LES AMANTS PASSAGERS – 5/20

Les Amants passagersRéalisé par Pedro Almodóvar
Avec Javier Cámara, Carlos Areces, Raúl Arévalo

Synopsis : Des personnages hauts en couleurs pensent vivre leurs dernières heures à bord d’un avion à destination de Mexico.
Une panne technique (une sorte de négligence justifiée, même si cela semble contradictoire ; mais, après tout, les actes humains le sont) met en danger la vie des personnes qui voyagent sur le vol 2549 de la compagnie Península. Les pilotes s’efforcent de trouver une solution avec le personnel de la tour de contrôle. Le chef de la cabine et les stewards sont des personnages atypiques et baroques, qui, face au danger, tentent d’oublier leur propre désarroi et se donnent corps et âme pour que le voyage soit le plus agréable possible aux passagers, en attendant que la solution au problème soit trouvée. La vie dans les nuages est aussi compliquée que sur terre, pour les mêmes raisons, qui se résument à deux mots : « sexe » et « mort ».

Avis : Avec les Amants Passagers, Almodovar s’offre une parenthèse frivole et insouciante après une grosse décennie de films plus sombres et flirtant plus volontiers avec le drame que la comédie (même si l’un n’est jamais très loin de l’autre avec le réalisateur espagnol).
Il revient donc avec un sitcom très queer et totalement décomplexé, tentant de jouer sur le huis-clos pour faire vivre ses personnages.
Ce qu’on peut voir comme un retour aux sources s’avère être un ratage complet. Rythme souffreteux, longueurs, scénario laborieux, humour lourdingue, rien ne fonctionne. Hormis le temps d’une réjouissante chorégraphie, on s’ennuie ferme et si quelques répliques font sourire, elles sont beaucoup trop rares. La réalisation de Almodovar semble à l’étroit dans une carlingue où des personnages caricaturaux se débattent avec des intrigues indigentes et faussement provocatrices.
A ce niveau de légèreté, on peut parler d’inconsistance. A vite oublier..

THE PLACE BEYOND THE PINES – 14/20

The Place Beyond the PinesRéalisé par Derek Cianfrance
Avec Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes

Synopsis : Cascadeur à moto, Luke est réputé pour son spectaculaire numéro du «globe de la mort». Quand son spectacle itinérant revient à Schenectady, dans l’État de New York, il découvre que Romina, avec qui il avait eu une aventure, vient de donner naissance à son fils… Pour subvenir aux besoins de ceux qui sont désormais sa famille, Luke quitte le spectacle et commet une série de braquages. Chaque fois, ses talents de pilote hors pair lui permettent de s’échapper. Mais Luke va bientôt croiser la route d’un policier ambitieux, Avery Cross, décidé à s’élever rapidement dans sa hiérarchie gangrenée par la corruption. Quinze ans plus tard, le fils de Luke et celui d’Avery se retrouvent face à face, hantés par un passé mystérieux dont ils sont loin de tout savoir…

Avis : Cianfrance avait profondément marqué les esprits avec Blue Valentine, intelligent mélo construit en miroir sur les débuts et la fin d’une histoire d’amour magistralement porté par Michelle Williams et Ryan Gosling. Le réalisateur retrouve son acteur pour The Place Beyond the Pines, qui s’attache cette fois-ci à disséquer les mécanismes complexes de la filiation et des liens du sang. Une fois encore, il choisit de bâtir son récit de manière originale et ambitieuse, en le découpant en trois parties équilibrées et à l’intensité équivalente. Elles forment un tout dense et parfaitement lisible grâce à une narration très claire aux enjeux admirablement exposés, tout comme les sont les motivations et les traumatismes des personnages. Au cœur du drame, le personnage de Ryan Gosling irradie. Il en est l’origine, le fil conducteur, et hante l’écran même (surtout) lorsqu’il en est absent. L’acteur impose son charisme diaphane, sa violente sensualité et imprime au film son ambiguïté. La direction d’acteurs est par ailleurs remarquable, Cianfrance tirant le meilleur de chacun, en particulier de Eva Mendes et Bradley Cooper, qui n’ont jamais été aussi touchants, beaux et profonds, bien loin de leurs personnages de bimbo ou de séducteurs légers. Il révèle aussi deux jeunes acteurs prometteurs, Emory Cohen et Dane DeHaan. La mise en scène est discrète, mais pas moins riche, jouant beaucoup sur l’ambiance musicale et le son. Cianfrance suit au plus près ses personnages, pose souvent sa caméra dans leur dos, comme s’il voulait que nous ne les perdions jamais de vue (impressionnantes scènes en moto). Le reste du temps il capte magnifiquement les expressions de ses acteurs, les dilemmes, les peurs.
Si l’ensemble est un peu longuet, Cianfrance offre une nouvelle démonstration de son talent d’auteur, entre rigueur narrative et virtuosité formelle.

