GRÂCE À DIEU – 16/20

Grâce à Dieu : AfficheDe François Ozon
Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud

Chronique : Grâce à Dieu est une œuvre testimoniale aussi poignante que pertinente, un tour de force qui sans être à charge pour la religion catholique et ses pratiquants dont la foi est toujours respectée, n’en est pas moins accablant pour le clergé et sa hiérarchie.
François Ozon, dans sa réalisation la plus sobre mais aussi la plus puissante et la plus évocatrice à ce jour, propose son point de vue sans colère, avec calme, autorité et responsabilité. C’est ce qui frappe le plus dans Grâce à Dieu, une détermination et une clarté absolu dans son message. Ils savaient. Tout le monde sait, maintenant il faut rendre compte de ses actes.
La mise en scène discrète mais millimétrée du réalisateur agit comme un révélateur. Sur des destins brisés, des vies bousillées et une omerta répugnante que cristallise la ville de Lyon, aussi belle que puritaine. Elle stigmatise de manière très juste (je peux témoigner) et factuelle le milieu bourgeois catholique lyonnais, expose ses contradictions et son hypocrisie. Mais elle met aussi en valeur la magnifique cité des lumières.
En alternant dans sa narration la neutralité épistolaire des victimes récitant en off leurs correspondances avec les représentants du diocèse, et l’émotion brute de confessions coup de poing, Ozon équilibre parfaitement un récit clinique, sans voyeurisme, mais éclairé par une humanité réconfortante.
Chaque portrait, incarné par des acteurs investis, est d’importance égale, traité en fonction des différents parcours et des choix de chacun. Des trajectoires abîmées qui se rejoignent dans une lutte commune avec une constante, la libération de la parole comme catharsis, comme clé pour une reconstruction en tant que personne et en tant qu’individu dans un groupe (famille, travail).
A l’image de Spotlight qui usait des codes du thriller pour dénoncer le scandale des prêtres pédophiles aux Etats-Unis, Grâce à Dieu, à sa manière plus feutrée mais tout aussi indispensable, joue un rôle primordial d’éveil des consciences.
C’est impeccable, implacable. Nous saurons le 7 mars prochain si la justice a entendu la souffrance et le besoin essentiel de reconnaissance des victimes du père Preynat en condamnant le cardinal Barbarin pour ses mensonges et son odieux silence. Nous saurons si les choses peuvent enfin changer.

Synopsis : Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi.
Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.

LE CHANT DU LOUP – 13,5/20

Le Chant du loup : AfficheDe Antonin Baudry
Avec François Civil, Omar Sy, Reda Kateb

Chronique : Thriller politico-militaire mettant en scène une armée de sous-mariniers, Le Chant du Loup fait preuve d’une ambition peu commune dans le cinéma français. C’est en effet un genre qu’on a plus l’habitude de voir à Hollywood, bardé de gros moyens (USS Alabama, Octobre Rouge ; K-19) et de clinquantes têtes d’affiche.
Le Chant du Loup et son réalisateur néophyte ne cherchent pas à singer les superproductions américaines mais trouve sa voix entre le spectaculaire des scènes sous-marines et la promiscuité des bureaux ou de l’intérieur des submersibles.
Passé une première partie assez ingrate, alourdie par un jargon technique imbitable, le Chant du Loup se révèle progressivement aussi divertissant qu’haletant, surtout lorsque le film se dirige à nouveau vers les fonds marins après un intermède trop long et franchement faible sur la terre ferme. Dès que les protagonistes replongent, c’est presque un nouveau film qui commence, un grand thriller sous-marin claustro aux enjeux géopolitiques dramatiques. Car lorsque la situation devient réellement critique et que chaque décision s’avère cruciale, le récit monte en pression et le film prend une toute autre envergure. S’appuyant sur les rapports humains qu’il a pu construire au préalable le scénario offre un climax anxiogène et oppressant dans sa dernière heure redoutablement efficace à défaut d’être totalement crédible.
Il est cependant dommage que la plupart des dialogues soient inaudibles, défaut assez paradoxal quand on sait l’importance du son dans cette histoire. On peut aussi reprocher à la distribution, pourtant impressionnante, d’être assez inégale (Omar Sy miscast en contre-emploi et Kassovitz moins à l’aise qu’en agent double de la DGSE). Mais François Civil est épatant. Il montre qu’il a les épaules pour porter un film de cette ampleur qui devrait l’installer rapidement parmi les jeunes acteurs qui comptent, à côté de son pote Pierre Niney.
S’il n’est pas sans défaut, Le Chant du Loup est un signal fort et important sur la capacité du cinéma français à produire un cinéma de genre généreux et ambitieux. Le pari est gagné, et c’est très positif.

