Cinéma | MONEYBOYS – 15/20

De C.B. Yi
Avec Kai Ko , Zeng Meihuizi , Bai Yufan

Chronique : Moneyboys s’empare du sujet de la prostitution masculine en Chine, pays où ne serait-ce qu’évoquer l’homosexualité est en soit déjà transgressif. Il y est donc question d’interdits, de sentiments refoulés, de fuite, de honte aussi. Et de solitude, beaucoup.
Le récit se construit par et autour de personnages forts et cherche à nous éclairer sur ce qui les a conduits à adopter ce mode de vie, la plupart du temps malgré eux. Ces garçons doivent composer avec le paradoxe d’avoir à se prostituer pour subvenir aux besoins de familles qui rejettent ce qu’ils sont. Ecrasés par le poids familial et culturel, ils cherchent vainement à s’émanciper dans un monde hostile où il vaut mieux se garder d’éprouver des sentiments.
Car Moneyboys est aussi parcouru par un élan romanesque, traversé par une histoire d’amour tragique, un triangle amoureux maudit. Cette angle fictionnel, émouvant et touchant et brillamment interprété, permet au réalisateur C.C. Yi d’éviter un propos trop cru, trop documentaire et de se dépouiller de tout voyeurisme.
Sa mise en scène est d’une grande élégance, tout en pudeur, souvent lumineuse et colorée malgré la violence et la mélancolie qui innerve son histoire. Il saisit toute la beauté d’une Chine en transition, partagée entre modernité et traditions, grâce à des plans séquences splendides et des tableaux élégamment construits. Pour un premier film, le cinéaste fait preuve d’un style affirmé et raffiné. Tout en ayant quelque chose à dire. Un auteur et réalisateur à suivre, définitivement.

Synopsis : Pour subvenir aux besoins de sa famille, le jeune Fei, originaire d’un petit village de Chine, se prostitue dans la grande ville.

Cinéma | À PLEIN TEMPS – 14,5/20

De Eric Gravel
Avec Laure Calamy , Anne Suarez , Geneviève Mnich

Chronique : À plein temps est un thriller social, littéralement. Haletant, anxiogène, on est tout entier porté par l’énergie et l’instinct de survie qui anime Julie, mère célibataire sur la corde raide financièrement. On assiste impuissant à son parcours du combattant pour tenter de se rendre sur son lieu son travail malgré une grève générale dans les transports et éviter un licenciement, tout en gérant ses enfants tant bien que mal et en postulant pour un job plus en adéquation avec sa formation. Constamment dans l’action, le réalisateur Eric Gravel impose un rythme éreintant, qu’une musique electro entêtante renforce efficacement.
Alors certes, ça fait beaucoup pour une seule personne, et le scénario charge volontairement la mule.
Mais À Plein Temps est un très beau portrait de mère célibataire, apportant un coup de projecteur pertinent sur le déclassement social et la précarisation que peuvent subir des femmes ayant un temps mis entre parenthèses leur parcours professionnel pour se consacrer à leur famille avant de se retrouver seule, n’ayant alors d’autres choix que d’accepter des emplois en dessous de leur qualification pour vivre dignement.
Si le film sonne si juste et ne tombe justement jamais dans l’excès, il le doit à la nouvelle masterclass de Laure Calamy, impressionnante d’énergie et de vérité. Fort.

Synopsis : Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.

Séries | Mrs. MAISEL S04 – 14/20 | AFTER LIFE S02 – 14/20 | BAD VEGAN – 13/20

THE MARVELOUS MRS. MAISEL S04 (Prime) – 14/20 Miriam continue de chercher sa voix après la désillusion de sa tournée européenne avortée. La série est toujours aussi plaisante et amusante, avec ses personnages qui s’agitent bruyamment dans un New-York très joliment reconstitué. Même sans twist majeur, ça ronronne un peu avouons-le, Mrs. Maisel maintient un rythme, un humour, une finesse d’écriture qui fait qu’elle conserve absolument tout notre intérêt et notre affection.


