.
Dans ce quartier du 13ème arrondissement de Paris, trois trentenaires, Emilie, Nora et Camille, se cherchent, se croisent, baisent, s’aiment ou pas, s’écoutent ou pas, tout en bataillant avec leurs propres contradictions, leur passé, leur bagage émotionnel, leurs carrières balbutiantes. Et évoluent, changent.
Cela pourrait être lourd, prétentieux et pesant. C’est léger comme tout, sincère et doux.
Jacques Audiard trouve le parfait dosage pour saisir l’ère du temps, capturer l’essence d’une génération mouvante, solitaire et paumée. Epaulé par Céline Sciamma et Léa Mysius, son scénario atteint une qualité d’écriture hors du commun, drôle et vivante.
Cet éclatant noir et blanc beau à tomber rend justice à ses personnages, tout comme l’élégance des mouvements de caméra, la justesse des portraits. Le montage est évidemment irréprochable, rien ne dépasse, il n’y a rien à jeter, tout à du sens. Et la très bonne musique originale de Rone donne parfaitement la cadence à un récit servi par des interprètes exceptionnels. Noémie Merlant est d’un naturel aussi désarmant que l’est sa beauté à l’écran. Makita Samba a la classe absolue, il a une posture, un bagout. Une star. Et Lucie Zhang impose un mélange de force et de vulnérabilité que camouffle une répartie réjouissante (elle est très drôle). Sans jamais surjouer, remarquablement dirigés, ils font vivre leurs personnages avec vérité et intensité. On a qu’une envie, c’est les suivre.
Oui, Les Olympiades dénote dans la filmographie parfaite d’Audiard (il n’a objectivement raté aucun de ses films), peu habitué à la comédie romantique. Ce n’est ni un drame, ni un thriller, et néanmoins il nous tient en haleine avec ces histoires de trentenaires pas si dérisoires.
Les Olympiades est à part donc. Et c’est pourtant l’une de ses œuvres les plus belles.

Synopsis : Paris 13e, quartier des Olympiades. Emilie rencontre Camille qui est attiré par Nora qui elle-même croise le chemin de Amber. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.

Séries | SCHITT’S CREEK (Intégrale) – 18/20 | TED LASSO S02 – 15/20 | CLICKBAIT S01 – 13/20

SCHITT’S CREEK – INTEGRALE (Canal) – 18/20

Coup de foudre improbable et immédiat pour la famille Rose et les habitants de Schitt’s Creek.
Après 2/3 épisodes où l’on se demande un peu ce qu’on regarde, le pitch (une très riche famille new yorkaise se voit ruinée et doit s’installer dans un motel d’une petite ville paumée que le père avait acheté pour la naissance de son fils) prend tout son sens.
C’est toujours drôle, souvent hilarant, mais la série dissimule surtout derrière ces personnages a priori détestables un cœur énorme. La manière dont ils progressent et évoluent d’épisode en épisode est un petit miracle, chaque saison surpasse la précédente.
Le jeu des acteurs est d’une remarquable constance dans l’outrance, ce qui les rend de plus en plus attachants. On est vite accrocs aux francisisme vachards de Moira (irrésistible Catherine O’Hara, la Maman de J’ai raté l’avion). Tous les comédiens sont irrésistibles, d’autant plus qu’ils sont épaulés par des personnages secondaires qui gagnent en importance et en profondeur au fil des saisons.
Ils nous font rire, nous émeuvent (par surprise). On développe pour eux un amour inconditionnel.
I can tell I’m obsessed by this Schitt!

TED LASSO S02 (AppleTV+) – 15/20

Ted Lasso continue de diffuser ses good vibes dans une saison 2 qui voit Ted se mettre un peu en retrait, les relations entre personnages se complexifier, et les rôles secondaires prendre plus de relief. La personnalité de chacun des joueurs s’affine, le couple Roy Kent/ Keeley traite remarquablement bien la difficulté de la vie à deux et Nate, l’ancien assistant timide et réservé, s’avère être le personnage le plus intéressant de la saison à défaut d’être le plus aimable.
Aussi la série aborde des sujets plus sombres, comme la dépression, mais toujours traités avec finesse et bienveillance.
LA valeur sure des séries en cours.

