Cinéma | THE IRON CLAW – 14/20

De Sean Durkin
Avec Zac Efron, Harris Dickinson, Jeremy Allen White

Chronique : The Iron Claw raconte l’histoire de la famille Von Erich qui marqua l’histoire du catch américain au début des années 80 au prix d’un destin tragique.
Le film de Sean Durkin ne se veut pas tant une entreprise de vulgarisation d’un sport dont l’engouement populaire reste un mystère pour moi et dont j’ai définitivement le plus grand mal à comprendre le principe (c’est tout arrangé, non ?…), mais le portrait en clair-obscur d’un clan tout dédié à une cause.
Le cœur de The Iron Claw, c’est véritablement cette fratrie solidaire et soudée autour d’un objectif commun, satisfaire à tout prix l’ambition démesurée que leur père place en eux.
Ce personnage monstrueux, incarné avec autorité par Holt McCallany (Midhunter) est au centre du récit. Figure tyrannique à qui on ne dit jamais non, il inspire autant de respect que de terreur à ses quatre fils, leur imposant de réussir là où lui à échouer. N’auront grâce à ses yeux que ceux qui parviendront à devenir champion du monde de catch, titre qu’on lui a, évidemment, injustement refusé quand il pratiquait le catch. Il n’hésite pas à les pousser à s’entrainer jusqu’à leurs dernières forces, à challenger leurs compétences, leur envie et leur loyauté envers lui. Il va jusqu’à insidieusement les mettre en concurrence en édictant un classement de ses fils préférés, quitte à ébranler la solidité de leur lien. Mais l’amour fraternel semble toujours au-dessus de tout et c’est ce qui rend cette histoire aussi belle que funeste.
Car The Iron Claw s’apparent plus à une grande tragédie qu’à un simple biopic. Dès le départ, la voix de Kevin, l’ainé des Von Erich (Zach Efron, émouvant colosse surmusclé tout en peine intériorisée) annonce un drame inéluctable, une malédiction familiale qui va s’abattre sur eux. La mort plane, certes, mais la seule malédiction qu’on voit à l’œuvre est celle de l’emprise paternelle, de ses névroses et de ses obsessions projetées sur chacun de ses fils et qui ne vont cesser de les tourmenter.
C’est dans l’étude des liens et des rapports de force entre chaque entité de cette famille que le film de Sean Durkin tire sa force et sa singularité. L’amour que se porte les quatre frères, leur complicité sont évidents mais leur solitude face aux exigences toxiques du père pèse indéniablement sur leur relation alors que leur mère préfère ne rien voir, ne rien savoir, refusant de prendre parti, refoulant ses propres angoisses et plaçant ses enfants entre les mains de Dieu (géniale Maura Tierney, comme d’habitude).
La mise en scène rend parfaitement hommage à l’esthétisme des 80s’, des décors aux retransmissions télé, en passant par la musique, et les coupes de cheveux (ah les coupes de cheveux), tout est fait pour nous plonger dans cette fresque familiale dure, tendre et tragique.
A travers le portrait de la famille Von Erich, Sean Durkin questionne les codes virilistes de l’époque. The Iron Claw renvoie une certaine image de l’Amérique, celle des apparences et du statut. Les corps des quatre frères sont musclés, meurtris, sculptés pour réussir, les dents sont serrées et les larmes retenues, mais les cœurs restent, quoiqu’en pense leur père, sensibles.

Synopsis : Les inséparables frères Von Erich ont marqué l’histoire du catch professionnel du début des années 80. Entrainés de main de fer par un père tyrannique, ils vont devoir se battre sur le ring et dans leur vie. Entre triomphes et tragédies, cette nouvelle pépite produite par A24 est inspirée de leur propre histoire