AFTER LIFE S02 (Netflix) – 14/20 « Triste, tendre, désespéré et en même temps plein d’espoir. Tony poursuit l’exploration de son deuil impossible, porté par l’interprétation tout en contradiction de Ricky Gervais
Des personnages secondaires bouleversants de gaucherie et d’humanité.

BAD VEGAN (Netflix) – 13/20 « Dans la lignée de l’Arnaqueur de Tinder, Bad Vegan raconte une histoire de contrôle mental, d’escroquerie à grande ampleur et d’abus de faiblesse émotionnel. Comment cette femme, brillante busineswoman à la tête d’un resto vegan à succès à New York a-t-elle pu tout perdre et se laisser berner par les délires de son compagnon aux multiples identités ? Quel est son degré de complicité ? Le docu-série nous plonge dans cette relation édifiante et ses conséquences sur le staff du restaurant avec, en fil rouge, les enregistrements audio entre les 2 amants fugitifs.
Si un format de 90’ aurait été largement suffisant (la série fait 4*60’), elle titille notre curiosité.

Séries | PAM AND TOMMY – 14/20 | EUPHORIA S02 – 13,5/20 | SEARCH PARTY S05 – 14/20

EUPHORIA S02 (OCS) – 13,5/20

Série aussi brillante que radicale, Euphoria pousse les curseurs encore plus loin dans sa 2ème saison. Inventive dans la narration, extraordinaire dans sa mise en scène, elle a malgré tout tendance à délaisser le fond et se complaire dans ses excès. Parcouru par des fulgurances épatantes lorsqu’elle se focalise sur un personnage à développer, elle manque clairement d’un fil conducteur et d’un poil d’émotions. Reste qu’on est toujours bluffé par ce casting de jeunes acteurs audacieux, sûrs d’eux, chargés de traduire brillamment un mal être générationnel.
On retiendra l’épisode 5 suffoquant et tétanisant, une claque rare et une leçon d’acting de Zendaya.

PAM AND TOMMY (Disney+) – 14/20

Petite sœur culottée d’American Crime Story (Ryan Murphy), Pam et Tommy nous plonge dans l’intimité d’une célébrité dont la vie privée et professionnelle va se voir bouleversée par un fait divers. Celui-ci relate l’histoire assez folle de la diffusion de la sextape de Pamela Anderson et Tommy Lee. Alors sex-symbol absolu et fantasme ultime des mâles hétérosexuels des années 90, l’actrice de Baywatch ne se remettra jamais vraiment de cette humiliation. Amusante dans sa reconstitution de l’époque VHS qui voit arriver les premiers modems internet, la série est aussi portée par l’humour gentiment trash de Seth Rogen. Mais elle réhabilite et humanise aussi Pamela Anderson, première victime de l’affaire et symbole avant l’heure du combat féministe.
Cela valait bien une série.

SEARCH PARTY S05 (OCS) – 14/20 Au gré des saisons, Search Party a navigué entre les styles et pris des directions inattendues. C’est encore le cas pour cet ultime chapitre qui flirte avec le mysticisme et le fantastique, mais toujours dans un joyeux bordel qui laisse libre court à des personnages qui nous sont devenus attachants à force d’être agaçants. Mais l’essentiel est qu’ils sont toujours aussi drôles, malgré quelques trous d’airs dans le récit. Search party va surtout au bout de l’étude de son héroïne, Dory, complexe, peu aimable mais fascinante. Dommage que ça se termine comme ça, on aurait bien vu la suite…