CLOUD ATLAS – 15/20

Cloud AtlasRéalisé par Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski
Avec Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Ben Whishaw

Synopsis : À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.

Avis : Il arrive parfois qu’un film vous saisisse et vous surprenne dans des proportions inattendues
Cloud Atlas est de ceux là. Proposition de cinoche affolante, le nouveau film des Wachowski ne ressemble à rien de ce que vous avez déjà pu voir. Démesurément ambitieux, ample mais d’une grande sincérité, Cloud Atlas distord les courbes du temps et de la pensée pour s’articuler atour de multiples arcs narratifs ayant tous des résonnances plus ou moins directes entre eux. En fil rouge, un message simple selon lequel chacun de nos actes peut modifier le cours de choses. Mais aussi et surtout un plaidoyer pour la liberté et l’émancipation, une incitation à la lutte, une quête de la vérité.
Et tant pis si l’ensemble peut paraître parfois un peu brouillon et boursoufflé, naïf et emprunt de bons sentiments. Ces réserves sont balayées par la mise en scène grandiose et foisonnante des trois réalisateurs qui permet de brasser tous les genres sans en galvauder aucun. Le thriller, la comédie, le fantastique, la romance, le film d’époque… Tous s’interpellent et se répondent dans des décors merveilleux et riches de symboles qui titillent l’imagination. On prend un plaisir non feint à se laisser embarquer dans les méandres de cette narration fragmentée. Car l’essentiel est qu’au cœur de ce patchwork cinéphilique, l’émotion affleure.
L’idée de faire jouer aux acteurs une dizaine de personnages chacun offre au film, un peu à la manière de Brecht, une distanciation qui permet à son sujet d’atteindre l’universalité chère aux Wachowski.
Cloud Atlas est au final une œuvre fascinante et inspirée, portant en elle l’honnêteté, la générosité et la foi en ce qu’ils font de ses auteurs. Elle nous emmène hors des sentiers battus, sur un terrain insolite et galvanisant.
C’est aussi ça qu’on attend du cinéma… Qu’il nous surprenne et nous émerveille. Merci.

20 ANS D’ECART – 13,5/20

20 ans d'écartRéalisé par David Moreau
Avec Virginie Efira, Pierre Niney

Synopsis : Alice Lantins a 38 ans. Elle est belle, ambitieuse et fait preuve d’une impeccable conscience professionnelle au point d’en oublier sa vie privée. Bref, elle a tout pour devenir la prochaine rédactrice en chef du magazine « Rebelle », tout sauf son image de femme coincée. Mais lorsque le jeune et charmant Balthazar, à peine 20 ans, va croiser le chemin d’Alice, le regard de ses collègues va inexplicablement changer. Réalisant qu’elle détient la clef de sa promotion, Alice va feindre la comédie d’une improbable idylle.

Avis : Trouver l’alchimie qui donne naissance à de bonnes comédies romantiques est peut-être ce qu’il y a de plus difficile et de plus aléatoire dans le cinéma. Avec 20 ans d’écart, David Moreau, épaulé au scénario par son actrice principale, parvient à transcender un pitch pourtant assez simpliste pour en faire un modèle du genre. Constamment drôle, parfois émouvant et d’une revigorante fraîcheur, le film n’a pas la prétention de vouloir révolutionner le genre. Il est construit avec assez de modestie et d’intelligence (sans être dépourvu d’ambition), pour nous convaincre assez facilement de nous laisser embarquer. Rythmé sans donner l’impression de devoir forcer le trait, le film offre certaines scènes assez savoureuses (un diner sous haschish, une séance de photo mémorable), et cède rarement à la facilité. Et quand il doit composer avec les codes obligés du genre, il s’arrange pour y ajouter un peu de poil à gratter.
En situant l’action dans un milieu très connoté (les magazines de mode), le réalisateur prenait le risque, comme souvent dans les comédies (surtout françaises), de tomber dans la caricature. Il évite habilement l’écueil, proposant des personnages secondaires forts, mais bien croqués et réalistes. Surtout, il ne perd jamais de vue que l’attrait principal de son film reste son duo d’acteurs qui, servi par des dialogues et des situations bien sentis, bouffe littéralement l’écran. Dès la première scène dans l’avion, on comprend que ça fonctionne. Chacun excelle dans sa partition. Virgine Efira occupe un terrain déserté par les actrices françaises, (citez-moi une actrice française de comédie romantique ?) et ne se gêne pas pour prendre toute la place, avec ce qu’il faut d’auto-dérision et de glamour. Elle pourrait être l’équivalent hexagonal d’une Julia Roberts à ses débuts, d’une Cameron Diaz ou d’une Kristen Wiig. Le couple qu’elle forme avec Pierre Niney transpire d’intelligence dans le jeu. Le jeune acteur confirme, dans un registre plutôt léger, tout le bien qui est dit de lui. Drôle, précis et attendrissant en jeune amoureux gauche et naïf, il signe une grosse performance et devrait rapidement refaire parler de lui (en Yves Saint-Laurent, déjà).
A l’instar d’un Arnacoeur, 20 ans d’écart fait partie de ces réussites inattendues qui rehausse singulièrement le niveau de la comédie française. C’est assez rare pour être souligné.