Synopsis : Un jeune homme a le don rare de reconnaître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire français, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or.
Réputé infaillible, il commet pourtant une erreur qui met l’équipage en danger de mort. Il veut retrouver la confiance de ses camarades mais sa quête les entraîne dans une situation encore plus dramatique.
Dans le monde de la dissuasion nucléaire et de la désinformation, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engrenage incontrôlable.

LA FAVORITE – 13/20

La Favorite : AfficheDe Yórgos Lánthimos
Avec Olivia Colman, Rachel Weisz, Emma Stone

Chronique : La Favorite subvertit avec un plaisir non feint les codes des films d’époque en costume. Entre décalage et anachronisme, c’est le terrain de jeu classieux, grotesque et extravagant idéal pour la mise en scène sophistiquée de Yorgos Lanthimos. A base d’amples et frénétiques mouvements de caméra, d’un jeu de lumière élaboré et d’une jolie photographie, il capte avec audace les jeux de pouvoir et de séduction dans cette monstrueuse cour d’Angleterre du début du 18ème siècle. Il la revisite à sa sauce à travers des plans toujours très recherchés, parfois provocateurs, et des dialogues crus et grivois.
Mais le cœur de La Favorite, c’est ce savoureux et cruel triangle amoureux qui se joue devant nous. Pour s’attirer ou conserver les faveurs de la reine Anne, tous les coups sont permis : manipulations, mensonges, sexe, alliance politique. Le machiavélisme à son sommet.
Olivia Colman campe magistralement une monarque colérique et tyrannique, Emma Stone régale en fausse ingénue intrigante et vicieuse et la lumineuse Rachel Weiss émerveille en favorite délaissée, furieuse d’avoir baissé sa garde et avide de revanche.
Sans elles, ce petit jeu de massacre n’aurait certainement pas le même éclat.
Car malheureusement, La favorite est trop long d’au moins une demi-heure, et s’essouffle lorsqu’il n’a plus grand-chose à dire. Le final aurait pu être macabre et crépusculaire, il s’étend lentement sur la même petite musique vacharde, mais à vide. Dommage, car 1h30 durant, c’était très réjouissant.

Synopsis : Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Lady Sarah gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill, arrive à la cour, Lady Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin.

VICE – 15/20

Vice : AfficheDe Adam McKay
Avec Christian Bale, Amy Adams, Steve Carell

Chronique : Vice est une satire politique féroce et acerbe, un portrait au vitriol de celui qui aura su à grands coups de manœuvres politiques machiavéliques transformer le poste anecdotique de Vice-Président des Etats-Unis en celui de l’homme le plus puissant du pays (et donc de la planète).
Comme il l’avait fait pour illustrer brillamment la crise des subprimes dans l’excellent The Big Short, Adam McKay fait appel aux ressorts de la comédie et de la farce pour appuyer sa démonstration. A la fois divertissant et éclairant, Vice nous apprend beaucoup sur les arcanes du pouvoir américain et les failles dans lesquelles Dick Cheney s’est engouffré avec une gloutonnerie et une ambition monstrueuse.
Ce n’est certainement pas le premier film à décortiquer la perversité et le cynisme du monde politique, mais Vice se distingue par la vitalité de sa mise en scène, sa malice, son ton léger et humoristique qui bien loin de passer pour de la futilité crédibilise avec force le travail d’investigation et amplifie le sentiment de consternation. McKay joue du double sens, du off, innove sur la forme, détourne des images, utilise habilement la vivacité du montage pour faire passer ses messages (géniale idée de faux générique au milieu de film). Fascinant et glaçant. Ainsi même si on sait maintenant qu’il n’y a jamais eu d’arme de destruction massive en Irak, on assiste ébahis aux manœuvres d’un homme pour créer le vide autour de lui, s’appuyer sur un système nécrosé et imposer une guerre absurde sans autre but que de servir ses intérêts politiques et financiers. Avec comme conséquence bien réelle l’émergence de Daesh, comme la guerre américaine en Afghanistan à la fin des années 70 avait créé Ben Laden.
L’interprétation massive de Bale, monstre de cynisme et impressionnant de mimétisme avec l’ancien VP, le place idéalement dans la course à l’Oscar, l’académie raffolant des biopics et tout ce que ça signifie en grimage et performance over the top. Mais il serait presque éclipsé par Amy Adams, qui tout comme son personnage tire son partenaire masculin vers le haut. A eux deux, ils sont la parfaite illustration du couple politique arriviste à l’ancienne, manipulateur et peu scrupuleux, que rien ne semble pouvoir arrêter.
Passionnant, édifiant et éloquent