Cinéma | GOLIATH – 14/20

De Frédéric Tellier
Avec Gilles Lellouche, Pierre Niney, Emmanuelle Bercot

Chronique : Les grands films procéduraux sur des scandales sanitaires sont plutôt l’apanage du cinéma américain (Erin Brockovich, Spotlight, plus récemment Dark Waters ou l’excellente série Dopesick sur Disney+), même si on recense quelques belles réussites en France également (La Fille de Brest, réalisé par Emmanuelle Bercot qui tient justement l’un des rôles majeurs de Goliath).
Mêlant enquête minutieuse et thriller haletant, Goliath n’a pas à rougir de la comparaison. Même si la toxicité et la dangerosité des pesticides n’est plus à démontrer, le film de Fréderic Tellier offre un traitement très intéressant, pénétrant les salons ouatés des puissants, là où tout se décide, et peint un tableau peu reluisant mais terriblement réaliste des relations entre politiques et grands groupes industriels. Des ficelles du lobbying à la désinformation du grand public, en passant par la corruption de sommités scientifiques et l’intimidation des lanceurs d’alerte, la démonstration est aussi implacable qu’édifiante.
Sur ce sujet brulant, il capture à la fois les dérives d’un capitalisme sauvage et inhumain et ses conséquences sur des femmes et des hommes dont la voix porte bien peu face aux milliards en jeu.
Et leur donne des visages. Pierre Niney et son sourire carnassier incarne parfaitement le cynisme et l’avidité des lobbies agrochimiques, alors que Gilles Lellouche est parfait en avocat repenti, prêt à tout pour défendre ses clients et plus généralement l’intérêt général. On peut également citer Emmanuelle Berco, très investie, ou encore Laurent Stocker en associé zélé.
On pardonne aisément quelques excès dans la mise en scène, justifiés par le propos, la rage et la colère qu’il suscite.
Thriller écologique prenant et puissant, dont le choc est amplifié par une musique électro vrombissante, Goliath condamne et convainc.

Synopsis : France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit, milite activement contre l’usage des pesticides. Patrick, obscur et solitaire avocat parisien, est spécialiste en droit environnemental. Mathias, lobbyiste brillant et homme pressé, défend les intérêts d’un géant de l’agrochimie. Suite à l’acte radical d’une anonyme, ces trois destins, qui n’auraient jamais dû se croiser, vont se bousculer, s’entrechoquer et s’embraser.