CLICKBAIT S01 (Netflix) – 13/20

Série accrocheuse, basée sur la multiplicité des points de vue, Clickbait crée astucieusement un lien entre chaque épisode (un personnage en arrière-plan d’un épisode sera le protagoniste du suivant) permettant d’avancer dans l’intrigue en apportant un nouvel éclairage tout en maintenant le suspense. Les twists sont nombreux et plutôt bien amenés, dommage que le dénouement soit vraiment bordélique. A force de vouloir surprendre, la résolution est tirée par les cheveux.

Cinéma | LE DERNIER DUEL – 14/20

De Ridley Scott
Par Nicole Holofcener, Matt Damon
Avec Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer

Chronique : Drame médiéval puissant que Ridley Scott, en habitué de fresques historiques, agrémente de scènes de combat brutales et sanglantes, Le Dernier Duel est une fresque moyenâgeuse esthétiquement très convaincante, épique, viscérale et spectaculaire, à la mise en scène ample et rêche. Mais le film s’avère être également une habile dénonciation de la culture du viol, démontant ses mécanismes et abordant la question du consentement dans un environnement machiste et viriliste invisibilisant les femmes. Qu’au 14ème siècle, elles soient réduites au statut de dote ou de génitrice n’est pas une nouveauté, que l’une d’entre elle décide de s’élever contre son agresseur est déjà beaucoup moins commun et cela permet aux scénaristes de faire écho aux récents mouvements de libération de la parole des victimes.
Ce qui fait la singularité du Dernier Duel, c’est sa narration découpée en 3 parties qui épousent chacune le point de vue d’un des protagonistes de ce fait divers remarquablement bien documenté au regard de l’époque où il s’est produit.
Malgré quelques redondances très pardonnables, ce choix narratif se révèle d’une remarquable pertinence. Il met parfaitement en exergue les distorsions entre la réalité et les perceptions individuelles que chacun a de la vérité. Que ce soit vis-à-vis des faits et de leur gravité ou de l’image que les personnages ont d’eux même. C’est particulièrement flagrant pour Jean de Carrouges dont le point de vue est traité en premier. On l’y voit faire preuve de noblesse, de courage, d’autorité et de grandeur d’âme alors que les deux récits suivants le montre limité, rustre, colérique et va-t-en guerre. S’en suit le regard du deuxième homme, Jacques Le Gris, l’agresseur, qui se pare d’un relativisme prompt à entretenir la culture du viol (le fameux « oui mais »..). Mais en terminant par le point de vue de la victime (car le film ne laisse jamais de doute sur la culpabilité de Le Gris), la démonstration prend tout son poids, ultra convaincante, glaçante (dans un tout autre registre, on pense à The Morning Show sur le même sujet) et Le Dernier Duel embrasse toute la complexité d’un sujet ô combien contemporain.
Ridley Scott y décortique des batailles d’égos exclusivement masculins, l’impunité des puissants, le règne du patriarcat qui réduit les femmes au silence. Mais lorsque l’une d’entre elles décide de parler malgré la peur de ne pas être crue, c’est tout un système qui vacille.
Les similitudes avec l’époque que nous traversons ne sont évidemment pas fortuites.
Derrière ses apparats très convainquant de film de chevaliers tout sauf héroïques, Scott livre un étonnant réquisitoire féministe, un grand film de l’ère #metoo au temps du moyen-âge.
Il confirme au passage le talent monstre de Jodie Comer, qu’on aurait pu croire plus embarrassée par l’étiquette laissé par son personnage iconique de Villanelle dans Killing Eve. Pas du tout ! En deux films aux antipodes l’un de l’autre (Free Guy et Le Dernier Duel), elle démontre qu’elle peut naviguer dans bien des registres. Pas un mince exploit et la promesse d’une longue et brillante carrière.

