ONLY GOD FORGIVES – 16,5/20

Only God ForgivesRéalisé par Nicolas Winding Refn
Avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas, Vithaya Pansringarm

Synopsis : À Bangkok, Julian, qui a fui la justice américaine, dirige un club de boxe thaïlandaise servant de couverture à son trafic de drogue.
Sa mère, chef d’une vaste organisation criminelle, débarque des États-Unis afin de rapatrier le corps de son fils préféré, Billy : le frère de Julian vient en effet de se faire tuer pour avoir sauvagement massacré une jeune prostituée. Ivre de rage et de vengeance, elle exige de Julian la tête des meurtriers.
Julian devra alors affronter Chang, un étrange policier à la retraite, adulé par les autres flics …

Avis : Only God Forgives a tout du malentendu. Après Drive, magnifique et entêtant western urbain qui iconifiait Ryan Gosling, il était tentant d’attendre de Refn une redite ou du moins une déclinaison de son film phénomène, qui plus est lorsqu’il fait appel à son acteur fétiche. Mais le réalisateur danois en prend le total contre-pied, quitte a désarçonner les adorateurs du chauffeur au blouson au scorpion. On peut être hermétique à cette plongée violente et morbide dans les entrailles de la pègre thaïlandaise. Mais on peut aussi la trouver fascinante et parfaitement exaltante. Parce que, dépouillée de tout artifice mainstream, l’œuvre qui se déroule sous nos yeux est d’une virtuosité affolante, d’une maîtrise formelle qui excite aussi bien la rétine que les oreilles. .
Refn orchestre un ballet macabre hypnotisant au milieu d’un brasier incandescent, chaque scène se dessinant en un tableau d’une richesse ahurissante. Richesse au niveau du traitement de l’image, de la lumière, de l’éclairage, de l’inventivité des plans proposés, dont le montage fige ses personnages en véritables figures mythologiques.
Couleurs chaudes et ralentis d’une maîtrise absolue, caractéristiques du style du réalisateur, agacent ou épatent, mais sont la marque d’un artiste singulier et foutrement talentueux. Cette claque visuelle se pare d’une bande son exigeante et imparable, d’une part grâce au score de Cliff Martinez, d’autre part grâce au travail sur les sons qui la rythment comme autant de coups de couteau (bruits de pas, de flingues, de poings, d’un sabre qui fend l’air…). Rarement on aura vu une telle cohérence esthétique dans un film.
Oui c’est sanglant, mais pas complaisant. La caméra ne s’appesantit jamais sur la brutalité, qui est souvent hors champ d’ailleurs.
On est immergé dans un cauchemar mutique, celui qui ravage la psyché dérangée de Julian, un cauchemar peuplé de monstres, un quête de vengeance dont il n’est pas l’investigateur mais l’exécuteur passif et faussement consentant. Certes, Only God Forgives est contemplatif. Mais il contemple l’âme malade et torturée d’un homme. Parce que si l’intrigue est mince (mais pas forcément beaucoup plus que Drive), le propos n’est pas neutre et surtout pas creux. Au cœur de celle-ci, un œdipe magistral, qui semble guider les pas et les gestes de cet antihéros réduit à l’impuissance. L’abstraction assumée qui parcourt le film, les ellipses et les parenthèses oniriques qui le rythment laissent le spectateur libre de fantasmer sur le background du personnage, plus riche et plus complexe qu’il n’y paraît.
Car lorsque à le demande de sa mère Julian chasse Chang, ange exterminateur aux desseins divins auto-proclamés, c’est cette relation toxique et malsaine qui bouffe l’écran et le regard buté du fils cadet. Au delà des visages, des dialogues rares mais crus et tranchants, le film questionne en fond sur l’influence de cette mère castratrice et humiliante sur l’état mental de Julian, qui ne semble jamais se départir de cette ambiguë sentiment d’amour/haine qui le lie à sa terrifiante génitrice. Cette filiation pernicieuse atteint son paroxysme œdipien lors d’une dérangeante scène finale, miroir de la relation qu’il entretient avec une prostituée, petite amie de circonstance.
Ce couple mère/fils amoral pourrait sombrer dans le grotesque sans l’interprétation magistrale d’un triumvirat d’acteurs d’une précision redoutable. Ryan Gosling trimbale sa posture froide et stoïque dans les bas fonds sordides de Bangkok, parsemée d’accès de rage aussi violents qu’inattendus . Inexpressif? Sûrement pas. Son apparent détachement rend d’autant plus fort les moments où le vernis craque et où une émotion anime enfin son visage fiévreux. Évidemment, on peut aussi y voir en double lecture, le plaisir non feint de Refn à massacrer, au sens propre comme au figuré, l’image de sex-symbol de son acteur. Celui-ci, complice, donne chair à ce personnage impuissant et soumis et n’hésite pas à terminer totalement défiguré.
Les scènes qu’il partage avec Kristin Scott Thomas confinent à l’excellence. Démentes et jouissives, elles confirment également que l’actrice anglaise peut tout jouer et peut sans difficulté se détacher de son image classe et glamour pour se métamorphoser en vamp cruelle et vipère létale. Sa performance miraculeuse de mère castratrice, toxique et incestueuse est d’autant plus remarquable qu’elle est effroyablement crédible, débitant des horreurs à son fils avant de se faire enjôleuse, sans jamais produire l’effet de trop. Face à eux, Vithaya Pansrimgarm complète admirablement ce tableau de freaks cauchemardesques en flic vengeur dépourvu de toute pitié.