Cinéma | THE BATMAN – 12/20

De Matt Reeves
Avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Paul Dano

Chronique : Dix ans après la trilogie quasi-parfaite de Christopher Nolan (quasi, car The Dark Knight Rises est quand même en dessous), Warner Bros revisite la part (très) sombre du Chevalier Noir, un réel défi au regard du statut définitif du triptyque porté par Christian Bale. Mais en confiant les rênes de cette nouvelle adaptation à Matt Reeves, qui avait remarquablement ressuscité la franchise de la Planète des Singes, le studio fait le pari d’une large réinvention et d’une nouvelle vision auteuriste.
A l’image, le pari est largement gagné. Reeves déroule une mise en scène impressionnante, déploie des scènes d’action brutales et exténuantes avec virtuosité et des tonnes d’idées qui impactent durablement la rétine, délivrant son lot de plans immédiatement iconiques. Son Gotham City est le plus glauque et poisseux jamais créé, miroir déformant des âmes viles qui le dirigent. Partagé entre architecture gothique et moderne, la ville double-face vous aspire dans des méandres inquiétants et nauséabonds.
Faire de l’homme-mystère le grand méchant du film est une vraie bonne idée. The Batman lorgne ainsi du côté des polars à tiroirs malades et sordides de Fincher (Seven, Zodiac), promettant une enquête sombre et irrespirable. Malheureusement, cette noble intention reste au stade de promesse, et le scénario ne vas pas au bout de son idée. Le jeu de piste morbide imposé par The Riddler s’avère superficiel, peu impliquant pour le spectateur, ses énigmes et leurs résolutions inconséquentes et vite expédiées, sans qu’on nous serve réellement la perversité qu’on pourrait attendre d’un tel personnage.
Le constat est le même pour les intrigues trop caricaturales autour de la mafia, d’un Gotham pourri jusqu’à la moëlle, de ses élites corrompues, qui s’éventent trop rapidement. The Dark knight avait traité le sujet avec beaucoup plus de nuances, produisant un commentaire politique sur notre époque hautement plus subtil et abouti.
Finalement, le sujet principal The Batman est sa propre noirceur, un film-concept vers lequel tous ses éléments constitutifs sont dirigés et compilés pour l’amplifier. De la bande son étourdissante à cette pluie qui tombe sans discontinuer. Le film s’y complait jusqu’à sombrer parfois dans le grotesque et un nihilisme évacuant toute possibilité d’émotion.
L’interprétation de Pattison en pâtit forcément. Sa version punk-grunge du Chevalier Noir, tourmenté et torturé, se heurte aux limites imposées au personnage. Difficile pour l’acteur de varier des deux seules expressions qu’il trimballe (la tristesse et la rage). D’autant que Bruce Wayne n’existe pas dans le film, il s’efface totalement derrière ce Batman novice, limitant de facto la dualité entre le justicier et l’homme public qui a toujours façonné le personnage.
Ce Batman justement s’annonce à ses opposants comme étant « La Vengeance » Mais la vengeance de quoi ? de qui ? Encore une fois, cette phrase (qui sonne bien, certes), est une posture qui sert le ton du film et sa noirceur, sans donner beaucoup plus de background au personnage si ce n’est la perte de ses parents – pas vraiment une nouveauté.
Difficile dans ces cas-là de juger la performance de l’acteur, toujours est-il qu’il est éminemment moins charismatique que Christian Bale ou Michael Keaton.
Sur le reste du casting, Jeffrey Wright fait ce qu’il peut avec ce qu’on lui donne à jouer et Selina Kyle est sans doute le personnage le plus intéressant, Zoé Kravitz ajoutant une fragilité inédite à un personnage qui en montre rarement. En revanche Paul Dano en homme mystère est exaspérant de surjeu et de cabotinage, excellant dans la création de grimaces et de sons gutturaux originaux certes, mais ne traduisant à aucun moment la malice fourbe et diabolique de son personnage.
Et on ne peut pas ne pas évoquer la durée du film. Que c’est long, ça n’en finit pas. Surtout au regard de la faiblesse des enjeux de l’enquête que le scénario étire exagérément alors qu’avouons-le, on n’en a un peu rien à faire.
Malgré des qualités graphiques et esthétiques évidentes, une direction artistique flamboyante et largement au-dessus de la plupart des blockbusters actuels, le contenu est trop léger pour que ce Batman rivalise avec ses deux plus célèbres prédécesseurs.
Mais l’univers est là, fort et singulier. Il est parfaitement possible que ses suites lui permettent de se hisser à leur niveau, avec plus de consistance dans l’intrigue et de relief dans la construction des personnages
Après tout, Batman : Le Défi et The Dark Knight étaient chacun meilleur que l’opus original.

Synopsis : Deux années à arpenter les rues en tant que Batman et à insuffler la peur chez les criminels ont mené Bruce Wayne au coeur des ténèbres de Gotham City. Avec seulement quelques alliés de confiance – Alfred Pennyworth, le lieutenant James Gordon – parmi le réseau corrompu de fonctionnaires et de personnalités de la ville, le justicier solitaire s’est imposé comme la seule incarnation de la vengeance parmi ses concitoyens. Lorsqu’un tueur s’en prend à l’élite de Gotham par une série de machinations sadiques, une piste d’indices cryptiques envoie le plus grand détective du monde sur une enquête dans la pègre, où il rencontre des personnages tels que Selina Kyle, alias Catwoman, Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, Carmine Falcone et Edward Nashton, alias l’Homme-Mystère. Alors que les preuves s’accumulent et que l’ampleur des plans du coupable devient clair, Batman doit forger de nouvelles relations, démasquer le coupable et rétablir un semblant de justice au milieu de l’abus de pouvoir et de corruption sévissant à Gotham City depuis longtemps.