DIVERSION – 11,5/20

DiversionRéalisé par Glenn Ficarra, John Requa
Avec Will Smith, Margot Robbie, Rodrigo Santoro

Synopsis : La relation entre un arnaqueur professionnel et une apprentie criminelle vient perturber les affaires de chacun, quand ils se recroisent quelques années après leur première rencontre.

Avis : Comédie gigogne, à la fois film d’arnaque à la Ocean’s 11, romcom et thriller, Diversion s’amuse à brouiller les pistes et s’efforce de continuellement surprendre son spectateur.
Mais à trop vouloir jouer les malins, les réalisateurs finissent par lasser et ne convainquent pas vraiment avec leur scénario rocambolesque et leur mise en scène clinquante flirtant avec le mauvais goût. Alors que tout semble fait pour que l’intrigue file à 100 à l’heure, Diversion connaît de sérieux coups de mou. Les réalisateurs tentent bien d’imposer un rythme enlevé, comme pour se persuader eux-mêmes de la malice de leur scénario, mais malheureusement, celui-ci finit par apparaître comme aussi artificiel que les tours de passe-passe de ses escrocs de héros. Les twists s’enchainent jusqu’à ne plus provoquer le moindre haussement de sourcils. Trop de twists tue le twist en quelque sorte. Le principe du film étant rapidement posé, on sait que ce qu’on voit n’est pas ce qu’on croit, annihilant tous les effets de surprises recherchés.
Reste une légèreté pas désagréable, un côté ludique séduisant pour peu qu’on accepte l’improbabilité des situations, et le duo charmeur et sensuel que compose Will Smith et Margot Robbie, convainquant.
Rien de transcendant donc, mais une distraction convenable.

A TROIS, ON Y VA – 15/20

A trois on y vaRéalisé par Jérôme Bonnell
Avec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck

Synopsis : Charlotte et Micha sont jeunes et amoureux. Ils viennent de s’acheter une maison près de Lille pour y filer le parfait amour. Mais depuis quelques mois, Charlotte trompe Micha avec Mélodie… Sans rien soupçonner, se sentant toutefois un peu délaissé, Micha trompe Charlotte à son tour… mais avec Mélodie aussi ! Pour Mélodie, c’est le vertige. Complice du secret de chacun. Amoureuse des deux en même temps…

Avis : A trois, on y va. Sans hésitation, oui ! Petite pépite fragile de comédie romantique, le film tient sur un fil, mais ne chancelle jamais. Il traite du sentiment amoureux avec audace et subtilité en renouvelant le thème du triangle amoureux avec une énergie communicatrice et un charme enthousiasmant. Drôle et burlesque, tendre souvent, ce marivaudage moderne et piquant sur ce « trouple » fusionnel séduit par la simplicité avec laquelle leur histoire nous est présentée. Sans chichi, ni bons sentiments, A trois, on y va se pare d’un réalisme joyeux qui n’évite pas non plus de montrer combien l’émoi amoureux peut apporter de confusion.
Le film est surtout porté par un trio de comédiens qui emporte tout, séduisant, touchant et d’une fraîcheur désarmante. Anaïs Demoustier traduit toute la complexité de son personnage, amoureuse indécise qui menace de tout faire imploser, mais sans jamais penser à mal. Elle s’affirme de film en film comme une actrice majeure de la nouvelle scène française, intelligente, moderne et naturelle. L’alchimie avec Sophie Verbeek, beauté atypique et actrice intense et Felix Moati, à la maladresse  forcément attendrissante fonctionne admirablement.
Plus qu’une comédie romantique, un très beau film d’amour dans l’air du temps.

BIG EYES – 11/20

Big EyesRéalisé par Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz

Synopsis : BIG EYES raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. À la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles n’avaient pas été peintes par Walter mais par sa femme, Margaret. L’extraordinaire mensonge des Keane a réussi à duper le monde entier. Le film se concentre sur l’éveil artistique de Margaret, le succès phénoménal de ses tableaux et sa relation tumultueuse avec son mari, qui a connu la gloire en s’attribuant tout le mérite de son travail.

