Cinéma | TOP 10 – 2020

A année particulière, Top Ciné particulier. Si le classement des meilleures séries qui suivra un peu plus tard sera, je vous le promets, bien plus copieux, celui des films que j’ai pu voir cette année est presque anecdotique. J’ai même eu un peu de mal à remplir un top 10… N’y figure pas Uncut Gems, que beaucoup de critiques ont placé sur la première marche du podium, mais l’hystérie qui y régnait au cours des 20 premières minutes m’a fait totalement décrocher. Peut-être qu’au cinéma…
Mais allons-y pour ce top 10. Vous pouvez retrouver les chroniques en cliquant sur les titres.

Top 10 |2020
1 – SOUL
2 – LES 7 DE CHICAGO
3 – 1917
4 – DARK WATERS
5 – ÉTÉ 85
6 – ANTOINETTE DANS LES CEVENNES
7 – MANK
8 – THE GENTLEMEN
9 – ENORME
10 – LA FILLE AU BRACELET

Cinéma | SOUL (Disney+) – 17/20

De Pete Docter, Kemp Powers
Avec Jamie Foxx, Tina Fey

Chronique : Après le départ plus au moins subi de John Lasseter, papa de Toy Story et l’homme à l’origine des premiers succès de Pixar, Pete Docter en est devenu la figure artistique historique. Son nom est immédiatement synonyme de filiation avec ses succès passés, quand le studio enchainait les chefs d’œuvre sans rien craindre de la concurrence. Son dernier film en tant que réalisateur date d’il y a 5 ans, il s’agissait de Vice Versa et c’était un petit bijou. Depuis, le studio a alterné bons films (Coco, Les Indestructibles 2, Toy Story 4) et très moyens, voir ratés (Le monde de Dory, En Avant, Arlo), mais aucun long métrage majeur. Il perdait de sa superbe et laissait ses concurrents contester son hégémonie dans le monde de l’animation (Dreamworks avec Dragons, Sony avec Spider-man : Into the Spiderverse et même leurs cousins chez Disney avec Vaina ou Zootopia)
Le retour aux affaires de Pete Docter, même sur Disney+, sonne le retour de Pixar au premier plan.
Soul est d’une virtuosité formelle et d’une richesse narrative éblouissantes. L’auteur-réalisateur se saisit comme à son habitude de concepts abstraits, mais les traduit à l’écran avec une épatante simplicité.
Il déroule une réflexion poussée et immédiatement compréhensible sur le passage vers l’au-delà, traitant frontalement mais ludiquement de la mort, et théorise sur la part de déterminisme et de libre arbitre ou encore sur le sens de notre place ici-bas.
Tout un programme exécuté avec beaucoup d’humour qu’il rend incroyablement vivant en divisant son récit sur deux univers, l’un bien réel, le New York dans lequel Joe essaie de se réaliser en grand musicien, et l’autre conceptuel, le Grand Avant où les nouvelles âmes attendent d’être « complétées » pour qu’on leur attribue un corps humain et être envoyées sur terre, ce que Âme 22 refuse catégoriquement.
Le jour où Joe a un accident, son âme se retrouve en transit dans ce Grand Avant et rencontre 22. Commence alors un buddy movie d’une grande drôlerie et d’une profondeur remarquable.
Soul prend dans sa narration plusieurs virages, dont un twist inattendu et irrésistible, sans jamais souffrir de moments faibles. La qualité de l’animation est folle, s’aventurant dans plusieurs styles, toujours avec goût et à propos, car la mise en scène fourmillant d’idées de Pete Docter est toujours au service de son histoire. Un récit érudit qui fait confiance en son spectateur pour appréhender son exigence, qui l’amuse autant qu’il le questionne et l’émerveille. En effet, le photoréalisme de New York est aussi convaincant que l’onirisme dans lequel baigne le Grand Avant. Soul garde cependant en permanence une cohérence visuelle que les gimmicks irrésistibles des personnages amplifient, tout en réservant quelques surprises. L’idée derrière le personnage du comptable est ainsi absolument géniale.