Objet cinématographique arty dantesque, tragédie sous acide d’une puissance visuelle inouïe, Only God Forgives navigue entre violence et raffinement, pour au final proposer une expérience filmique renversante, envoûtante. Du cinéma radical certes. Du grand cinéma tout court.

LE PASSE – 17/20

Le PasséRéalisé par Asghar Farhadi
Avec Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa

Synopsis : Après quatre années de séparation, Ahmad arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d’Ahmad pour tenter d’améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé.

Avis : Parce qu’il est rare qu’un film vous saisisse dès les premières images sans jamais vous lâcher, sans jamais céder à aucune effet ostentatoire, le Passé est d’ores et déjà à classer parmi les grands films de l’année. Petit miracle d’écriture et de direction d’acteurs, le Passé confirme toutes les qualités qui avait fait d’une Séparation, le précédent film de Ashgar Farhadi, une phénomène. Et notamment le soin quasi-chirurgical que le cinéaste iranien apporte à la construction des ses personnages et des interactions qui se jouent entre eux. D’une densité et d’une complexité peu communes, ils sont entiers, contradictoires et dépouillés de tout manichéisme, sans qu’aucun jugement ne soit jamais porté sur aucun d’eux. Terriblement humains. La subtilité et la simplicité avec laquelle le réalisateur met en place son intrigue force également le respect. D’une précision redoutable dans la construction de chaque scène, de chaque plan, fuyant tout discours péremptoire, il joue des non-dits et des hésitations pour mettre en place un thriller familial, psychologique et amoureux fascinant, alors que le propos original ne semble pas revêtir d’enjeu particulièrement fort, d’un moins en apparence. Car plus l’intrigue avance, plus on s’accroche à cette histoire de famille recomposée et à cette quête de la vérité. Une vérité qui finira pas éclater dans un dénouement déchirant.
Fort. Incontournable. Palmable? Certainement.

GATSBY LE MAGNIFIQUE – 8/20

Gatsby le MagnifiqueRéalisé par Baz Luhrmann
Avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan

Synopsis : Printemps 1922. L’époque est propice au relâchement des mœurs, à l’essor du jazz et à l’enrichissement des contrebandiers d’alcool… Apprenti écrivain, Nick Carraway quitte la région du Middle-West pour s’installer à New York. Voulant sa part du rêve américain, il vit désormais entouré d’un mystérieux millionnaire, Jay Gatsby, qui s’étourdit en fêtes mondaines, et de sa cousine Daisy et de son mari volage, Tom Buchanan, issu de sang noble. C’est ainsi que Nick se retrouve au cœur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges. Témoin privilégié de son temps, il se met à écrire une histoire où se mêlent des amours impossibles, des rêves d’absolu et des tragédies ravageuses et, chemin faisant, nous tend un miroir où se reflètent notre époque moderne et ses combats.