Avis : Mais qu’est-il donc arrivé à Tim Burton ? Par quel étrange sortilège sa magie s’est-elle évaporée au fil des années pour qu’il soit désormais incapable d’apporter la moindre singularité à ses dernières œuvres ?
Certes Big Eyes n’a rien de honteux, c’est même plutôt un joli biopic, propret et bien tenu, mais qu’est-ce qu’il manque de personnalité ! Comme si le réalisateur avait voulu sortir du schéma d’autocitation de ses derniers films et éviter à tout prix de n’être une fois de plus que la caricature de lui-même en s’emparant d’un sujet plus éloigné de son univers gothique et de ses obsessions freaks.
Malheureusement, l’inspiration semble l’avoir quittée. Il s’attache à délivrer un beau portrait de femme, à assurer une reconstitution fidèle et esthétiquement très réussie des années 50, mais la mise en scène très linéaire manque considérablement de coffre et d’idées.
On se raccroche donc à la performance touchante et lumineuse de Amy Adams, qui malgré les raccourcis du scénario traduit admirablement la condition de l’héroïne et son combat de femme libre et libérée.
Dommage qu’en face Christoph Waltz, en surjeu permanent, plombe la crédibilité du film en lui donnant un tour cartoonesque complétement à côté de la plaque.
On a vraiment perdu Tim Burton.

THE VOICES – 14,5/20

The VoicesRéalisé par Marjane Satrapi
Avec Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick

Synopsis : Jerry vit à Milton, petite ville américaine bien tranquille où il travaille dans une usine de baignoires. Célibataire, il n’est pas solitaire pour autant dans la mesure où il s’entend très bien avec son chat, M. Moustache, et son chien, Bosco. Jerry voit régulièrement sa psy, aussi charmante que compréhensive, à qui il révèle un jour qu’il apprécie de plus en plus Fiona – la délicieuse Anglaise qui travaille à la comptabilité de l’usine. Bref, tout se passe bien dans sa vie plutôt ordinaire – du moins tant qu’il n’oublie pas de prendre ses médicaments..

Avis : La cinéaste protéiforme Marjane Satrapi s’était un peu perdue après l’impressionnante réussite de l’adaptation de son roman graphique Persepolis. Avec l’ambitieux et réussi The Voices, elle nous plonge dans la tête d’un serial killer schizophrène. Parti pris audacieux, surprenant et hautement casse gueule que d’adopter le point de vue de son anti-héros. Il fallait un certain style, beaucoup de second degré, d’humour et de hauteur pour faire adhérer à cette histoire sinistre tout en lui conférant un ton léger et acidulé. Et du style, Satrapi en a. En filmant à travers le prisme de la maladie de son héros naïf et peu benêt qui voit la vie en rose bonbon, tombe niaisement amoureux, et disserte du bien et du mal avec son chat et son chien, elle crée un univers pop et décalé, un décor propret, coloré et acidulé , proche de celui d’un conte de fée. Mais un conte de fée qui s’avère lugubre à souhait dès qu’on sort du cerveau malade de Jerry. La réalisation chiadée et sophistiquée de Sartapi prend tout son sens lorsque, par un habile procédé, on se prend le monde réel en plein visage. Et l’intrigue de The Voices de commencer à dérailler et d’aller franchement sur le terrain de l’horreur. Tout ce joli petit monde sympathique devient alors vraiment flippant.
En opposant délires schizophrènes (actes dictés par des animaux de compagnie, monde idéalisé) et réalité (meurtre sordide), le film se montre à la fois drôle, intriguant, et effrayant
L’artifice d’une vision fantasmée du monde où Jerry refuse de voir sa vraie nature, sert complètement le projet, parfaitement cohérent. On pourrait penser que la violence s’en verrait amoindrie, mais au contraire, elle est d’autant plus frappante qu’on s’y attend peu.
La mise en scène confère donc un onirisme sanglant et macabre au film, par ailleurs balayé par la performance délicieuse de Ryan Reynolds, parfait d’autodérision et de tics enfantins, qui parvient à défendre un personnage des plus complexes et à rendre Jerry à la fois attachant et effroyablement terrifiant.
Marjane Satrapi s’empare avec The Voices d’un créneau laissé vacant par un Tim Burton incapable de se réinventer. Elle le fait avec talent et enthousiasme, et nous offre une brillante fantaisie macabre.