NO – 14/20

NoRéalisé par Pablo Larraín

Avec Gael García Bernal, Antonia Zegers, Alfredo Castro

Synopsis : Chili, 1988. Lorsque le dictateur chilien Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à organiser un référendum sur sa présidence, les dirigeants de l’opposition persuadent un jeune et brillant publicitaire, René Saavedra, de concevoir leur campagne. Avec peu de moyens, mais des méthodes innovantes, Saavedra et son équipe construisent un plan audacieux pour libérer le pays de l’oppression, malgré la surveillance constante des hommes de Pinochet.

Avis : Dans la veine du Argo de Affleck, mais en plus radical encore, No se penche sur un événement politique marquant des dernières décennies en l’abordant via le prisme de la petite histoire dans la grande, et de manière singulière. Ici les dernières années du règne de Pinochet et comment les publicitaires locaux ont cadencé la campagne du référendum pour le maintient ou non du dictateur à la tête du pays.
En mêlant habilement et avec une étonnante fluidité images d’archives et de fiction, en adoptant le format 4/3 télévisuel, et malgré une mise en place un peu longuette, No réussit le difficile pari d’immerger son spectateur dans l’époque et le contexte sans le perdre.
Au delà de la dimension historique du propos, le film convainc aussi en orchestrant l’affrontement entre les deux publicitaires partenaires, défendant chacun un des deux camps et stigmatisant les espoirs, les peurs, les manipulations, les pressions de chacun d’entre eux. On savait la publicité un effrayant outil de propagande, moins celui de la voix de la démocratie.
En confiant le rôle principal à Gaël Garcia Bernal, le réalisateur s’assure aussi de disposer d’emblée d’un capital sympathie élevé. Outre sa belle gueule et son petit air dilettante, l’acteur impose une détermination grandissante au fur et à mesure qu’il fait sien l’enjeu politique, et une volonté tout en sobriété qui font beaucoup pour la crédibilité du film.
Une entreprise originale, plus courageuse qu’il n’y paraît et au final très réussie.

THE SESSIONS – 13,5/20

The SessionsRéalisé par Ben Lewin
Avec John Hawkes, Helen Hunt, William H. Macy

Synopsis : Mark fait paraître une petite annonce : « Homme, 38 ans, cherche femme pour relation amoureuse, et plus si affinités. En revanche paralysé… Amatrices de promenade sur la plage s’abstenir… ». L’histoire vraie et bouleversante d’un homme que la vie a privé de tout, et de sa rencontre avec une thérapeute qui va lui permettre d’aimer, « comme tout le monde ».

Avis : A l’image de son héros atypique, The Sessions est émouvant, drôle, alerte, spirituel et un brin naïf.
Inspiré d’une histoire vraie assez fascinante et profondément touchante, le film parvient avec un naturel assez déconcertant à éviter tout pathos ou chantage lacrymal. En choisissant de ne pas faire de Mark une victime, le récit trouve une force inattendue tandis que Mark se découvre presque une stature de séducteur. Et le film est suffisamment incarné pour faire oublier quelques invraisemblances. Car comme souvent lorsqu’est traité un sujet délicat (le handicap) ou osé (le sexe), la sobriété du traitement (aucun effet superflu) et le talent des acteurs sont essentiels.
Sur ce dernier point, le réalisateur est servi. John Hawkes livre une prestation stupéfiante, d’une grande complexité et d’une infinie richesse, avec son seul visage pour média. En thérapeute du sexe, Helen Hunt se met à nu, littéralement, et nous rappelle quelle actrice audacieuse, sensible et exceptionnelle elle est. On se demande encore comment l’Oscar du second rôle a pu lui échapper au profit de l’hurleuse Hataway. A leur côté, des personnages secondaires formidablement campés, à l’image du toujours parfait William H. Macy en prêtre confesseur compréhensif.
En évitant de se poser comme un film à thème sur le handicap, The Sessions touche à l’humain. Un film tendre et généreux.