Avis : Avec sa filmographie flamboyante et franchement enthousiasmante (Australia mis à part) Baz Luhrmann était tout désigné pour donner une seconde jeunesse à l’adaptation du roman de Fitzgerald. Qui mieux que lui pouvait traduire le faste décadent des années folles, la frivolité des soirées données par le mystérieux Monsieur Gatsby? La formidable cohérence qu’il avait su trouver, pour Romeo + Juliette et Moulin Rouge, entre classicisme romantique et anachronismes clinquants, notamment à travers des choix de musique audacieux, semblait être un blanc-seing idéal pour s’atteler à ce nouveau projet.
Malheureusement, le réalisateur rate ici le coche. C’est d’autant plus inquiétant qu’il avait là un matériel qui devait lui convenir bien mieux que pour le ratage de sa fresque australe.
Car si ce n’est pas forcément le bon goût qui caractérise le cinéma de Lurhmann, il s’en dégage généralement une énergie, une générosité et un climax dramatique qui émerveillent ou rebutent, mais qui ne laissent surtout pas indifférent. Cette singularité n’est pas totalement absente de Gatsby, mais la greffe ne prend pas cette fois-ci.
Le film souffre en outre d’un déséquilibre flagrant. La première partie où se succèdent fêtes et sorties aurait du être un terrain de jeu idéal pour le réalisateur. Il pouvait y décliner son univers baroque, riche et chargé, quasi-pyrotechnique. Mais cette fois-ci le résultat est laborieux. Faute d’un vrai point d’ancrage au niveau des personnages ou du contexte, la caméra se ballade partout et nulle part, la bande-son, pourtant prometteuse, enchaîne des bouts de chansons peu entrainants sans réellement créer d’identité à l’ensemble. Ça déborde de tout, si bien qu’on ne sait plus trop où regarder. Et on ne regarde finalement nulle part. On a un peu l’impression d’assister à une fête à laquelle on n’est pas invité…

La deuxième partie centrée sur le triangle amoureux est encore plus décevante et surtout interminable. Aussi pesante que le début du film est hystérique, elle sombre petit à petit dans le mélo soporifique, que les tentatives de réanimation par de désespérées et artificielles scènes d’action ne parviennent pas élever. Le style du réalisateur ne peut pas ici venir au secours d’un rythme souffreteux, au contraire, l’outrance et la débauche d’effets sont plutôt contre-productives.
C’est d’autant plus dommage qu’à trop vouloir assoir son style et son savoir-faire, Luhrmann ne fait qu’effleurer les vrais sujets du film, la frivolité et l’insouciance des années-folles, l’american way of life selon laquelle tout est possible à New York, les effets pervers de la prohibition, pour ne parler que du contexte historique. Mais surtout il passe à côté des personnages, malgré les performances impeccables de ses acteurs (DiCaprio formidable en amoureux angoissé et névrosé, Mulligan parfaite Marylin évanescente). L’histoire de cet homme secret qui accueille la terre entière chez lui mais qui est désespérément seul, le destin de cette femme qui veut croire en l’amour mais se heurte à sa propre réalité, tout n’est que superficiel et évidence. La romance est étriquée alors qu’on la voudrait ample et déchirante. Ça manque simplement de cœur…
A un moment, le personnage fait le bilan de sa vie, constatant qu’il y avait amassé beaucoup, mais qu’elle était finalement bien vide. Il pourrait en dire autant du film…

THE HIT GIRLS – 13/20

The Hit GirlsRéalisé par Jason Moore
Avec Anna Kendrick, Skylar Astin, Anna Camp, Rebelle Wilson

Synopsis : Beca est le genre de fille qui préfère écouter son lecteur MP3 que la personne assise en face d’elle. Fraîchement arrivée à la fac, elle a du mal à y trouver sa place. Elle intègre alors, plus ou moins contre son gré, une clique de filles qu’elle n’aurait jamais considérées abordables ou fréquentables : un mélange de pestes, de bonnes pâtes et d’originales dont le seul point commun est la perfection avec laquelle elles chantent a cappella. Et quand la nouvelle venue les initie, au-delà des arrangements traditionnels et des harmonies classiques, à des interprétations et des combinaisons musicales novatrices, toutes se rallient à son ambition d’accéder au sommet du podium dans cet univers impitoyable qu’est celui du chant a cappella à l’université, ce qui pourrait bien s’avérer la chose la plus cool qu’elles aient jamais faite, ou la plus folle.

