Cinéma – CHALLENGERS – 13,5/20

De Luca Guadagnino
Avec Zendaya, Josh O’Connor, Mike Faist

Chronique : Luca Guadagnino livre une fresque romantico-dramatique moderne, sexy et punchy se déroulant dans le monde du tennis. On y observe les sentiments contrariés et fluctuants animant un triangle amoureux sur une quinzaine d’années.
Appuyée par l’entêtante et formidable partition sonore électro de Trent Reznor et Atticus Ross, sa mise en scène est enlevée et inspirée. On n’a jamais vu le tennis filmé de cette manière, c’est à la fois très réaliste, prenant et extrêmement cinématographique. Brillant.
Au-delà des scènes de sport, Guadagnino capte en dehors des courts les désirs et les lassitudes, la passion et les frustrations. Il y’a une tension sexuelle évidente qui parcourt Challengers, mais qui sert ses personnages et leur évolution. Il retrouve en cela par moment la grâce et la sensualité de Call me by Your Name dans les regards échangés entre ses acteurs.
Zendaya, sublime et resplendissante, fait preuve d’un charisme rare pour une si jeune actrice. Son interprétation toute en nuances entre maitrise et fragilité démontre qu’elle peut jouer tous les sentiments, mais aussi tous les âges. C’est d’ailleurs l’une des prouesses de Challengers, chacun des 3 acteurs est aussi crédible à 18 ans qu’à 35, même sans effets spéciaux. Ce petit miracle joue beaucoup dans la crédibilité du film, très habile dans sa manière de s’appuyer sur une structure en flash-back à rebours et de nous livrer ses secrets au fur et à mesure. Cela aurait pu être très brouillon sans le talent de son fascinant trio d’interprètes, en total alchimie, mais cela s’avère plutôt malin, à l’image de ce final électrique assez génial. Dommage que Challengers ait bien 30 minutes de trop, ce qui dilue un peu autant son intensité que son intérêt.

Synopsis : Durant leurs études, Patrick et Art, tombent amoureux de Tashi. À la fois amis, amants et rivaux, ils voient tous les trois leurs chemins se recroiser des années plus tard. Leur passé et leur présent s’entrechoquent et des tensions jusque-là inavouées refont surface.

Cinéma | CIVIL WAR – 13,5/20

De Alex Garland
Avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny

Chronique : Civil War est l’un des premiers films à évoquer une possible guerre civile aux Etats-Unis, mais sans doute pas le dernier.
Alex Garland abandonne ses thématiques fantastiques pour livrer une œuvre dystopique qui sonne férocement vraie. Il plonge d’emblée son spectateur dans cette Amérique déchirée et l’invite à accompagner son petit groupe de journalistes pour rejoindre Washington et interviewer le Président avant qu’il ne soit trop tard. On ne sait rien du contexte, de l’enchainement des faits qui ont conduit à cette situation extrême. Garland ne nous livre pas les clés du conflit. On a même du mal à identifier les différents camps qui s’affrontent et les motivations de chacun. C’est sa force car cela confère à son film une puissance immersive incomparable, mais aussi sa faiblesse car cela limite forcément son message et sa portée politique.
Alors qu’on prend part à ce road movie et qu’on traverse ce qui reste des Etats-Unis, on découvre l’étendue du conflit, l’ampleur du chaos dans lequel le pays est plongé.
Le réalisateur embrasse le point de vue des reporters de guerre. Dans sa mise en scène d’abord, qu’il fige souvent brievement dans les clichés que prennent les photographes, ou lorsqu’il cherche les plans les plus forts et impactant (il les trouve souvent). Dans son rythme aussi qui traduit l’urgence et le danger permanent. Mais aussi dans la neutralité du point de vue, dont il ne s’écartera qu’une fois pour une scène terrifiante et glaçante d’effroi, d’une violence inouïe qui amorce un impressionnant dernier quart d’heure étouffant et haletant, donnant quelques clefs supplémentaires mais sans tout à fait nous éclairer sur la situation.
Civil War est aussi l’occasion de revoir au cinéma Kirsten Dunst dans un rôle à la hauteur de son talent, elle excelle en reporter de guerre à bout de souffle. A ses côté, un Wagner Moura très loin d’Escobar et tout aussi convainquant et la nouvelle sensation d’Hollywood Cailee Spaeny, qui nous éblouissait dans le Priscilla de Sofia Coppola (qui avait sublimé Dunst dans Virgin Suicide, un passage de témoin comme un symbole).
Alex Garland signe donc un film puissant dans son récit et son exécution mais aussi frustrant par son absence de parti pris.
Civil War est probablement né dans l’esprit de son auteur à force d’entendre cette petite musique qui gagne de plus en plus les plateaux de télévision, en particulier ceux des chaines d’opinion comme Fox News aux Etats-Unis, dont le moteur est d’opposer les gens et les monter les uns contre les autres. Des discours qui commencent à faire leur nid aussi en France dans des émissions de Cnews ou celles d’Hanouna par exemple… Ces genre d’incitation à la haine répétées associées à la vente d’armes légale peuvent former un cocktail explosif… Evidemment, la France n’autorisera jamais la vente libre d’armes à feux… bien sûr que non. Avez vous vu la Fièvre, la dernière série Canal (le même groupe que Cnews et Hanouna)?…