Synopsis : Fin connaisseur des arcanes de la politique américaine, Dick Cheney a réussi, sans faire de bruit, à se faire élire vice-président aux côtés de George W. Bush. Devenu l’homme le plus puissant du pays, il a largement contribué à imposer un nouvel ordre mondial dont on sent encore les conséquences aujourd’hui…

DRAGONS 3 : LE MONDE CACHÉ – 15/20

Dragons 3 : Le monde caché : AfficheDe Dean DeBlois

Chronique : Dragons 3 : Le Monde Caché clos magistralement la trilogie de Dean DeBlois amorcée il y a 9 ans avec la rencontre entre Harold, fils du chef d’un village de vikings chasseurs de dragons et Krokmou, un Furie Nocturne.
Son ampleur, son ambition visuelle, et l’exceptionnelle cohérence dramaturgique de cette saga l’impose comme une référence dans le monde de l’animation qui aura rarement vu s’exprimer autant de maturité dans l’élaboration de séquelles. Le Monde Caché brasse comme ses prédécesseurs des notions aussi essentielles que la tolérance, le sacrifice et la réconciliation tout en y ajoutant la responsabilité et une certaine idée d’inéluctabilité. Parce que Dragons fait grandir ses personnages et accompagne leur passage à l’âge adulte en n’hésitant pas à les confronter à des thématique fortes (le deuil, le handicap, l’abandon, le rejet), la saga a peu d’équivalent (à part peut-être Toy Story). Son audace rappelle parfois la brutalité des contes pour enfants, qui les exposent à une réalité souvent bien sombre.
Mais là où Dragons 3 se démarque un peu de ses prédécesseurs, c’est à travers le saut technologique saisissant qu’il réalise. Le niveau de détail atteint des sommets (peau, lumière, eau, feu, cheveux, écailles), et permet aux animateurs de composer avec une richesse visuelle étourdissante.
La virtuosité de l’animation, la beauté des compositions et le niveau de photo-réalisme sont bluffant. Pour autant, ils émanent d’une réelle démarche artistique, nous offrant des tableaux somptueux et des ballets aériens d’une fluidité sidérante.
Tout en capitalisant sur la mythologie entretenue par les deux premiers épisodes et en conservant l’émotion et l’humour qui les caractérisent, Le Monde Caché finit de leur donner un sens en offrant à la saga un dénouement parfait, à la fois grandiose et intime, empreint de mystère et de poésie. Dragons s’achève donc là, sereinement, enserrant une dernière fois notre petit cœur.

Synopsis: Harold est maintenant le chef de Berk au côté d’Astrid et Krokmou, en tant que dragon, est devenu le leader de son espèce. Ils réalisent enfin leurs rêves de vivre en paix entre vikings et dragons. Mais lorsque l’apparition soudaine d’une Furie Eclair coïncide avec la plus grande menace que le village n’ait jamais connue, Harold et Krokmou sont forcés de quitter leur village pour un voyage dans un monde caché dont ils n’auraient jamais soupçonnés l’existence. Alors que leurs véritables destins se révèlent, dragons et vikings vont se battre ensemble jusqu’au bout du monde pour protéger tout ce qu’ils chérissent.

