LA LOI DU MARCHE – 16/20

La Loi du MarchéRéalisé par Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck

Avis : Le titre du nouveau film de Stéphane Brizé (à qui l’on doit les très réussis Quelques jours de printemps et Mademoiselle Chambon) donne le ton. La loi du marché est un film social, humain, âpre et implacable. Du cinéma vérité dans ce qu’il a de plus noble, mais aussi de plus violent.
La caméra de Brizé livre une lecture brutale du déclassement social d’un homme lambda, une impitoyable démonstration du cercle vicieux que la perte d’un emploi peut enclencher. Cette spirale de l’échec conduit Thierry à adopter une posture de survie, à mettre de côté sa fierté et parfois ses principes pour maintenir sa famille à flots et ne pas sombrer totalement. Par porosité, on devine la même détresse, la même fébrilité chez les personnes qu’il côtoie au jour le jour et qui doivent faire face aux mêmes problématiques.
La loi du marché se révèle en photographie de cette France en crise, crue, dure, mais digne, que l’on regarde droit dans les yeux. Dans une veine documentaire, le réalisateur enchaîne les plans-séquences comme autant de tranches de vie, des instantanées de destins ordinaires saisissants.
Comme dans ces deux précédents films, Stéphane Brizé s’appuie sur le talent immense de Vincent Lindon. Son personnage prend claque sur claque, humiliation sur humiliation, qu’il reçoit avec stoïcisme et dignité. Certaines scènes, comme un atelier de préparation aux entretiens d’embauche virant au procès à charge, sont d’une cruauté terrible. Et c’est Lindon, définitivement le plus grand acteur français, qui nous met une claque. Quelle justesse, quelle présence dans la simplicité. Il est, il ne joue pas. Entouré d’acteurs non professionnels tous épatant et saisissant de vérité, il donne corps et réalité à cette terrifiante loi du marché.
Édifiant et en soi bouleversant

Synopsis : À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?

MAD MAX : FURY ROAD – 15,5/20

Mad Max: Fury RoadRéalisé par George Miller
Avec Tom Hardy, Charlize Theron, Zoë Kravitz

Synopsis : Hanté par un lourd passé, Mad Max estime que le meilleur moyen de survivre est de rester seul. Cependant, il se retrouve embarqué par une bande qui parcourt la Désolation à bord d’un véhicule militaire piloté par l’Imperator Furiosa. Ils fuient la Citadelle où sévit le terrible Immortan Joe qui s’est fait voler un objet irremplaçable. Enragé, ce Seigneur de guerre envoie ses hommes pour traquer les rebelles impitoyablement…

Avis : Trip hystero-punk déversant sa rage dans un décor poussiéreux post-apocalyptique, le nouveau Mad Max s’offre au spectateur comme un furieux et saisissant ballet de tôle, de sang et de feu.
La dimension hautement opératique de l’entreprise prend aux tripes, sonne, éblouit parfois, s’envole dans une maîtrise formelle rarement vu au cinéma. Convoquant dans une ambitieuse harmonie, fulgurances visuelles, embardées sonores et musicales et chorégraphies ébouriffantes de bolides lancés à toute vitesse, Miller délivre un road movie vibrant et spectaculaire. Sa mise en scène affolante et d’une précision d’orfèvre impressionne, si bien que la crainte initiale d’un long métrage que ses excès pourraient rendre épuisant s’estompe vite. La remarquable maîtrise du réalisateur pour cadencer son film au rythme des courses poursuite, exploiter les immenses étendues désertique et ne jamais ajouter l’effet de trop le rend presque aérien et jamais oppressant, malgré la frénésie qui le parcoure. Elle est aussi mise en valeur par une 3D immersive efficace et utile, une fois n’est pas coutume.
Et si Miller fait preuve d’une virtuosité incontestable pour filmer les scènes d’action, son Mad Max est aussi graphiquement bluffant. Couleurs saturées, nuances d’ocres, photo poussiéreuse, l’image semble travaillée comme si elle sortait d’une peinture ou d’une BD, surréaliste mais d’un esthétisme fou. Il assène ainsi au passage quelques claques visuelles (au hasard une tempête de sable, l’apparition des mères, un guitariste dément…), conférant à son film une dimension iconique indéniable. Au-delà de la maestria technique, le réalisateur australien assied un imaginaire baroque à la fois solaire et crasseux, énervé et souffreteux, à l’image des personnages barrés qui le peuplent, et crée un univers cohérent aussi bien visuellement que narrativement.
Certes, ça ne parle pas beaucoup dans Mad Max. Mais tant mieux, car les moments dialogués sont les points faibles du film, si on devait lui en trouver. Si le scénario est basique et surtout prétexte à cette haletante et explosive course poursuite, il a le mérite de révéler un propos féministe assez inattendu, fort et résolument contemporain. Il est d’ailleurs assez clairement exposé que le rôle principal n’est finalement pas Max, incarné par un Tom Hardy grognon et peu charismatique, mais l’impérieuse Furiosa, habitée avec rudesse et passion par la grande Charlize Theron, dont la farouche détermination semble parfois vaciller pour laisser apparaître une faiblesse interdite.
Road movie nerveux et étourdissant, Mad Max s’impose bel et bien comme le blockbuster total, brillant et définitivement moderne qu’il se promettait d’être. Etre à la hauteur de l’attente n’est pas la moindre de ses réussites.