AU BOUT DU CONTE – 13,5/20

Au bout du conteRéalisé par Agnès Jaoui
Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Agathe Bonitzer

Synopsis : Il était une fois une jeune fille qui croyait au grand amour, aux signes, et au destin ; une femme qui rêvait d’être comédienne et désespérait d’y arriver un jour ; un jeune homme qui croyait en son talent de compositeur mais ne croyait pas beaucoup en lui.
Il était une fois une petite fille qui croyait en Dieu.
Il était une fois un homme qui ne croyait en rien jusqu’au jour où une voyante lui donna la date de sa mort et que, à son corps défendant, il se mit à y croire.

Avis : Un nouveau film du duo Bacri-Jaoui est toujours un évènement. Surtout lorsqu’il se fait attendre depuis plus de 5 ans. Surtout après une dernière livraison plutôt ratée (Parlez-moi de la pluie).
Excellente nouvelle, ils ont retrouvé toute leur verve et leur énergie, leur sens du (bon) mot, ainsi que la finesse et l’intelligence avec lesquelles ils croquent leurs personnages.
C’est enlevé, drôle, parfois spirituel. Sans pour autant tomber dans la redite de leurs précédents films. En effet, le cynisme a laissé la place à un fatalisme sans doute plus lucide et apaisé. Les personnages sont dans l’ensemble attachants (ou fondamentalement horripilants, comme celui de Biolay). Et l’histoire d’amour est même tout à fait charmante.
Le duo a su aussi s’entourer d’un casting rafraichissant et malin, tout en évitant le piège du film choral à noms ronflants (on se souvient douloureusement de l’embarrassante incursion de Jamel dans leur univers). Chaque personnage semble avoir été écrit sur-mesure pour chacun des acteurs, la plupart méconnus mais dans l’ensemble brillants. Ils se croisent et interagissent dans un ensemble cohérent.
Si l’on déplore quelques longueurs et/ou lourdeurs (défaut inhérent au film à sketch), le tout est suffisamment enjoué et ludique pour emporter une adhésion assez massive, notamment grâecs à des trouvailles narratives et une mise en scène solide s’amusant espièglement des codes des contes de fées.
Oui, ça fait vraiment et sincèrement plaisir de les retrouver en forme.

MÖBIUS – 9/20

MöbiusRéalisé par Eric Rochant
Avec Jean Dujardin, Cécile de France, Tim Roth

Synopsis : Grégory Lioubov, un officier des services secrets russes est envoyé à Monaco afin de surveiller les agissements d’un puissant homme d’affaires. Dans le cadre de cette mission, son équipe recrute Alice, une surdouée de la finance. Soupçonnant sa trahison, Grégory va rompre la règle d’or et entrer en contact avec Alice, son agent infiltré. Naît entre eux une passion impossible qui va inexorablement précipiter leur chute.

Avis : Polar déroutant, Möbius déroule son scénario alambiqué et son histoire datée de contre-espionnage sur un rythme hésitant. Resucée étrange d’une guerre froide pourtant largement derrière nous, le film se bat contre une intrigue inutilement complexe et perd assez rapidement son spectateur, par manque de nerfs assez flagrant. Que c’est mou… L’idée d’orienter clairement Möbius sur la relation charnelle entre les deux personnages principaux est intéressante, mais tombe à plat et semble être entretenue artificiellement, la faute à des enjeux trop flous et maladroitement posés. Le couple de France/Dujardin est mal assorti. Non qu’ils soient fondamentalement mauvais, mais deux acteurs à contre-emploi, ça fait sans doute un de trop. De France s’en sort un peu mieux, mêlant ambition et fragilité, même si on la sent en permanence en contrôle. Quant à Dujardin, c’est terrible mais il a beau être dans l’ensemble assez juste, il porte comme un boulet son phrasé si particulier et immanquablement associé à ses précédents rôles comiques. Comme dans le pénible «Le bruit des glaçons» de Berri, on n’y croit pas…
Retour au polar laborieux pour Rochant.