GRAVITY – 17,5/20

GravityRéalisé par Alfonso Cuarón
Avec Sandra Bullock, George Clooney

Synopsis : Pour sa première expédition à bord d’une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l’astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu’il s’agit apparemment d’une banale sortie dans l’espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l’univers.

Avis : Difficile de poser des mots sur l’expérience de cinéma assez hors du commun que nous offre Alfonso Cuaron. Le réalisateur mexicain dont l’éclectisme se jauge à l’aune de l’excellence de sa filmographie (le chef d’œuvre d’anticipation Les fils de l’Homme, le meilleur Harry Potter) nous projette littéralement dans l’espace et délivre une claque monumentale, un de ces uppercuts imparables qui impressionne très longtemps la rétine et vous laisse sonné et les jambes coupées une fois les lumières rallumées.
Bien sûr, Gravity est techniquement bluffant, la mise en scène virtuose de Cuaron exploitant la 3D comme rarement pour créer une impression d’immersion totale, renforcée par une bande son sensorielle impeccable. Les scènes en apesanteur, que ce soit dans l’espace ou en cabine, atteignent un tel niveau de réalisme qu’elles en deviennent suffocantes, nerveusement et presque physiquement éprouvantes. Gravity trouve un équilibre presque miraculeux entre une première partie assez clinique se concentrant sur la mission elle-même, avec l’espace comme personnage principal, imposant, majestueux et terrifiant et un deuxième acte qui, s’il recèle toujours une bonne dose de scènes épiques, se veut plus introspectif en nous révélant les failles de Ryan, magistralement interprétée par une Sandra Bullock bouleversante (un oscar, vite).
Car Gravity n’est pas que la vertigineuse et transcendante histoire d’une survie à des milliers de kilomètres au dessus de la terre, le film offre aussi des moments d’une poésie déchirante, qui ne sont pas loin de vous tirer des larmes aussi surprenantes qu’inattendues.
En sortant de la salle, on en vient à souhaiter perdre un instant la mémoire, afin de pouvoir redécouvrir Gravity vierge de toute image. Et se reprendre une claque. Et quelle claque…

9 MOIS FERME – 13/20

9 mois fermeRéalisé par Albert Dupontel
Avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel

Synopsis : Ariane Felder est enceinte ! C’est d’autant plus surprenant que c’est une jeune juge aux mœurs strictes et une célibataire endurcie. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que d’après les tests de paternité, le père de l’enfant n’est autre que Bob, un criminel poursuivi pour une atroce agression ! Ariane, qui ne se souvient de rien, tente alors de comprendre ce qui a bien pu se passer et ce qui l’attend…

Avis : Comédie burlesque, naïve et énervée, 9 mois ferme s’inscrit totalement dans l’esprit du cinéma de Dupontel, avec peut-être l’ajout d’une pointe d’émotion pudiquement dissimulée derrière une critique d’ailleurs pas très subtile du système judiciaire. Mais c’est le style Dupontel, un style assumé, qui fracasse les codes et n’hésite pas franchir les lignes rouges à l’aide d’une caméra vivante et énergique. Ça peut agacer parfois (Enfermé dehors m’a donné de terribles maux de têtes), mais lorsqu’il canalise ses pulsions cartoonesques et que son personnage ne hurle pas à chaque plan, on apprécie véritablement l’humour de l’objet et les audaces scénaristiques. 9 mois ferme recèle quelques formidables moments de folie douce qui alterne avec de coupables trous d’air et de flottements. Mais si le film se distingue du reste de sa filmographie en un point, c’est certainement que Dupontel ne s’octroie pas le premier rôle, mais se met en retrait pour donner à Sandrine Kiberlain l’occasion de confirmer un talent comique assez inattaquable et d’affirmer un jeu d’une drôlerie et d’une précision assez redoutable. La scène où son personnage revit sa nuit d’ivresse vaut à elle seule le déplacement. Une fois n’est pas coutume, on ne regrette vraiment pas de prendre 9 mois ferme.

LA VIE D’ADELE – 16/20

La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2Réalisé par Abdellatif Kechiche
Avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche

Synopsis : À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve…

Avis : Dire que je suis allé voir la Vie d’Adèle avec un certain nombre d’a priori est un doux euphémisme… Encore sous le coup de l’agacement que m’avait procuré l’Esquive (et qui m’avait d’ailleurs largement fait fuir La graine et le Mulet et la Venus Noire), je ne m’attendais certainement pas à ce que tout ce qui m’horripilait dans l’Esquive fonctionne ici presque miraculeusement. J’avais encore de Kechiche l’image d’un réalisateur posant sa caméra au milieu d’acteurs amateurs surjouants ou déjouants, d’actrices poseuses et au taux de crédibilité nul (Sarra Forestier pour ne pas la citer, qui n’a d’actrice que l’intitulé de sa page facebook) et délivrant un pseudo-docu maladroit et biaisé.
Kechiche a-t-il affiné sa méthode, allégé son propos ? Est-ce le refus cette fois-ci de céder à toute démagogie qui donne à La vie d’Adèle cette force incontestable?
Toujours est-il que ce film m’a fait découvrir un cinéma naturaliste bouleversant, touchant une certaine vérité. Que l’héroïne soit homosexuelle importe surtout dans la première partie du film, chronique d’une découverte de soi et d’une homosexualité qui amplifie forcément considérablement le trouble adolescent. Mais la vie d’Adèle est bien plus que l’histoire d’un coming out, finalement anecdotique. C’est une fresque intime d’une incroyable acuité, une histoire d’amour passée aux rayons X et qui atteint une forme d’universalité du sentiment amoureux. Dire qu’il est homo ou hétéro n’est pas vraiment pertinent ici, la vie d’Adèle évoquera à chacun quelque chose de familier.
La caméra de Kechiche capte beaucoup de choses simples, de sentiments fugaces, révèle sur le visage de ses actrices le désir, la passion, l’admiration, la cruauté de la trahison. Le réalisateur décoche certains plans d’une grande puissance cinématographique et fortement évocateurs.
Il filme surtout son actrice principale avec voracité et iconise instantanément Adèle Exarchopoulos en héroïne romanesque et charnelle dont la bouche, qu’il scrute en permanence et sous tous les angles, est le symbole évident. Car la Vie d’Adèle est aussi l’avènement spontané d’une extraordinaire actrice, d’une justesse rare et fiévreuse, dont l’intensité électrise le film.
La vie d’Adèle, malgré ses immenses qualités, n’est cependant pas dépourvue de petites mais regrettables scories. Le film s’étire inutilement, et certaines scènes auraient mérité de ne pas passer le stade de la table de montage. Ce défaut est sans doute la conséquence d’un autre, la complaisance parfois trop appuyée avec laquelle Kechiche filme ses actrices, s’attardant parfois lourdement sur les visages, les corps, les silhouettes, appuyant un propos qui n’en avait pas forcément besoin. On pense évidemment aux scènes de sexe qui, si elles sont nécessaires pour illustrer le feu qui habitent les deux jeunes femmes, n’ont franchement aucunement besoin de s’étendre sur près de 10 minutes. On ne reviendra pas sur la polémique qui a entouré la sortie (la fin justifie-t-elle les moyens ?), c’est un autre débat, mais on ne peut totalement occulter que cette insistance toujours à la limite finit par desservir le film.
Ceci étant dit, ces réserves pèsent bien peu au regard de l’incroyable énergie qui parcourt la Vie d’Adèle et de la densité peu commune que cette histoire offre au monde. Et au risque de se répéter, au regard de la divine révélation qu’est Adèle Exarchopoulos.
Oui, la Vie d’Adèle est formidable.

PRISONERS – 15/20

PrisonersRéalisé parDenis Villeneuve
Avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Viola Davis

Synopsis : Dans la banlieue de Boston, deux fillettes de 6 ans, Anna et Joy, ont disparu. Le détective Loki privilégie la thèse du kidnapping suite au témoignage de Keller, le père d’Anna. Le suspect numéro 1 est rapidement arrêté mais est relâché quelques jours plus tard faute de preuve, entrainant la fureur de Keller. Aveuglé par sa douleur, le père dévasté se lance alors dans une course contre la montre pour retrouver les enfants disparus. De son côté, Loki essaie de trouver des indices pour arrêter le coupable avant que Keller ne commette l’irréparable… Les jours passent et les chances de retrouver les fillettes s’amenuisent…

Avis : Après le remarquable et remarqué Incendies, Denis Villeneuve confirme avec Prisoners qu’il est un redoutable storyteller. Avec un sens du récit et du rythme incontestable, le réalisateur Québécois nous plonge dès les premières scènes dans un thriller étouffant, créant d’emblée un suspense qui vous prend à la gorge et vos scotche à votre siège. L’écriture ciselée du scénario offre en outre une brillante étude de caractères, faisant de Prisonniers autant un drame familial qu’un polar noir. Le réalisateur s’approprie totalement le contexte d’une Amérique en crise, économique et sociale, où la paranoïa guette. Et peu importe si, comme pour Incendies, le fin mot de l’histoire est un poil décevant , Prisoners nous aura suffisamment tenu en haleine et offert une telle dose de cinoche qu’on lui pardonnera très facilement ce petit écueil. Car la tension ne retombe jamais, appuyée par une réalisation discrète mais pas moins efficace. Il n’y a pas de gras dans la façon avec laquelle Villeneuve raconte le drame et la chasse au monstre. Les fausses pistes se succèdent intelligemment mais modestement, le scénario évitant tout twist ostentatoire qui lui aurait fait perdre de sa force. Tout est savamment orchestré pour nous embarquer dans l’intrigue et créer une empathie avec les personnages. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça fonctionne. On est physiquement mal devant l’écran, aussi bien face à la violence physique et psychologique à laquelle on assiste, que face aux enjeux moraux qui se jouent devant nos yeux. Parce que si le thriller est aussi réussi, c’est que le scénario offre aux acteurs des rôles en or, des personnages forts et imprégnés d’une réalité crasse, lourde, suffisamment ambigües pour intriguer sans être trop tordus pour conserver un nécessaire réalisme. En père vengeur et désespéré, Hugh Jackman livre sans doute son interprétation la plus puissante, brute et sincère, parcourant le film les dents serrées et les sanglots refoulés dans la gorge. En face, le toujours parfait Jack Gyllenhaal donne fort bien le change avec un rôle ingrat de flic désabusé. Le reste du casting est au diapason, même le généralement très irritant Paul Dano, étonnant de sobriété en suspect numéro 1.
Prisoners atteint ainsi le délicat et rare équilibre entre thriller haletant et drame familial poignant. Et Villeneuve de confirmer qu’il est un réalisateur à suivre. Ça tombe bien, son prochain film Enemy (avec encore Gyllenhaal dans un double rôle), est déjà prêt.