Avis : Avec un titre et un pitch aussi effrayants, on serait tenté de fuir prestement the Hit Girls, qui a en apparence tout de la production US adolescente indigeste. Hé bien, ce serait dommage ! Car si vous n’êtes pas allergique à la musique pop un brin sucrée et commerciale, vous finirez par vous laisser volontiers prendre au jeu d’une comédie énergique à l’humour trash assumé et reconnaissons le, assez savoureux.
Croisement improbable entre la série Glee et la bande de sales gosses de Supergrave, The Hit Girls navigue joyeusement entre numéros musicaux entrainants et mauvais goût réjouissant. Car oui, c’est très drôle. Un humour bien gras et décomplexé parcoure le film qui se fout visiblement complètement d’être glamour. Pour autant, si le scénario est ultra-light, il n’en oublie pas de construire des personnages attachants, sans qui le film aurait du mal à tenir la longueur. Au cœur d’un casting très en forme, brille l’inénarrable Rebelle Wilson. On adore.
Alors the Hit Girls ne révolutionnera certainement pas le 7ème art, mais on en sort avec la banane, et c’est déjà pas mal !

STOKER – 12/20

StokerRéalisé par Park Chan-wook
Avec Mia Wasikowska , Matthew Goode, Nicole Kidman

Synopsis : Après la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India, une adolescente, voit un oncle dont elle ignorait l’existence, venir s’installer avec elle et sa mère. Rapidement, la jeune fille se met à soupçonner l’homme d’avoir d’autres motivations que celle de les aider. La méfiance s’installe, mais l’attirance aussi…

Avis : Avec à son actif le chef-d’œuvre définitif Old Boy, on était curieux de voir comment Park Chan-wook allait adapter son art violent et mystérieux à une production hollywoodienne. Le résultat est pour le moins mitigé. Si esthétiquement Stoker fait preuve de maîtrise et de précision, le réalisateur coréen semble se débattre longuement avec un scénario bancal et trop léger, pour finalement donner l’impression de baisser les bras. La première partie du film est pourtant très engageante. Grâce à une image très léchée, un remarquable travail sur le son qui met en exergue le pan surnaturel de son héroïne, une photographie magnifique qui fige ses protagonistes dans un cadre intemporel, Chan-wook crée un malaise quasi-immédiat et un environnement parfaitement malsain propice à développer une intrigue des plus dérangeante. L’arrivée de l’oncle inconnu en est le point d’orgue. On appréciera d’ailleurs le magnifique trio d’acteurs composé de Kidman, Goode et Wasikowska. Malheureusement, Stoker perd le fil dans sa seconde partie, et la sophistication de la mise en scène, aussi brillante soit-elle, ne suffit pas à compenser un scénario de série B aussi décevant que les premières images étaient prometteuses. Le réalisateur semble vouloir compenser ce vide par une violence outrancière qui finit par tourner en rond et délivrer un dénouement qui nous laisse sur notre faim. Tout ça pour ça, serait-on tenter de penser…

MUD – 14/20

Mud - Sur les rives du MississippiRéalisé par Jeff Nichols
Avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Reese Witherspoon

Synopsis : Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d’une de leurs escapades quotidiennes, un homme réfugié sur une île au milieu du Mississipi. C’est Mud : un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise porte-bonheur. Mud, c’est aussi un homme qui croit en l’amour, une croyance à laquelle Ellis a désespérément besoin de se raccrocher pour tenter d’oublier les tensions quotidiennes entre ses parents. Très vite, Mud met les deux adolescents à contribution pour réparer un bateau qui lui permettra de quitter l’île. Difficile cependant pour les garçons de déceler le vrai du faux dans les paroles de Mud. A-t-il vraiment tué un homme, est-il poursuivi par la justice, par des chasseurs de primes ? Et qui est donc cette fille mystérieuse qui vient de débarquer dans leur petite ville de l’Arkansas ?