CHAPPIE – 11/20

ChappieRéalisé par Neill Blomkamp
Avec Sharlto Copley, Dev Patel, Yo-Landi Visser

Synopsis : Dans un futur proche, la population, opprimée par une police entièrement robotisée, commence à se rebeller. Chappie, l’un de ces droïdes policiers, est kidnappé. Reprogrammé, il devient le premier robot capable de penser et ressentir par lui-même. Mais des forces puissantes, destructrices, considèrent Chappie comme un danger pour l’humanité et l’ordre établi. Elles vont tout faire pour maintenir le statu quo et s’assurer qu’il soit le premier, et le dernier, de son espèce.

Avis : Quel étrange film que ce Chappie… Film d’apprentissage SF partagé entre la volonté d’offrir un grand spectacle d’anticipation et de creuser des thématiques fortes, il finit par se trouver le cul entre deux chaises, sans réellement savoir où aller.
Indéniablement, il porte la marque de son auteur et le style, très identifiable, de Neill Blomkamp. Une SF qui mêle organique et mécanique, renvoyant l’image d’une civilisation au bord du chaos dans laquelle deux mondes s’affrontent, las bidonvilles et les banlieues chics. L’univers est là, riche, signifiant, à l’imagerie fertile.
Le sujet est fort également et appelle à des réflexions sur des thèmes complexes et puissants à travers l’apprentissage de Chappie. Qu’en est-il de l’innée et de l’acquis ? Notre conscience se construit-elle en ligne ou en opposition avec l’éducation que l’on reçoit ? Quelle est la part du libre arbitre ? Peut-on échapper à notre condition ? Evidemment, en creux de ses problématiques se pose, comme toujours chez Blombkamp, la question des dangers du progrès technologique et de son utilisation abusive.
Malheureusement le réalisateur sud-africain choisit un traitement beaucoup trop naïf pour être convaincant, se laissant déborder par une histoire simpliste et caricaturale, se perdant dans un récit à deux vitesses (la lutte pour la protection de la ville, le destin de Chappie), bancal et mal agencé. Qui plus est, il repose sur des personnages d’une faiblesse impardonnable à ce niveau, limite ringards, sans envergure. C’est d’autant plus gênant que la qualité d’interprétation frôle le néant (comment croire deux seconde à Hugh Jackman travesti en scout régressif ?). Finalement, seul le touchant et animé Chappie s’en sort correctement.
Le propos est si mal maîtrisé qu’il peut par moment en être gênant, comme lorsqu’on peut comprendre qu’une population sans police devient forcément violente et incontrôlable (ce qui est assez paradoxal avec l’idée de dénoncer l’état policier…).
En somme, bien que pétrit de bonnes intentions, Chappie se révèle être d’une grande maladresse.

TIMBUKTU – 13,5/20

TimbuktuRéalisé par Abderrahmane Sissako
Avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri

Synopsis : Non loin de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans.
En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football…

Avis : Timbuktu est indéniablement un beau film. Il offre des superbes images d’Afrique, de splendides paysages désertiques et des plans captivants sur les visages des protagonistes. Mais cet esthétisme léché sert surtout un propos à charge contre l’extrémisme religieux, une condamnation franche et directe qui s’exprime plus par de petites scénettes que de longs et pompeux discours. C’est par des histoires du quotidien que se révèle l’absurdité de la charia, et si sa violence peut-être glaçante c’est aussi parce Timbuktu montre qu’elle est appliqué par des hommes qui sont incapables d’en comprendre ses lois, d’en justifier l’existence. C’est parce qu’il se place à hauteur d’hommes plutôt que de rentrer dans des considérations théoriques que Timbuktu marque les esprits. En choisissant délibérément de ne jamais appuyer son propos mais de rester dans une simple exposition des faits (qui n’empêche pas distance et humour), Sissako atteint une forme d’évidence et une efficacité incontestable dans son plaidoyer.
Le film fonctionne donc sur une dichotomie parfaitement maitrisée entre moments de beauté et de grâce et passages d’une cruauté assez révoltante. Certaines scènes sont poignantes, comme ce match de foot sans ballon ou ce plan large, tragique, au bord d’un lac au soleil couchant, d’autres révoltantes comme cette lapidation particulièrement choquante.
Là où le film peine plus à convaincre, c’est dans l’histoire de cette famille installée dans le désert qui sert de fil rouge au récit. Elle cristallise un peu la faiblesse du scénario de Timbuktu, beaucoup plus puissant et marquant lorsqu’il saisit des instants indépendants les uns des autres, mais tous orientés vers la même volonté de dénoncer l’ostracisme et l’intégrisme religieux.
Paradoxalement, vouloir accrocher un récit linéaire (parfois à la limite de l’ennuyeux) à ces scénes foudroyantes donne au film un côté décousu qui lui fait perdre de sa force.
Reste à Timbuktu une poésie indiscutable, un propos audible, clair et sans ambiguïté et une beauté formelle assez déchirante.