Synopsis : Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.

Séries | LA FIÈVRE – 08/20 | INVINCIBLE S02 – 14/20 | PALM ROYALE – 13/20

LA FIÈVRE S01 (Canal) – 08/20

Terriblement caricaturale, parfois même totalement à côté de son sujet, la Fièvre échoue lourdement à traduire la réalité qu’elle est censée décrire, que ce soit celle d’un club de football pro (surtout) ou celle des médias (tourner chez Canal n’est pas gage de réalisme). C’est d’autant plus frustrant que ses créateurs avaient excellé dans leur retranscription du monde politique dans Baron Noir. Enorme déception donc au regard des précédentes Créations Originales Canal.
Le ton général de la série sonne faux, jusqu’au personnage de Sam, dont l’instabilité mentale liée à son statut HPI (on a compris), le débit de parole et le langage très littéraire ont du mal à convaincre (malgré tout le talent de Nina Meurisse). La série est plus habile quand elle traite des réseaux sociaux, de leur impact social et comment les manipuler. Elle n’hésite cependant pas à enfoncer des portes ouvertes pour rendre compte des luttes d’opinion en ligne qui polarisent la société et exacerbent les crispations communautaires. Mais cette photographie d’une société fracturée et prête à s’embraser, bien que très parcellaire, est intéressant d’un point de vue dramatique, on peut accorder ça à la série. Cette polarisation est incarnée par deux figures féminines située aux extrêmes, Kenza pour les indigéniste (la découverte Lou-Adriana Bouziouane) et la standupeuse Marie Kinsky pour les souverainistes (Ana Girardot, parfaite en simili Marion Maréchal), dont l’inimité avec Sam sert de fil rouge à la série.
Malheureusement, les personnages sont trop grossièrement construits, les dialogues trop écrits et manquant de naturel, le jeu d’acteur trop approximatif et la mise en scène trop quelconque pour compenser un évident manque de moyen (les scène de foule sont vraiment gênantes… )
Le scénario multiplie par ailleurs les invraisemblances, le point d’orgue étant sans doute cette idée de club de Ligue 1 géré en coopérative en mode bisounours (mais le débat final n’est pas mal non plus)… En conclusion, la Fièvre retombe bien vite…
MAIS! (car il y a un mais) … si saison 2 il y a, elle semble se recentrer sur quelque chose de plus solide. Et elle, elle est plutôt prometteuse.

INVINCIBLE S02 (PrimeVideo) – 14/20

Ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver avec tant d’intrigues qui se croisent. Mais le destin de Mark, aka Invincible, et son rapport au père est notre boussole pour se repérer dans cette série super-héroïque singulière, ultra violente mais pas gratuite, marquée par les traumas familiaux et le poids des responsabilités.
Si le rapprochement avec The Boys est évident, Invincible n’a pas son cynisme, elle est moins « fun », délivre plus d’empathie avec ses personnages. Une remarquable série d’animation pour adulte.

PALM ROYALE S01 (AppleTV+) – 13/20

Comédie rétro chic cornaquée par Kristen Wiig, Palm Royale nous plonge avec bonheur et causticité dans l’Amérique chic et bourgeoise des années 70 à Palm Beach, fief des familles aisées de Californie et parfait miroir aux alouettes.
Maxine tente de se faire une place parmi les dames de la haute société de la ville et pour cela doit feindre d’être millionnaire sans avoir un sou, et elle est prête à tout. C’est évidemment un excellent ressort de comédie dont Wiig s’empare avec délectation, bien soutenu par les actrices composant le club des maitresses des lieux où trône Allison Jalley en toute superficialité.
Glamour, piquante et drôle, à défaut d’être particulièrement marquante, Palm Royale a tout pour vous faire passer un bon moment.