LA TÊTE HAUTE – 10/20

La Tête hauteRéalisé par Emmanuelle Bercot
Avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel

Synopsis : Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver.

Avis : Dès les premières minutes, la crédibilité du projet d’Emmanuelle Bercot en prend un coup. Quelle idée saugrenue de déguiser Sara Forestier en mélange de Jacquouille et Zézette et de l’affubler d’une improbable prothèse dentaire pour incarner cette mère prolétaire immature et instable. Difficile ensuite pour la réalisatrice de conserver une certaine tenue après cette entrée en matière grotesque et caricaturale. D’autant plus que le jeu de Forestier, constamment à côté de l’intention, outrancier et involontairement comique va continuer de plomber le film jusqu’au générique de fin.
Le rôle de la mère, au-delà de son interprète, est symptomatique des défauts de la Tête Haute. Au gré des besoins du scénario, elle est tantôt protectrice et concernée, tantôt démissionnaire et égoïste, sans qu’on nous donne les clés de ces changements de psychologie. Or c’est un écueil qu’on retrouve souvent dans La tête Haute, un scénario qui ne se refuse aucune énormité et qui cèdent à trop de facilités pour qu’on y croie tout à fait. Le parcours de Malony semble se répéter en boucle, entre excès de rage destructeur, passage devant les autorités et clémence de celles-ci, pour repartir de zéro et recommencer. Le film multiplie les lourdeurs de façon assez rédhibitoire dans le but de permettre à l’intrigue de rebondir et de rendre ses personnages attachants coute que coute. Si bien qu’on touche à un misérabilisme factice et artificiel dès qu’on se rapproche du cercle familial.
La tête haute recèle cependant de passages très réussis lorsque l’adolescent se retrouve en Centre Educatif Renforcé. On y ressent une urgence et une tension prégnante, le film touche ici à un réalisme sincère qui se refusait à lui jusque-là, incarné notamment par la présence imposante et subtile des éducateurs. Il touche juste également lorsqu’il rend compte de l’impuissance du système judiciaire à réintégrer le jeune délinquant dans la société, à travers les figures de la juge (impeccable Deneuve) et de son éducateur (Benoit Magimel, très juste). Leur désarroi, leur colère et leur refus de céder au fatalisme sont remarquablement transmis.
Mais si claque il y a dans La Tête Haute, c’est sans aucun doute la révélation Rod Paradot. Boule de colère et de violence incontrôlable, il livre une interprétation rageuse et incandescente de Manory. Le jeune acteur associe charisme, présence (il peut foutre les jetons à certains moments), fragilité et justesse, s’adaptant aux situations et aux autres protagonistes.
A l’instar du cinéma socio-réaliste britannique (au hasard un Andrew Garfiel dans Boy A ou un Jack O’Connell dans 71’), La Tête Haute révèle une gueule et un talent sur lesquels il faudra compter à l’avenir.
Dommage qu’à vouloir être trop écrit, le film finisse par être mal écrit et bancal, et n’atteigne jamais l’exigence et l’excellence de son cousin britannique.

MY OLD LADY – 12,5/20

My Old LadyRéalisé par Israël Horovitz
Avec Kevin Kline, Maggie Smith, Kristin Scott Thomas

Synopsis : Mathias, la cinquantaine, new-yorkais, divorcé et sans ressources, débarque à Paris pour vendre la maison qu’il a héritée de son père. Il découvre alors que ce magnifique hôtel particulier du Marais est habité par une vieille dame de 92 ans, Mathilde, et sa fille, Chloé. Un hôtel particulier que Mathilde a placé il y a bien longtemps en viager, coutume typiquement française que ne comprend évidemment pas cet Américain pragmatique, qui, non seulement se retrouve en plus à devoir payer une rente.