BIRDMAN – 14/20

BirdmanRéalisé par Alejandro González Iñárritu
Avec Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton

Synopsis : À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir…

Avis : Les premiers films Alejandro G. Iñarritu (Amours Chiennes, 21 Grams, Babel) avaient considérablement modifié la façon d’envisager la structure narrative d’un film en proposant une nouvelle grammaire cinématographique, innovante et excitante, qui déstructurait le récit pour progressivement relier toutes les parties en un ensemble finalement compréhensible. Evidemment maintes fois copié, jamais égalé, le réalisateur mexicain a dû se dire qu’il était temps de passer à autre chose. Et il change diamétralement de méthode, délaissant l’éclatement du récit qui l’a rendu célèbre pour au contraire proposer l’illusion d’un gigantesque plan séquence, donnant l’impression que la caméra ne s’arrête jamais pendant les deux heures que durent le film. Iñarritu réalise donc un tour de force technique assez incroyable, et bluffe son auditoire par la virtuosité avec laquelle il exécute son projet. On suit littéralement le récit comme si l’on se trouvait derrière la caméra, et le procédé confère au film un effet d’immersion assez fascinante.
Cette prouesse d’écriture se double d’une intéressante mise en abîme sur le métier d’acteur, la condition d’artiste et la perception que le monde en a. A travers le destin de Riggan Thomson se matérialise également le rapport d’amour/haine entre le cinéma et le théâtre et la faible porosité entre ces deux univers si proches et pourtant si méfiant l’un vis-à-vis de l’autre. On ne peut pas non plus passer à côté de l’amusante mise en abîme de la carrière de Michael Keaton, Batman légendaire à la recherche d’un nouveau souffle. Il semble se donner corps et âme à ce personnage et l’incarne avec une implication et une drôlerie formidable. Mais tout aussi remarquable soit sa performance, il ne peut empêcher Edward Norton de lui voler certaines scènes. L’acteur, à qui Naomi Watts donne une réplique savoureuse, est absolument irrésistible en doublure narcissique et torturée.
Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si le film commence à s’essouffler lorsque son personnage est mis en retrait. Car dans le dernier tiers du film, on commence à ressentir un sentiment de répétition, de lassitude même, on en vient presque à souhaiter que la caméra se pose un moment.
On a alors l’impression qu’Iñarritu ne sait plus trop quand et comment terminer son histoire et appuyer sur le bouton off de l’objectif. Le dialogues très drôles jusque-là deviennent bavards, la musique jazzy très à propos commence à épuiser, les personnages à tourner en rond, bref il est temps que l’histoire se termine. Ce qu’on pense chose faite à trois ou quatre reprise (ça fait 2 ou trois de trop).
Dommage que le réalisateur n’ait pas réussi à mieux resserrer son sujet. Si Iñarritu arrive à être au-dessus de son concept (pourtant très fort) pendant la plus grande partie du film, il finit malheureusement par lui céder un peu le pas.
Mais si Birdman n’est pas parfait, il repose sur une proposition de cinéma si novatrice qu’on ne peut que saluer l’audace d’Innaritu. D’autant plus que le procédé est tenu presque de bout en bout et avec un aplomb et une maîtrise impressionnante, procurant au spectateur une sensation d’inédit et de surprise assez rare au cinéma. Cette expérimentation narrative réussie se double d’un mélange d’onirisme et d’humour que les prestations très abouties des acteurs mettent particulièrement en valeur.
Même si pas totalement aboutie, Birdman est si réjouissant, surprenant, affolant, que personne ne viendra lui contester ses oscars.