Avis : Après le très marquant, mystique et parano Take Shelter, Nichols revient avec une fable sur l’enfance tout aussi réussie.
Ce qui frappe avant tout dans Mud, c’est l’extrême fluidité de la narration et la précision de la réalisation. Rarement un film prenant le point de vue d’un gamin avait atteint une telle justesse. Sans cynisme, Mud rend compte des espoirs et des certitudes teintés d’un poil de naïveté de son héros, confronté pour la première fois à la froide réalité du monde des adultes. Avec tout ce que ça implique comme déceptions, désillusions, mais aussi d’apprentissage et de maturité.
Le réalisateur en appelle à plusieurs arcs narratifs pour construire son récit, au centre desquels se trouve toujours le jeune garçon. Aucun n’est négligé, et chacun existe par lui-même avant de former un tout d’une grande cohérence. Nichols investit avec tact les thèmes du délitement de la famille, de la passion aveugle et destructrice, de l’amour qui fane et bien sûr du passage à l’âge adulte. Sans jamais sombrer pour autant dans une vision désespérée de l’existence. L’espoir est toujours présent . La réalité des adultes qui l’entoure ne sera pas forcément celle de Ellis.
Nichols joue aussi parfaitement du cadre que lui offre les berges du Mississipi, et fait de la nature un acteur à part entière, irriguant son film d’une beauté simple, classique mais très à propos.
Ce scénario est du pain béni pour les acteurs, tous irréprochables. McConaughey en ermite fugitif et figure fraternelle, impose son bagou et son charisme animal. Mais la star du film, c’est bien le jeune et impressionnant Tye Sheridan,vu dans Tree of Life, qui fait preuve d’une maturité assez épatante.
Un moment de grâce et d’évidence pur et discret.

THE GRANDMASTER – 14/20

The GrandmasterRéalisé par Wong Kar-Wai
Avec Tony Leung Chiu Wai, Chang Chen, Zhang Ziyi

Synopsis : Chine, 1936. Ip Man, maître légendaire de Wing Chun (un des divers styles de kung-fu) et futur mentor de Bruce Lee, mène une vie prospère à Foshan où il partage son temps entre sa famille et les arts-martiaux. C’est à ce moment que le Grand maître Baosen, à la tête de l’Ordre des Arts Martiaux Chinois, cherche son successeur. Pour sa cérémonie d’adieux, il se rend à Foshan, avec sa fille Gong Er, elle-même maître du style Ba Gua et la seule à connaître la figure mortelle des 64 mains. Lors de cette cérémonie, Ip Man affronte les grand maîtres du Sud et fait alors la connaissance de Gong Er en qui il trouve son égal. Très vite l’admiration laisse place au désir et dévoile une histoire d’amour impossible. Peu de temps après, le Grand maître Baosen est assassiné par l’un de ses disciples, puis, entre 1937 et 1945, l’occupation japonaise plonge le pays dans le chaos. Divisions et complots naissent alors au sein des différentes écoles d’arts martiaux, poussant Ip Man et Gong Er à prendre des décisions qui changeront leur vie à jamais…

Avis : Esthète incontestable du 7ème art, Wong-Kar-Waï ne faillit pas à sa légende avec The Grandmaster, splendide fresque dédiée à l’histoire du maître du Kung-Fu Ip Man. Magnifique écrin où le raffinement rivalise avec l’élégance, son dernier film est un ravissement permanent pour le spectateur et imprime les pupilles d’images, de mouvements et de couleurs absolument divins.
Chaque combat est un ballet d’une incroyable précision, fascinant de maîtrise  Cela a beau être habituel avec le réalisateur Hongkongais, il nous laisse pantois à chaque fois devant ces plans étourdissants de beauté. Chaque image, chaque enchaînement, chaque lumière est incroyablement en place, pensé pour créer un tout harmonieux. On est d’ailleurs saisis dès la première scène avec ce combat assez hallucinant sous une pluie battante, le point d’orgue intervenant avec le combat entre Zhang Ziyi et Tony Leung, modèle de tension et de sensualité. Deux acteurs superbes et magnétiques, habitués à l’univers du réalisateur, qui transcendent son esthétisme formel en lui conférant un petit supplément d’âme.
Si The Grandmaster n’a au final pas l’aura d’un In the Mood for Love ou d’un 2046, c’est que le propos lui-même (l’affrontement des différentes écoles de kung fu, le conflit sino-japonais) est un peu abscons et l’histoire distendue. Privilégiant l’ellipse, Wong-Kar-Waï prend le risque de désintéresser son spectateur d’une intrigue difficile à suivre et de personnages secondaires peu creusés. Le film souffre ainsi d’une très dommageable carence en émotion et d’un manque de poésie tout aussi regrettable. D’autant plus que c’est ce souffle poétique insaisissable et bouleversant qui rendait In the Mood et 2046 si fascinants.
Il n’empêche que The Grandmaster reste une claque visuelle imparable et un gros morceau de cinéma dont la beauté intrinsèque ne peut laisser insensible.