Soul se place dont très haut dans la filmographie de son auteur, et par conséquent de Pixar. Il retrouve ce que les films du studio n’auraient jamais dû perdre, l’ambition d’allier la richesse technologique à l’exigence narrative, cette recherche permanente du sens en même temps que de l’émerveillement. Soul rassemble ces qualités-là. Et replace confortablement Pixar, au moins pour un moment, sur le trône qu’il avait quitté.

Synopsis : Passionné de jazz et professeur de musique dans un collège, Joe Gardner a enfin l’opportunité de réaliser son rêve : jouer dans le meilleur club de jazz de New York. Mais un malencontreux faux pas le précipite dans le « Grand Avant » – un endroit fantastique où les nouvelles âmes acquièrent leur personnalité, leur caractère et leur spécificité avant d’être envoyées sur Terre. Bien décidé à retrouver sa vie, Joe fait équipe avec 22, une âme espiègle et pleine d’esprit, qui n’a jamais saisi l’intérêt de vivre une vie humaine. En essayant désespérément de montrer à 22 à quel point l’existence est formidable, Joe pourrait bien découvrir les réponses aux questions les plus importantes sur le sens de la vie.

Série | ANGELS IN AMERICA (OCS) – 17/20

Revoir Angels in America….
Lorsque j’ai découvert la série, il y a bien longtemps, elle m’avait profondément impressionné et durablement marqué.
Par son casting, étincelant. Al Pacino, Meryl Streep, Emma Thomson, Mary-Louise Parker ou encore Jeffrey Wright dans son plus beau rôle. Comme pour accentuer sa portée opératique et sa source originelle, la scène, certains y jouent plusieurs rôles, des visions, des mirages ou des êtres bien réels.
Par ce dont elle traitait. Angels in America est une des premières séries mainstream à aborder de front l’épidémie du sida.
Par son traitement et sa mise en scène, entre onirisme déchirant et crue réalité. Son réalisateur Mike Nichols parvient à transcender le matériel théâtral à se disposition pour en faire une œuvre de télévision majeure, ample et novatrice.
Par ses personnages, complexes, peu aimables pour la plupart mais si bien construits qu’on s’y attache quasi-instantanément. Ils sont tous le visage d’une époque.
Revoir Angels in America 15 ans plus tard est une expérience toujours aussi forte. Elle n’a pas vieilli, est toujours aussi pertinente, et peu de mini-séries se sont élevées à ce niveau depuis.
Un des plus beaux bijoux du catalogue HBO

Cinéma | LE BLUES DE MA RAINEY (Netflix) – 13,5/20

De George C. Wolfe
Avec Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo

Chronique : Le blues de Ma Rainey est l’adaptation d’une pièce à succès de Broadway et ne fait pas grand-chose pour le cacher. Au contraire, le film capitalise sur le huis-clos (2 lieux, le studio d’enregistrement et le sous-sol où les musiciens répètent), pour offrir des discussions à bâtons rompus entre ses personnages et créer une tension immédiatement palpable que l’ambiance caniculaire et poisseuse renforcent visuellement. C’est verbeux, mais riche et précis, et met surtout en exergue de grandes performances d’acteurs. Dans son dernier rôle, Chadwick Boseman est habité, bouillant d’intensité, passant de la colère à la séduction avec parfois une pointe d’insolence. Mais c’est surtout Viola Davis qui renverse tout sur son passage. Maquillée comme un camion volé, le sourire bardé de dents en or, la démarche lourde, suintante, elle déborde d’un charisme et d’une autorité absolus.
Ces performances sont au service d’un message politique fort et dont la démonstration est à la fois intelligente et intelligible. Au début des années 20, alors que les artistes noirs américains, encore porteurs des stigmates de l’esclavage, migrent vers le nord des Etats-Unis et sont plus que jamais les victimes d’un racisme systémique, Ma Rainey tente d’exister pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle vaut. Malgré son statut de chanteuse à succès et poule aux œufs d’or pour ses producteurs, la chanteuse n’est pas dupe de ce qu’elle représente à leurs yeux. Ses colères, ses exigences, sa grande gueule sont en définitive les seules armes dont elle dispose pour obtenir la considération qu’elle mérite et la reconnaissance d’un travail que Levee, le personnage interprété par Boseman, n’a pas les moyens de défendre et dont il va finir par se faire spolier.
Au-delà du témoignage historique, Le Blues de Ma Rainey offre une lecture puissante sur l’appropriation du talent des artistes noirs par l’industrie musicale de l’époque pour les travestir en succès de l’Amérique WASP. Sa puissance dramatique reste très (trop ?) théâtrale, mais elle sert incontestablement son message politique.