UNE INTIME CONVICTION – 14/20

Une intime conviction : AfficheDe Antoine Raimbault
Avec Marina Foïs, Olivier Gourmet, Laurent Lucas

Chronique : Film de procès intense et haletant, Une Intime Conviction s’appuie sur une mise en scène simple et racée tout au service de son intrigue et de ses acteurs. Il offre en effet une passionnante confrontation entre l’indispensable Marina Foïs, décidemment l’actrice française la plus complète et la plus intéressante des années 2010, et l’énorme Oliver Gourmet, dont la présence à l’écran impressionne franchement. Une Intime Conviction entre par le détail dans les méandres du droit, questionne intelligemment la présomption d’innocence dans le système judiciaire français, oppose justement le doute à la conviction tout en mettant en exergue les ravages de la rumeur.
Extrêmement bien documenté, l’auteur-réalisateur Antoine Raimbault nous plonge dans les méandres du droit pénal français à travers le travail de l’un de ses représentants les plus charismatiques, l’avocat Eric Dupond Moretti. Si l’affaire Viguier est bien réelle et si les procès ont bien eu lieu, Raimbault s’offre un peu de hauteur et de distance en créant le personnage fictionnelle de Nora (essentielle Marina Foïs), lui permettant d’ajouter à la reconstitution historique les ingrédients du thriller, distillant les indices et les révélations avec une précision de métronome.
En guise de démonstration finale, la plaidoirie absolument phénoménale de Gourmet, habité et impressionnant de naturel dans la robe de Dupond-Moretti, saisi et interpelle.
Pour un premier film, nourri et pensé depuis une dizaine d’année, c’est très, très solide.

Synopsis : Depuis que Nora a assisté au procès de Jacques Viguier, accusé du meurtre de sa femme, elle est persuadée de son innocence. Craignant une erreur judiciaire, elle convainc un ténor du barreau de le défendre pour son second procès, en appel. Ensemble, ils vont mener un combat acharné contre l’injustice. Mais alors que l’étau se resserre autour de celui que tous accusent, la quête de vérité de Nora vire à l’obsession.

SI BEALE STREET POUVAIT PARLER – 13,5/20

Si Beale Street pouvait parler : AfficheDe Barry Jenkins
Avec KiKi Layne, Stephan James, Regina King

Chronique : Beale Street est une histoire d’amour magnifique et tragique. L’extrême délicatesse qui la caractérise n’a d’égale que la violence sourde qui s’abat les deux jeunes amants.
Barry Jenkins laisse opérer son talent en livrant une mise en scène minutieuse, à la fois sophistiquée et discrète, élégante mais frontale. Elle a l’évidence d’une œuvre d’art. Il joue sur les flous, les couleurs, les plans serrés, sur une caméra qui enveloppe amoureusement ses acteurs, superbes et émouvants. Vrais. Elle donne de l’ampleur à de petites choses, un regard, des mains qui s’agrippent, un sourire qui se crispe. Un silence. Elle s’habille d’une remarquable composition musicale, alternant cuivres jazzy et cordes mélancoliques.
En misant sur un récit éclaté faisant des aller-retours dans le temps, il fait répondre à la pureté de l’histoire d’amour un propos très politique sur les erreurs judiciaires touchant la communauté afro-américaine. Toujours dans l’épure et l’économie d’effets dramatiques, le réalisateur parvient à tenir son paradoxe et à donner autant de poids à la douceur des sentiments qu’à la rage d’un propos engagé. La beauté de l’amour qui lie Tish et Fonny se heurte à l’injustice profonde qui frappe le couple, symbole des violences que subissent les afro-américains des quartiers défavorisés d’un New York en pleine mutation.
Ça se passe dans les années 70, mais Jenkins fait résonner son film dans notre époque, faisant de l’enfant que porte Tish un protagoniste à part entière, l’héritier de cette histoire. Ce pourrait-être lui, sans doute.

Synopsis : Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d’une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer…