LES MISERABLES – 4/20

Les MisérablesAvec Hugh Jackman, Russell Crowe, Anne Hathaway

Synopsis : Dans la France du 19e siècle, une histoire poignante de rêves brisés, d’amour malheureux, de passion, de
sacrifice et de rédemption : l’affirmation intemporelle de la force inépuisable de l’âme humaine. Quand Jean Valjean promet à Fantine de sauver sa fille Cosette du destin tragique dont elle est elle-même victime, la vie du forçat et de la gamine va en être changée à tout jamais.

Avis : Avec la légèreté et la finesse d’un troupeau d’éléphants déboulant dans les rues de Paris, l’adaptation du mythique Musical Miz par le pourtant oscarisé Tom Hopper (pour le formidable mais très classique Discours d’un Roi) se rate dans les grandes largeurs (ou longueurs devrait-on dire). D’une pesanteur terrifiante et terriblement daté, les Misérables fait preuve d’un manque d’audace assez incompréhensible.
Le projet était pourtant ambitieux. Donner vie sur grand écran à un monument de Broadway inspiré du chef-d’œuvre de Victor Hugo. On pouvait légitimement penser que le passage au cinéma offrirait d’innombrables possibilités à Hooper, qui n’aurait pas à se soumettre aux contraintes d’un lieu fermé et fini. On imaginait déjà les mouvements de foules, les jeux de caméras, une utilisation de l’espace dynamique, on espérait être surpris par des effets novateurs et inventifs et être emporté par la vigueur d’une mise en scène racée qui se démarquerait naturellement du matériau original en densifiant les personnages.
Que nenni ! Il se contente de dupliquer fidèlement, quasi-religieusement, l’emblématique comédie musicale. Pire, les scènes qui pouvaient avoir de l’ampleur sur scène, car vivantes et visuelles, deviennent systématiquement timides et fades, quand elles ne sombrent pas dans le pathos ridicule, devant la caméra de Hooper.
Tout est étriqué, confiné, petit bras, comme si l’idée était de retrouver l’esprit d’une troupe se produisant dans un théâtre. Sauf que ça ne fonctionne pas du tout, le théâtre ne se filme pas. Même la scène hautement dramatique et potentiellement très cinématographique des barricades tombe à plat.
Le seul pari audacieux tenté par le réalisateur, celui de faire chanter ses acteurs «live», se révèle être un véritable fiasco. Expérience d’autant plus douloureuse qu’il a aussi pris le parti de conserver l’intégralité de la partition chantée, sans intégrer de passages joués (ou si peu).
On peut comprendre la volonté de Hooper de caster des acteurs renommés pour se rassurer sur l’interprétation. Sauf qu’ils se débattent avec des personnages de comédie musicale binaires et peu complexes, d’où le réflexe assez naturel d’accentuer l’outrance du jeu. Mais ce n’est pas le plus gros problème. Le plus pénible, c’est que ça chante très mal (quand ça ne chouine pas…). Les acteurs font ce qu’ils peuvent, mais ce ne sont pas des chanteurs et ça s’entend.
La palme revenant à Hugh Jackman dont la voix chevrotante fait saigner les oreilles. Mais vraiment.
Et comme le réalisateur se contente la plupart du temps de filmer les acteurs pendant qu’ils poussent la chansonnette et que le film ne s’articule qu’autour de deux, trois thèmes musicaux, c’est long, très long… Tout le monde n’a pas le charisme de Colin Firth pour nous happer sur un discours royal d’un quart d’heure…
Pénible, interminable et indigeste. Misère, misère….

SHADOW DANCER – 12/20

Shadow DancerRéalisé par James Marsh
Avec Clive Owen, Andrea Riseborough, Gillian Anderson

Synopsis : Collette, jeune veuve, est une républicaine, vivant à Belfast, avec sa mère et ses frères, de fervents activistes de l’IRA. Suite à son arrestation après un attentat avorté au cœur de Londres, Mac, un agent secret du MI5, lui offre le choix : passer 25 années en prison et ainsi perdre ce qu’elle a de plus cher, son fils, ou espionner sa propre famille. Elle décide de faire confiance à Mac, et retourne parmi les siens…

Avis : Le conflit irlandais a inspiré de nombreux long-métrages, complexes et riches, souvent très réussis (Bloody Sunday, les chefs-d’œuvre Hunger, Le vent se lève…). Shadow Dancer s’en démarque légèrement dans la mesure où il s’intéresse spécifiquement aux derniers moments de cette guerre fratricide. Le film capte ces moments instables et vacillants, lorsque les raisons de se battre sont de moins en moins évidentes, lorsque les rangs des combattants se vident, qu’il n’en reste plus que quelques-uns, mus par l’habitude de la lutte, une haine historique et un besoin de vengeance aux contours de plus en plus flous.
Shadow Dancer traduit bien cette idée de chant du cygne un peu vain et presque pathétique, en jouant sur une mise en scène âpre et peu avenante, que l’action se passe dans les austères bureaux du MI5 ou dans la sordide banlieue de Belfast.
Balançant entre thriller et drame familial, Shadow Dancer souffre cependant du peu de corps apporté à ses personnages. Si leur détermination est indéniable, ils manquent de chair et d’épaisseur pour donner une dimension plus humaine (et donc de l’empathie) au film, ce qui appuie le côté clinique de l’entreprise. Seule Andrea Riseborough, habitée, intense et fragile, se démarque de l’ensemble.
Thriller glacé, sobre mais rythmé, aux rebondissements réussis sans être spectaculaires, Shadow Dancer est aussi une plongée réaliste dans le crépuscule d’un conflit armé qu’on pensait interminable. Intéressant.

BLANCANIEVES – 16/20

BlancanievesRéalisé par Pablo Berger
Avec Maribel Verdú, Daniel Gimenez-Cacho, Ángela Molina

Synopsis : Sud de l’Espagne, dans les années 20. Carmen est une belle jeune fille dont l’enfance a été hantée par une belle-mère acariâtre. Fuyant un passé dont elle n’a plus mémoire, Carmen va faire une rencontre insolite : une troupe ambulante de nains toreros qui va l’adopter et lui donner le surnom de « Blancanieves ». C’est le début d’une aventure qui va conduire Carmen/Blancanieves vers elle-même, vers son passé, et surtout vers un destin à nul autre semblable…

Avis : Il faut croire qu’une nouvelle mode s’empare du cinéma européen. Quelques semaines après Tabou (et un an après The Artist), voici Blancanieves, lui aussi en noir et blanc, muet et filmé en 4/3. Mais contrairement au vain, chichiteux et prétentieux film de Miguel Gomez (voir ma chronique ici) dont l’histoire est aussi banale que l’image est fade, le procédé sert ici parfaitement le projet de l’auteur.
D’une part parce que le noir et blanc y est sublime, tout simplement. Le travail du réalisateur sur l’image est d’une précision d’orfèvre. Il délivre des plans merveilleusement inventifs et éblouit par des jeux d’ombre et de lumière absolument fascinants. Et que dire de la majesté des visages, dont les expressions sont capturées avec une grâce et une intensité déroutantes (on pense parfois au travail de Diane Arbus). Cette photographie sublime particulièrement les personnages féminins, images tour à tour virginales ou maléfiques, mais toujours d’une beauté stupéfiante.
Cette dichotomie (le bien, le mal) découle naturellement du parti-pris initial du réalisateur d’offrir une vision inédite et détournée du mythe de Blanche-Neige qu’il situe dans une Espagne d’antan fantasmée, baignant dans l’univers très cinégénique de la tauromachie.
L’orpheline au cœur pur, la méchante belle-mère, les joyeux compagnons de route, tout y est, notre compréhension des codes du conte rendant alors le choix du muet parfaitement judicieux et compréhensible. Rythmé par une musique ibérique entrainante, le film n’ennuie pas une seconde, l’histoire de Carmen nous emporte et finit par nous émouvoir au fil de tableaux et de portraits saisissants de vie.
Blacanieves est une réussite car il se veut ambitieux tout en conservant une extrême modestie. Si le réalisateur se borne volontairement à raconter une histoire simple, c’est qu’elle lui permet d’insuffler une poésie folle à son récit et d’imposer une esthétique irrésistible, paradoxalement et indiscutablement moderne.
Inattendu, singulier et tendre.
Un enchantement.

LINCOLN – 15/20

LincolnRéalisé par Steven Spielberg
Avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn

Synopsis : Les derniers mois tumultueux du mandat du 16e Président des États-Unis. Dans une nation déchirée par la guerre civile et secouée par le vent du changement, Abraham Lincoln met tout en œuvre pour résoudre le conflit, unifier le pays et abolir l’esclavage. Cet homme doté d’une détermination et d’un courage moral exceptionnels va devoir faire des choix qui bouleverseront le destin des générations à venir.

Avis : Lorsqu’il s’attaque à la grande Histoire, Spielberg passe rarement à côté de son sujet. La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan furent chacun à leur manière, des chocs à la fois narratifs et cinématographiques. En abordant le combat de Lincoln pour abolir l’esclavage, le réalisateur choisit une voie assez inédite dans son cinéma, privilégiant le discours à l’action, le message aux images, la puissance des dialogues à la brillance des effets numériques. Attention, le papa d’ET ne sombre pas non plus dans l’austérité et la réalisation est comme toujours d’une impressionnante fluidité et d’une remarquable efficacité, délivrant de ci et là des plans d’une beauté affolante comme autant de portraits fixant sur la pellicule la stature iconique de Lincoln. Instantanés d’autant plus puissants qu’ils sont incarnés par un acteur immense, délivrant une de ces performances qui marquent autant l’histoire d’Hollywood que son modèle aura marqué celle de son pays. Force et finesse, nuances, lyrisme et retenu, une interprétation dantesque et rare, portée par un charisme évident et brûlant. Daniel Day Lewis enfile le costume de la légende et est Lincoln, indiscutablement, mais partage l’affiche avec des acteurs qui ne dépareillent jamais. De l’émotion de Sally Field à la conviction de Tommy Lee Jones en passant par la loyauté de Straithairn, le reste du casting, jusqu’au rôle le plus mineur, est impeccable et homogène, comme porté à l’excellence par le sujet du film.
Lincoln est aussi, et surtout, un grand film de prétoire. Spielberg filme avec virtuosité la tribune et les échanges inspirés entre orateurs, souvent mémorables, et s’en extirpe pour exposer les manigances politiciennes, les compromis et compromissions que le président se résout à accepter ou à initier pour parvenir à ses fins et faire accepter une décision qui révolutionnera nos sociétés modernes. On est littéralement plongé dans les arcanes du pouvoir, au plus proche des instances ayant changé le cours de l’Histoire. Alors que la guerre civile fait rage, un souffle de liberté et d’égalité parcours le film, un témoignage rare qui trouve bien évidemment un écho dans certains combats contemporains.
Lincoln est un grand film, exigeant et poétique, à part dans la filmographie de Steven Spielberg. Il en est d’autant plus précieux.