Synopsis : Les tensions s’exacerbent et les esprits s’échauffent au cours d’une séance d’enregistrement, dans le Chicago des années 20, tandis que plusieurs musiciens attendent la légendaire Ma Rainey, artiste avant-gardiste surnommée « la mère du blues ». Arrivant en retard, l’intrépide et volcanique Ma Rainey se lance dans un bras de fer avec son manager et son producteur blancs, bien décidés à lui imposer leurs choix artistiques. Tandis que les musiciens patientent dans la salle de répétition, l’ambitieux trompettiste Levee, attiré par la copine de Ma, est déterminé à faire sa place dans le milieu de la musique. Poussant ses camarades à se confier, il provoque un déferlement d’anecdotes, de vérités et de mensonges qui bouleverseront à jamais le cours de leur vie…

Docu-Séries | SEDUCED : INSIDE THE NXIVM CULTE – 15/20 | ROOM 2806 – 13/20

SEDUCED : INSIDE THE NXIVM CULTE (Docu-Série Starzplay) – 15/20

Récit effarant sur le pouvoir d’embrigadement et de destruction des sectes, Seduced dissèque les méthodes effroyables du culte NXIVM pour recruter puis asservir ses membres. Considéré comme l’un des organismes les plus dangereux des ces 20 dernières années, NXIVM attire d’abord grâce à ses programmes de développement personnel, en apparence inoffensifs, en mettant en avant les bienfaits de la communauté à travers des outils de communication accrocheurs parfaitement pensés. Comme India Oxenberg, jeune fille intelligente et aisée vivant à Hollywood (sa mère jouait dans Dynastie) dont le témoignage sert de fil rouge à la série, ce sont rarement des âmes torturées qui y sombrent.
Le documentaire révèle les rouages psychologiques et financier employés par la secte pour ferrer et aliéner ses proies. Du recrutement au sacrifice ultime qui consiste à devenir volontairement l’esclave sexuel du gourou Keith Raniere (qui ne ressemble pourtant pas à grand-chose) Seduced décortique les étapes du piège qui se referme sur ses victimes et les mécanismes de l’endoctrinement. Valorisées puis frustrées de ne pas pouvoir monter en grade, elles sont prêtes à tout pour satisfaire leur hiérarchie, persuadées que c’est pour leur bien. Quitte à justifier les expériences médicales les plus révoltantes, l’incitation au viol, la pédophilie et, finalité de l’entreprise de Raniere, l’esclavagisme sexuel.
Le montage est particulièrement bien travaillé, parvenant à faire progressivement monter la tension au fur et à mesure qu’on découvre l’horreur derrière NXIVM. Les réalisateurs alternent entre les témoignages, des extraits du matériel promotionnel de la secte pour illustrer son pouvoir de séduction et des animations au crayon aussi belles que terrifiantes pour montrer le calvaire de ses pauvres filles.
On a vraiment l’impression de pénétrer l’antre du mal, un enfer dont le maitre aurait la gueule d’un geek VRP de province…