Synopsis : Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France – également nommé « Jugement de Dieu » – entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l’intelligence et l’éloquence font de lui l’un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris – une accusation que ce dernier récuse – elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L’épreuve de combat qui s’ensuit – un éprouvant duel à mort – place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.

Cinéma | JULIE (EN 12 CHAPITRES) – 15/20

De Joachim Trier
Avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum

Chronique: Portrait vivifiant d’une trentenaire indécise, Julie (en 12 chapitres) marque le retour aux sources de Joachim Trier après sa parenthèse américaine (dont j’avais apprécié Back Home).
Dans un style vaporeux, il égrène les états d’âmes changeants de son héroïne en un habile découpage (12 chapitres donc). Ces chapitres sont autant d’étapes au cours desquelles Julie expérimente les différents stades d’un cheminement personnel parfois complexe, balançant entre doutes et exaltation.
La réalisation appliquée et inspirée de Joachim Trier accompagne ce voyage introspectif traversé par des sentiments largement universels. Sa caméra aime alterner entre solides gros plans et des scènes plus instables, au lointain, le flou en arrière-plan. Et qu’est-ce qu’il filme magnifiquement bien Oslo… Il s’autorise même quelques pas de côté poétiques et graciles (comme Julie arrêtant le temps) qui tranchent avec le naturalisme du reste de sa mise en scène.
Julie (en 12 chapitres) baigne dans une douce mélancolie, où les larmes coulent souvent sur des visages souriants, où les sanglots précèdent les rires et inversement. La vérité et la sincérité qui émanent des comédiens les rend familiers, et le récit des amours tortueux de Julie trouve souvent un écho au vécu de chacun.
Prix d’interprétation féminine au dernier festival de Cannes Renate Reinsve est de tous les plans, touchante, vraie, bouleversante. Elle éclaire le film de sa présence piquante et lumineuse et réussit l’exploit de ne pas rendre agaçant ce personnage dilettante particulièrement casse-gueule. C’est évidemment une révélation.
Julie (en 12 chapitres) est un film coup de cœur, bourré de charme, universel sur le fond et audacieux dans la forme. Une romcom moderne et arti qui saisit magnifiquement l’air du temps et les tergiversations d’une génération qui semble avoir grandi trop vite.

Synopsis : Julie, bientôt 30 ans, n’arrive pas à se fixer dans la vie. Alors qu’elle pense avoir trouvé une certaine stabilité auprès d’Aksel, 45 ans, auteur à succès, elle rencontre le jeune et séduisant Eivind.

Cinéma (Prime Video) | LE BAL DES FOLLES – 14/20

De Mélanie Laurent
Avec Mélanie Laurent, Lou de Laâge

Chronique : Avec la délicatesse qui caractérisait déjà ses précédentes mises en scène, Mélanie Laurent livre une fresque féministe et ésotérique d’une saillante intelligence. L’adaptation du roman de Victoria Mass associant esprits surnaturels et psychanalyse lui offre un médium idéal pour construire un récit incisif et émouvant sur la défiance de la France de la fin du 19ème siècle vis à vis des femmes. Elle le fait ostensiblement résonner avec notre époque en s’appuyant sur un biais romanesque pour dénoncer les ravages causés par une société patriarcale principalement mue par des préceptes virilistes.
En présentant les débuts brutaux de la psychiatrie et les expérimentations de Charcot pour traiter la folie et l’hystérie plus particulièrement, Le Bal des Folles s’érige presque en une étude étymologique de la misogynie. Les supplices endurés par ces femmes sont glaçants et traduisent la peur et la haine qu’elles peuvent susciter. Une femme différente ou qui parle un peu trop est vitre qualifiée d’hystérique sous couvert de la recherche médicale, ce qui est bien pratique pour la faire taire… La réalisatrice s’appuie sur le pan mystique de son récit pour faire émerger son propos pamphlétaire.
Le style ampoulé qu’adopte Mélanie Laurent pour ses dialogues peut rebuter mais elle s’en empare avec autorité et assume si bien ce classicisme qu’on y adhère assez rapidement. La reconstitution historique est par ailleurs admirable, reposant sur une image magnifique.
Enfin, elle a trouvé en Lou de Laâge une interprète ensorcelante, d’une intensité bouleversante.
Ce serait vraiment dommage qu’elle ne puisse pas concourir aux César parce que le film est sorti sur une plateforme de streaming…