Cinéma | UNE FAMILLE – 14/20

De Christine Angot

Chronique : Certes, la portée cinématographique de son procédé narratif alternant archives de films familiaux et entretiens filmés est limitée. Mais Une Famille n’en est pas moins puissant, dérangeant et essentiel.
C’est un film de confrontation. Il est audacieux, thérapeutique pour son autrice sans doute. Et violent, indéniablement.
Christine Angot force littéralement ses interlocuteurs à affronter l’inceste qu’elle a subie et à confronter leur attitude de l’époque.
Est-ce la bonne méthode ? Est-ce que répéter ad nauseam des questions jusqu’à entendre les réponses qu’on attend leur donne autant de valeur que des confessions spontanées ?
Sans doute pas. Mais le procédé rappelle frontalement que le viol bousille profondément et irrémédiablement la vie de la victime, tout comme il ravage son entourage, même (surtout) lorsqu’il s’est enfermé dans le déni. Rien n’est plus comme avant.
Angot est une personnalité clivante, un personnage dur, peu aimable. Malgré le drame abominable qu’elle a vécu, elle suscite peu l’empathie. On pourrait penser que c’est la limite d’Une Famille, c’est au contraire sa force.
Le documentaire touche à l’universalité et son côté forceur amplifie l’urgence et la nécessité de la libération de la parole de la victime.
Avec cet exercice personnel, intime, impudique même, Angot pousse ses proches à regarder l’horreur en face, à verbaliser ce qu’ils se refusaient à voir. Mais au-delà de son cercle proche, elle incite son spectateur et plus encore la société à regarder le mal dans les yeux, à le citer et le dénoncer.
Ce n’est pas agréable. Mais c’est nécessaire. Et ça vous reste dans la tête longtemps après le générique de fin.

Synopsis : L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours.
Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille.

Cinéma | LA PROMESSE VERTE – 12/20

De Edouard Bergeon
Avec Alexandra Lamy, Félix Moati, Sofian Khammes

Chronique : Thriller écologico-politique, La Promesse Verte s’empare du scandale de la surexploitation de l’huile de palme en Indonésie et par extension de la tragique déforestation du pays. Le réalisateur Edouard Bergeon articule son réquisitoire autour de l’histoire de Martin, étudiant idéaliste condamné à mort pour avoir été le témoin de ce qu’il n’aurait pas dû voir.
Bien qu’un poil naïf, le film dénonce efficacement la toute-puissance des lobbys, l’hypocrisie des états, l’avidité meurtrière des grands groupes industriels et les limites de la diplomatie internationale. Il nous rappelle que le combat pour faire primer la sauvegarde de la planète avant les intérêts financiers, s’il n’est pas perdu d’avance, relève encore de l’affrontement de David contre Goliath.
Très bien documenté, La Promesse Verte s’avère être un film dossier sérieux, même s’il a plus de mal à déployer ses arcs dramatiques qui l’encombrent plus qu’autre chose malgré les efforts louables de son duo de comédiens Alexandra Lamy / Félix Moati. Le récit manque d’un peu de souffle pour tout à fait convaincre, mais offre de de très belles images de la jungle de Bornéo, ce qui renforce la cinématographie du projet.

Synopsis : Pour tenter de sauver son fils Martin injustement condamné à mort en Indonésie, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels.

Séries | FELLOW TRAVELERS – 15/20 | MASTERS OF THE AIR – 14/20 | POLAR PARK – 14/20

FELLOW TRAVELERS (Canal +) – 15/20

« Love is dangerous » dit l’affiche de la série. Certainement quand on est queer dans les années 50… Fellow Travelers raconte sur quatre décennies une histoire de l’homosexualité, celle de Hawk et Tim. Les rendez-vous cachés, les soutiens souterrains, les suspicions à réfuter à grand coup de poses viriles, les mariages arrangeants…. Et souvent, lutter contre qui l’on est, trouver des stratagèmes pour être avec celui qu’on aime, parfois le trahir. Et affronter un virus mortel et dévastateur.
Matt Bodmer et Jonathan Bailey incarne ce couple maudit. A la séduction provocatrice et l’arrogante assurance de Bomer répond le charme maladroit de Bailey . L’alchimie est évidente.
Construit en flash-back, Fellow Travelers est éminemment politique (on n’en attendait pas moins du scénariste de Philadelphia), débutant aux premières heures du maccarthysme et se concluant alors que culmine l’épidémie de sida.
Tragique et crue, Fellow Travelers éclaire sur les dégâts effroyables causés par l’homophobie et le sida aux histoires d’amour gay des années 50 aux 80’s. Si elle n’atteint pas l’universalité dramatique d’Angels in America ou la force militante de It’s a Sin, séries de référence sur l’histoire LGBT+, elle n’en est pas moins belle, intense et bouleversante.