ROOM 2806 (Docu-Série Netflix) – 13/20

Série docu bien foutue sur l’affaire du Sofitel, qui confronte assez objectivement les points de vue. Elle insiste bien sur quelques zones d’ombre comme cette grosse somme d’argent perçue par Diallo ou ces agents de sécurité qui se sautent dans les bras après l’avoir convaincue de porter plainte , mais elle n’appuie jamais la théorie du complot et s’avère plutôt être une radiographie du personnage DSK et de ses démons. On n’apprend fondamentalement pas grand-chose, mais il est assez fascinant de mettre en perspective la carrière de DSK et les évènements qui se sont déroulés le 15 mai 2011 à New-York alors qu’il allait se lancer dans une campagne qui devait lui offrir un destin présidentiel.
Ce suicide politique et social, cette manière de jouer constamment avec le feu sont tout bonnement incompréhensibles. Soit il se pensait intouchable, soit il n’avait inconsciemment aucune envie de diriger un pays et s’est sabordé, mais en détruisant tout ce qu’il avait (en apparence) construit jusque-là. Et assurément sans anticiper la violence de la police et des médias new-yorkais.
Le document est ponctué de nombreuses interviews de ses proches, souvent consternants de mansuétude envers l’« ancien monde » et « ce séducteur libertin », se refusant à le voir comme un prédateur sexuel dépendant à une sérieuse addiction.
Une série documentaire bien ficelée et plutôt sobre au regard du sujet.

Séries | DES (Mini-Série) – 14/20 | NOW APOCALYPSE S01 – 13,5/20

NOW APOCALYPSE S01 (Starzplay) – 13,5/20

Cinéaste fasciné par la jeunesse américaine, Gregg Araki passe au format sériel avec Now Apocalypse. Comme souvent (à l’exception peut-être du sérieux et bouleversant Mysterious Sky), c’est foutraque et réjouissant, sexy et irrévérencieux. Now Apocalypse est même très, très sexy.
Araki restitue comme personne les états d’âmes d’un jeunesse oisive et peu concernée par les problèmes matériels, qui passe le temps à glander, passer des castings et à baiser. Avec son fil rouge fantastique, provocateur et très WTF, Now Apocalypse se rapproche un peu de Kaboom. Malheureusement, l’intrigue reste très superficielle et le dernier épisode raté tend à prouver qu’Araki se moque un peu de résoudre les arcs narratifs introduits auparavant. En revanche ses personnages sont touchants et attachants et les acteurs qui les interprètent ont autre chose à offrir que leur jolie plastique (autre constante dans la filmo d’Araki). Pour peu qu’on rentre dans leur jeu, les délires bordelo-oniriques de Now Apocalypse se révèlent fun et hautement divertissants.

DES (Mini-série Starzplay) – 14/20

Inspiré d’un fait divers sordide (l’arrestation d’un serial killer ayant séquestré et tué pendant des années de jeunes garçons sans éveiller le moindre soupçon), Des vaut surtout le coup d’œil pour l’interprétation glaçante et ambigüe de David Tennant. Contrairement aux canons du genre, la question n’est pas de savoir qui a commis les crimes, mais pourquoi. Toute la série repose sur la personnalité du tueur, la manière dont il joue avec la police en feignant de coopérer et dont il se sert de son biographe pour brouiller les pistes. Si bien qu’on ne sait pas vraiment s’il est fou ou diablement intelligent (au sens propre). La série, courte (3 épisodes), se déroule en 2 parties, la première se focalise sur la recherche des victimes, sous forme d’enquête/interrogatoire qui rappelle par moment Mindhunter de Fincher, la seconde porte sur le procès lui-même, sans grands effets mais suffisamment terrifiante dès qu’elle se pose sur ce monstre bavard et imperturbable. Si les faits divers vous passionnent, ne passez pas à côté, d’autant plus que Des s’avère aussi être une photographie du chaos social de l’Angleterre de Thatcher du début des années 80.