Avis : Première réalisation du dramaturge Israël Horovitz et adaptation de sa pièce Très chère Mathilde, My Old Lady porte la marque du talent de l’auteur américain, géniteur d’une œuvre riche et variée côtoyant l’absurde (fascinant Le Premier) et l’intime (Opus Coeur). Une écriture concise, ciselée et incisive, une finesse dans le traitement des rapports humains et un soin particulier apporté à l’articulation d’un récit se basant sur un réalisme cruel, qu’il enrichit et dramatise avec un humour noir souvent implacable. Si la mise en scène de ce premier film ne se risque à aucune fantaisie, préférant la sobriété à l’audace, elle ne manque pas de charme, un plaisir un peu désuet mais confortable. On regrettera un certain manque de rythme, mais compensé pas l’implication et le talent des acteurs, visiblement ravis de défendre un texte qui gagne progressivement en force et des personnages qui se révèlent plus complexes qu’ils n’y paraissent au fur et à mesure que les secrets se lèvent. Sur un fil tenu entre cabotinage et émotion brute, Kevin Kline porte le film, ses joutes verbales avec la pétillante et vénérable Maggie Smith font des étincelles et sa complicité avec Kristin Scott Thomas est évidente.
Et ce qui commence comme une gentille comédie immobilière se mue progressivement en un drame intimiste et touchant sur le poids du passé, la transmission, et les conséquences de nos actes sur les générations suivantes.
Un poil suranné, pas franchement moderne, mais plaisant et pas si anodin.

UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT – 13/20

Un peu, beaucoup, aveuglémentRéalisé par Clovis Cornillac
Avec Clovis Cornillac, Mélanie Bernier, Lilou Fogli

Synopsis : Lui est inventeur de casse-têtes. Investi corps et âme dans son travail, il ne peut se concentrer que dans le silence. Elle est une pianiste accomplie et ne peut vivre sans musique. Elle doit préparer un concours qui pourrait changer sa vie. Ils vont devoir cohabiter sans se voir…

Avis : En retour de hype depuis la très bonne série de France 2 Chef, Clovis Cornillac surfe sur ces bonnes vibrations pour passer derrière la caméra et proposer une comédie très sympathique, légère et réalisé avec une incontestable sincérité. Film à pitch, c’est-à-dire partant d’un point de départ improbable, Un peu, beaucoup aveuglement a beaucoup de qualités, dont celle, pas la moins évidente, de tenir son concept jusqu’au bout. On perçoit également le soin apporté par Cornillac à l’esthétisme et à la mise en scène, qu’il agrémente de quelques idées réussies en jouant sur les espaces. Le scénario se déroule avec fluidité, entre humour burlesque et romantisme assumé. Il s’appuie sur des dialogues fuyant toute outrance ou mièvrerie et faisant preuve globalement d’un charme piquant.
Le couple Bernier/Cornillac fonctionne très bien, bien épaulé par Philippe Duquesne et Lilou Fogli. Le quatuor est suffisamment convainquant et séduisant pour nous entrainer dans leur histoire peu banale.
Un joli moment.

LE LABYRINTHE DU SILENCE – 14/20

Le Labyrinthe du silenceRéalisé par  Giulio Ricciarelli
Avec Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht

Synopsis : Allemagne 1958 : un jeune procureur découvre des pièces essentielles permettant l’ouverture d’un procès contre d’anciens SS ayant servi à Auschwitz. Mais il doit faire face à de nombreuses hostilités dans cette Allemagne d’après-guerre. Déterminé, il fera tout pour que les allemands ne fuient pas leur passé.

Avis : Lorsqu’un pays se retourne sur les heures les plus sombres de son histoire, cela donne souvent une lecture brutale et sans concession d’un passé plus ou moins proche. C’est ce qui transpire du Labyrinthe du Silence, premier film d’une étonnante maîtrise capturant l’effroi du peuple allemand face à ses propres démons. Extrêmement documenté, il témoigne d’un nécessaire devoir de mémoire, mais se pose aussi comme un thriller passionnant, aux enjeux à la fois personnels et historiques. En mêlant admirablement la petite histoire dans la grande, le réalisateur passionne, interpelle et met aussi en perspective le passé le plus trouble de notre société avec les courants de pensée nauséabonds qui agitent actuellement l’Europe.
Sur l’histoire à proprement parlé, il met en lumière avec force et pudeur l’ignorance, feinte ou réel, de toute un peuple sur les horreurs commises vingt ans plus tôt au nom de l’état de guerre, et plus particulièrement de l’existence des camps de la mort. En refusant toute image de violence ostentatoire (pas d’image de déportés, les photos des exactions nazis ne sont jamais montrées), Le Labyrinthe du Silence refuse tout sensationnalisme et s’affirme, à travers une mise en scène sobre mais remarquable dans sa reconstitution de l’époque, un récit très fluide et un propos très lisible, à la fois comme un témoignage indispensable et un film d’investigation captivant. Le personnage du jeune procureur, interprété avec conviction par Alexander Fehling dont le physique et l’investissement ne sont pas sans rappeler Matthew McConaughey, traduit toute la complexité et le désarroi d’une génération devant composer avec l’héritage terrifiant de leurs ainés.
Ambitieux et salutaire sur le fond, soigné et réussi sur la forme, Le Labyrinthe du Silence est un puissant réquisitoire contre l’oubli qui force le respect.