MASTERS OF THE AIR (AppleTV+) – 14/20

Apple s’offre avec Masters of the Air une série de prestige produite par Spielberg qui clôt le triptyque sur la 2ème guerre mondiale qu’il forme avec Band of Brothers et The Pacific. La direction artistique est aussi ambitieuse que grandiose et orchestre d’intenses et impressionnantes scènes de combats aériens. Formellement, c’est parfait et Masters of the Air nous immerge littéralement dans la brutalité du conflit et la réalité léthale de la guerre.
Dommage que la série manque un peu d’ampleur dramatique. C’est bête, mais le fait de ne pas pouvoir distinguer les personnages dans leur cockpit avec leur masque crée une distance et rend difficile de s’attacher à chacun deux (d’autant plus que la plupart ont une espérance de vie limitée). Il faut attendre les derniers épisodes pour que Masters of the Air délivre sur le fil du romanesque et de l’émotion. Elle est en tout cas formidablement portée par certains des jeunes loups les plus en vue d’Hollywood.

POLAR PARK (Arte) – 14/20

Série policière atypique, Polar Park est aussi amusante dans son ton qu’efficace dans son exécution. Elle déploie avec énergie une enquête mêlant meurtres et œuvres d’art, lançant ses personnages dans un jeu de piste macabre passionnant, doublé d’une quête personnelle pour l’écrivain en mal d’inspiration joué avec brio par Jean-Paul Rouve. L’ensemble du casting est par ailleurs excellent.
Le cadre enneigé et glacial de Mouthe (village le plus froid de France) rajoute à la singularité de Polar Park, qui mélange humour et whodunit avec une rigueur scénaristique jamais prise à défaut. Seul bémol, le dénouement assez peu surprenant s’étire sur deux épisodes, c’est un peu long. Mais Polar Park est une série française vraiment très recommandable.

Cinéma | PAS DE VAGUES – 13/20

De Teddy Lussi-Modeste
Avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe

Chronique : Seulement quelques semaines après La Salle des Profs, sort sur nos écrans un nouveau film avec comme sujet principal un professeur pris dans l’engrenage infernal de la rumeur. Sans doute parce qu’il est inspiré du vécu de l’auteur/réalisateur, Pas de Vagues m’a semblé plus réaliste, le scénario moins forcé que dans le film allemand. Il souffre parfois des mêmes défauts dans la construction de son crescendo, mais de manière beaucoup moins marquée.
Le mécanisme narratif est le même, un fait anodin (ou du moins que n’importe qui penserait anodin) déclenche une réaction en chaîne qui va conduire le principal protagoniste à une situation invivable. Ici une élève accuse son professeur de harcèlement après qu’il l’a prise en exemple pour illustrer un poème. La réaction taquine de la classe va renforcer la mauvaise interprétation de la part de la jeune fille, entraînant très vite Julien dans un tourbillon absurde entretenu par la rumeur et les bruits de couloir. Livré à lui-même, il se heurte au peu de soutien du système et, forcé à faire son coming-out, à une bonne dose d’homophobie. Il doit en outre faire face à l’indifférence de la police, la mesquinerie voire la malveillance de certains de ses collègues, la lâcheté de sa hiérarchie et l’incompréhension de son entourage. Ne pouvant pas s’expliquer et animé par un profond sentiment d’injustice, le jeune homme perd complétement pied.
Si Pas de Vagues n’est pas exempt de maladresses, il ne sombre pas dans le cliché ni la thèse sociale. Il n’ambitionne pas de dresser un état des lieux de l’éducation nationale et se garde bien de faire de l’histoire de Julien une généralité. Le film évolue ainsi progressivement en un thriller social très efficace principalement construit autour du personnage de Julien, magistralement interprété par François Civil, quitte à éclipser les personnages secondaires.

Synopsis : Julien est professeur au collège. Jeune et volontaire, il essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie.
Ce traitement de faveur est mal perçu par certains camarades qui prêtent au professeur d’autres intentions. Julien est accusé de harcèlement.
La rumeur se propage. Le professeur et son élève se retrouvent pris chacun dans un engrenage.
Mais devant un collège qui risque de s’embraser, un seul mot d’ordre : pas de vagues…