Cinéma | THE SINGING CLUB (myCanal Première) – 13/20

De Peter Cattaneo
Avec Kristin Scott Thomas, Sharon Horgan, Jason Flemyng

Chronique : Le réalisateur de Full Monty, le film qui définissait à l’époque les standards de la comédie sociale anglaise, s’empare d’une histoire vraie sans doute moins audacieuse que ses apprentis strip-teaseurs, mais au gros potentiel feel-good.
Il s’intéresse à un groupe de femmes de militaires qui, pour s’occuper l’esprit alors que leur moitié part au combat décide de créer une chorale au sein de la caserne.
Soyons honnête, The Singing Club est loin d’avoir la portée sociale et l’efficacité comico-dramatique de The Full Monty. Mais il fait preuve d’une empathie sincère et d’un optimisme touchant.
Peter Cattaneo use de la même habileté pour traiter avec bienveillance et légèreté d’un sujet grave. Cette fois-ci, ce n’est pas le chômage qui pousse ses héroïnes à dépasser leurs peurs et leurs inhibitions, mais la crainte permanente que la grande faucheuse se rappelle à elles. Cette épée de Damocles, cette peur panique qui les étreint dès que sonne leur téléphone sonne ou que quelqu’un frappe à leur porte est le moteur du film. Cet angoisse permanente est gérée différemment par chacune des épouses, ce qui crée la richesse de The Singing Club qui peut alterner entre rires et larmes en fonction des protagonistes de chaque scène. Sans surprise, on rit quand elles commencent à répéter, entre mauvaise foi et fausses notes, on verse une larme lorsque les officiels sonnent à la porte de l’une d’elles.
Le film n’est donc pas avare de clichés et de bons sentiments, mais est parcouru d’une saine énergie, et d’une réelle maitrise du film chorale. Le mélange humour, musique et tragédie est une recette qui a fait ses preuves, The Singing Club ne révolutionne rien, mais il trouve sa propre petite musique, très agréable. Les deux personnages principaux donnent le rythme, deux femmes aux tempéraments bien différents qui vont peu à peu s’apprivoiser (quand on dit que ça ne révolutionne rien). Sharon Horgan, que j’ai pour ma part découvert dans un excellent épisode de Criminal Uk et plus récemment dans This Way up forme un duo savoureux avec queen Kristin. Je sais, je radote, mais quel exquis plaisir de la retrouver dans un rôle où elle peut exprimer son talent pour la comédie, tout en conservant cette classe naturelle et la finesse d’interprétation qui lui permettent d’éviter la caricature d’un personnage trop rigide. Elle contribue beaucoup à faire sortir un peu The Singing Club des sentiers battus.
Un film doudou qui fait du bien lorsque les jours rétrécissent et qu’une pandémie vous éloigne de vos proches.

Synopsis : Yorkshire, 2011. Les soldats de la garnison de Flitcroft sont envoyés en mission à l’étranger. Pour tromper leurs angoisses, leurs compagnes décident de créer une chorale. Elle est dirigée par l’austère mais surprenante Kate Barclay, épouse du colonel. Soudées par une envie commune de faire swinguer leur quotidien, Kate, Laura, Annie et les autres porteront leur  » Singing Club  » jusqu’au Royal Albert Hall pour un concert inoubliable.