Synopsis : L’histoire d’Eugénie, une jeune fille lumineuse et passionnée à la fin du 19è siècle. Eugénie a un don unique : elle entend et voit les morts. Quand sa famille découvre son secret, elle est emmenée par son père et son frère dans la clinique neurologique de La Salpêtrière sans possibilité d’échapper à son destin. Cette clinique, dirigée par l’éminent professeur Charcot, l’un des pionniers de la neurologie et de la psychiatrie, accueille des femmes diagnostiquées hystériques, folles, épileptiques et tout autre type de maladies physiques et mentales. Le chemin d’Eugénie va alors rencontrer celui de Geneviève, une infirmière de l’unité neurologique dont la vie passe sous ses yeux sans qu’elle ne la vive vraiment. Leur rencontre va changer leurs destins à jamais alors qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles » organisé tous les ans par le Professeur Charcot au sein de la clinique.

Cinéma | L’ORIGINE DU MONDE – 14/20

De Laurent Lafitte
Avec Laurent Lafitte, Karin Viard, Vincent Macaigne

Chronique : Laurent Lafitte réalise un premier film à son image. Propre sur lui, sophistiqué, malicieux, irrévérencieux, grossier et malaisant. Tout ça en même temps oui.
Son pitch pour le moins déroutant permet d’exposer toute la férocité de son écriture. Des dialogues ciselés, un sens du bon mot faussement élégant et un tempo imparable qui place L’Origine du Monde toujours à la limite sans jamais vraiment la franchir. Lafitte a le don pour dire des saloperies avec une certaine classe.
C’est smart, trash, ça égratigne (et un peu plus) l’image intouchable de l’amour maternel dans un mélange d’euphorie et de gêne assumée. Mais c’est constamment drôle (pour qui adhère à son humour).
Il trouve en Karin Viard une parfaite partenaire. L’acidité du style de l’humoriste se marie parfaitement avec l’abatage comique de l’actrice, les répliques cinglent et l’évidente affinité entre les deux acteurs contamine leurs acolytes, Vincent Macaigne, Hélène Vincent et Nicole Garcia (géniale en 2 scènes). Tous plongent avec un plaisir de sale gosse non feint dans les délires très construits de Laffite.
Car il ne se contente pas de bons mots. Sa mise en scène est élaborée, avec une belle gestion des cadres, qu’il rend de plus en plus instables au fur et à mesure que la situation dégénère. Les quelques scènes de rêve (ou cauchemar plutôt) sont également particulièrement bien travaillées et participent à la bizarrerie globale de l’entreprise.
Une fantaisie absurde et culottée en guise de premier film, un geste qui méritera sans doute à l’avenir un peu plus de consistance mais qui donne déjà un bon petit coup de pied au cul à la comédie française !

Synopsis : Jean-Louis réalise en rentrant chez lui que son coeur s’est arrêté. Plus un seul battement dans sa poitrine, aucun pouls, rien. Pourtant, il est conscient, il parle, se déplace. Est-il encore vivant ? Est-il déjà mort ? Ni son ami vétérinaire Michel, ni sa femme Valérie ne trouvent d’explication à cet étrange phénomène. Alors que Jean-Louis panique, Valérie se tourne vers Margaux, sa coach de vie, un peu gourou, pas tout à fait marabout, mais très connectée aux forces occultes. Et elle a une solution qui va mettre Jean-Louis face au tabou ultime…