Cinéma | MANK (Netflix) – 14,5/20

De David Fincher
Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins

Chronique : David Fincher, qu’on dit en petite forme lorsqu’il réalise l’un des thrillers claustrophobiques les plus stylés de ces 20 dernieres années (Panic Room), s’attaque avec Mank à la genèse de Citizen Kane, élevé au fil du temps au rang de plus grand film de tous les temps.
De fait, Mank doit fondamentalement être regardé à travers le prisme de la mise en abîme. Par son sujet évidemment, un film dans le film, mais on y reviendra. Mais aussi par la manière dont la période qu’il couvre résonne avec la nôtre. Fincher a dû se tourner vers Neflix pour produire un film que les studios classiques ont refusé de financer. Que Mank se retrouve sur une plateforme de streaming est un tournant pour l’industrie, comme l’était la réorganisation des studios au lendemain de la Grande Dépression avec l’apparition des syndicats et la création des « Guild ». Deux révolutions à presque un siècle d’écart.
Mais c’est en disséquant le processus créatif qu’il exprime encore plus nettement cette mise en abîme. Car on retrouve dans Mank les grandes figures ayant inspiré les personnages qui hantent Citizen Kane. Lorsque Herman J. Mankiewicz se voit commander par Orson Wells le scénario de son prochain film avec livraison exigée sous 2 mois, il est cloué au lit, à moitié paralysé après un accident de voiture et peu enclin à régler ses problèmes avec l’alcool qui l’ont déjà sensiblement mis au ban d’Hollywood. L’écriture de Citizen Kane sera pour lui l’occasion de se replonger dans ses souvenirs et de les travestir pour en faire le socle de son script tout en y réglant quelques comptes. Kane est ainsi le calque fictif du magnat de la presse William Heast, initiateur des fake news (nouvelle résonnance à peine voilée à notre temps) dont la position et le pouvoir lui permettent d’influer sur la vie politique locale. Mais c’est peut-être sa relation platonique avec la maitresse de Heast, Marion Davies, qui sera sa plus grande source d’inspiration et symbolise à elle seule les contradictions de Mankievitch et ses conflits intérieurs.
La mise en abîme s’exprime enfin dans le style qu’insuffle Fincher à sa mise en scène, qui s’articule autour de flash-back, comme dans Citizen Kane. D’un point de vue formel, le réalisateur reproduit numériquement avec un sens du détail quasi maladif les codes visuels et sonores des productions de l’entre-deux guerres pour donner l’illusion qu’il a lui-même tourné à cette époque.
Un geste artistique splendide livré dans un écrin noir et blanc aussi clinquant que lugubre, aussi éblouissant que mélancolique. Fincher propose des scènes dantesques et foisonnantes, leur richesse venant autant de leur mimétisme aves les pellicules des années 30 que de l’œil très contemporain de leur créateur (une soirée électorale déformée par les volutes d’alcool, un repas costumé malaisant et tant d’autres).
La limite de Mank réside sans doute dans son intimidante densité. Ses dialogues érudits, ses nombreux personnages iconoclastes, ses références innombrables, en particulier politiques (je n’en avais pas le dixième, merci Wikipedia) donnent le vertige et peuvent facilement vous faire décrocher.
En découle un léger manque d’émotions et de romanesque, une distance entre son spectateur et son héros désabusé et dilettante
Reste que Mank confirme par l’excellence la passion de Fincher pour les génies à la marge, sûrs de leur talent, intransigeants et indifférents aux jugements extérieurs. Mank est de la famille des Lisbeth Salander (Millenium), David Mills (7ven), Robert Graysmith (Zodiac) ou Zuckerberg (Social Network)
Et ne dépareille pas.
Non décidément, ce ne sera pas cette fois que David Fincher réalisera un film moyen.

Synopsis : Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.

Cinéma | MULAN (Disney+) – 11,5/20

De Niki Caro
Avec Liu Yifei, Donnie Yen, Gong Li

Chronique : On peut mettre au crédit de cette nouvelle version Live d’un classique Disney la distance qu’elle cherche à prendre vis-à-vis de la version animée, plus audacieuse que les copier/coller soit inutiles (La Belle et la Bête) soit insipides pour ne pas dire sacrilèges (Le Roi Lion) de ces prédécesseurs.
Mulan 2020 repense la mythologie, l’agrémentant d’une dose de magie proche de l’imagerie super-héroïque et renforçant son message féministe tout en rendant un hommage appuyé aux films de kung-fu et de sabre chinois.
Ce nouveau Mulan lorgne donc plus du côté de Tigre et Dragon que du conte enfantin.
Il y perd en revanche tout humour et deuxième niveau de lecture, et reste désespérément premier degré, orphelin de la légèreté et des clins d’œil des traditionnels sidekicks Disney. Et manque cruellement de romanesque. Les personnages sont plats et sans relief, écrasés par les effets spéciaux et l’esthétisme imposant de la mise en scène de Niky Caro. Car son film est d’une indéniable beauté, les troupes impériales traversant des décors à couper le souffle et le film offrant des chorégraphies de combats parfaitement exécutées. Mais cela ne suffit pas totalement à justifier l’utilité de ce remake, encore une fois bien sage.

Synopsis :Lorsque l’Empereur de Chine publie un décret stipulant qu’un homme de chaque famille du pays doit intégrer l’armée impériale pour combattre des envahisseurs venus du nord, Hua Mulan, fille ainée d’un vénérable guerrier désormais atteint par la maladie, décide de prendre sa place au combat. Se faisant passer pour un soldat du nom de Hua Jun, elle se voit mise à l’épreuve à chaque étape du processus d’apprentissage, mobilisant chaque jour un peu plus sa force intérieure pour explorer son véritable potentiel…
Commence alors pour Mulan un voyage épique qui transformera la jeune fille en une guerrière aux faits d’armes héroïques, honorée par tout un peuple reconnaissant et faisant la fierté de son père.

Séries | THIS WAY UP S01 – 13/20 | STATELESS – 12/20 | CHEYENNE ET LOLA – 13/20

THIS WAY UP (S01 myCanal) – 13/20

Comédie britannique sur la dépression dans la veine de Fleabag ou Chewing-gum, This Way Up aborde comme elles des sujets graves avec légèreté, du cran et sans tabou, et une constante, un féminisme assumé et décomplexé. Si This way Up n’a pas le (très haut) niveau de la série de Phoebe Waller-Bridge, son format concis (6 épisodes de 20mn), son écriture fine et son interprétation sans faille méritent vraiment de s’y attarder.

STATELESS (Mini-Série Netfilx) – 12/20

Passé les deux premiers épisodes un peu brouillons et décousus, Stateless met petit à petit son récit en place et nous éclaire sur le destin tragique de ses personnages. A travers quatre points de vue différents, il pointe du doigts les errements de la politique migratoire Australienne en filmant le quotidien violent et proche de l’inhumain d’un centre de détention. Le droit d’asile, les conditions des détenus, la légèreté avec laquelle leurs dossiers sont traités mais aussi les motivations de leurs gardiens, la série aborde ces sujets inflammables d’un regard qu’elle veut le plus neutre possible. Après son entame laborieuse elle gagne en intensité alors que la situation s’envenime jusqu’à devenir hors de contrôle. Dans le rôle le plus saisissant (une Australienne instable mentalement retenue dans son propre pays) Yvone Strahosky (Handsmaid’s Tale) exprime brillamment tout son potentiel dramatique.
Que ce soit inspiré de faits réels interpelle d’autant plus.

CHEYENNE & LOLA (Mini-Série OCS) – 13/20

Drame policier et social âpre aux allures de western dans une France sinistrée, Cheyenne et Lola est une série solide, à la cinématographie soignée et la mise en scène ambitieuse.
Elle souffre cependant d’approximations dans le jeu regrettables et de dialogues faiblards, surtout imputables au personnage de Lola (le passage sur le lapin frôle le ridicule), mais la dynamique entre les deux femmes, ou plus encore avec leur communauté, crée progressivement un lien avec le spectateur et construit un récit qui finit par susciter l’adhésion et une certaine émotion.
Elle n’est pas parfaite et sans doute trop longue, mais quelque chose de suffisamment fort se passe à l’écran.