Cinéma | MAY DECEMBER – 14/20

De Todd Haynes
Avec Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton

Chronique : Inspiré de l’affaire Mary Kay Letourneau, un fait divers retentissant ayant fait les choux gras des tabloïds dans les années 90, May December opère une double mise en abîme. Julianne Moore est Gracie, personnage inspirée par Letourneau, qu’Elizabeth (Nathalie Portman) va incarnée dans un futur film.
Ce jeu de miroir entre fiction et réalité offre un terrain idéal à Haynes pour déployer une comédie dramatique piquante et parfois outrancière pour le plus grand plaisir de ses deux actrices. Elles s’en donnent à cœur joie dans ce qui s’avère être un étonnant soap camp. Le réalisateur américain nous ayant plutôt habitué à de grands mélos classieux et pudiques empreint de classicisme, on aura compris qu’avec May December, le réalisateur souhaite faire un joli pied de nez à sa filmographie passée. Si sa mise en scène est riche de nombreux plans malins, en particulier ceux jouant sur le reflet et le mimétisme, elle est moins « propre » qu’habituellement. Le réalisateur n’hésite pas à décadrer son image, à lui associer un grain assez grossier et à jouer sur une musique sur-dramatique, rappelant les séries docus True Crime (on me dit d’ailleurs dans l’oreillette que c’est le générique de Faites entrer l’accusé !). Le rythme est lui aussi plus heurté. Un style un peu pompier qui tranche parfois avec la trivialité des dialogues, ce qui contribue à produire un humour grinçant que va amplifier le rapprochement toujours à la frontière du malsain entre Elizabeth et Gracie.
Haynes a toujours eu un faible pour les destins romantiques contrariés. Ses héros doivent souvent tragiquement taire leur nature ou leurs élans amoureux (Loin du Paradis, Velvet Goldmine, Carol). Dans May December, Gracie aspire à vivre une vie normale avec son mari et leurs 3 enfants. La particularité du couple est que leur relation a commencé quand elle avait 36 ans et lui 12, ce qui l’a logiquement conduit en prison… Haynes ne questionne pas tant que ça la notion de consentement. Le fait qu’elle ait été jugée coupable établit ici factuellement son absence. Mais la visite intrusive d’Elizabeth et ses questions malicieusement orientées vont raviver les blessures du passé et dynamiter un quotidien qu’on devine avoir été long à normaliser. Au point de faire vaciller les certitudes de Joe, le jeune père de famille, qui va pour la première fois questionner son consentement de l’époque. Le réalisateur montre ainsi à quel point on peut tordre la réalité pour se convaincre soit même de son bonheur, sans se soucier des dégâts provoqués sur ses proches. C’est un peu le mantra de Gracie, qui se donne en permanence une apparence de force et de normalité en surjouant la parfaite et comblée femme au foyer. Son entourage est plus ou moins dupe, mais c’est l’irruption de cette actrice destinée à l’incarner à l’écran qui va fendre un peu l’armure qu’elle s’est consciencieusement construite. Elizabeth va la tester en tentant de cerner ses côtés les plus sombre pour mieux se les approprier. Mais ce n’est pas forcément pour déplaire à Gracie qui se plie très volontiers à ce jeu de dupes. Haynes orchestre une savoureuse confrontation entre les deux femmes, toute en œillades, moues provocatrices et répliques bien senties.
Portman semble prendre beaucoup de plaisir à interpréter cette actrice-enquêtrice qui sous couvert d’empathie met bien gentiment le boxon dans cette famille. Moore paraît tout autant s’amuser à la balader dans sa vie et lui montrer ce qu’elle a envie de lui montrer. Elles se jaugent, se jugent, s’apprivoisent pour mieux se manipuler.
Un choc de comédiennes à l’interprétation habitée qui tient toutes ses promesses, jusqu’au trouble que provoque un mimétisme final saisissant. Perdu et déboussolé entre ces deux figures féminines dévorantes, Joe magnifiquement campé par Charles Melton, incarne ave fragilité l’innocence et la sincérité.
Un peu lent certes, parfois atone, May December suscite malgré tout constamment l’intérêt, un poil voyeur, du spectateur. On veut savoir où Haynes veut en venir et quel sera le fin mot de l’histoire. Si le réalisateur nous donne un indice à la fin, c’est bien à nous de nous faire notre propre opinion.

Synopsis : Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.

Cinéma | PAUVRES CRÉATURES – 15/20

De Yórgos Lánthimos
Avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe

Chronique : Avec Pauvres Créatures, Yórgos Lánthimos commet un nouveau geste de cinéma radical.
Sur la forme d’abord, singulière, déroutante même. Il utilise une image concentrique avec un effet Fish-eye, donnant parfois l’impression de filmer à travers un judas, comme s’il souhaitait mettre symboliquement son spectateur dans une position de voyeur. Il débute dans un très beau mais clinique noir et blanc lorsque Bella est encore à Londres avant de le troquer pour des couleurs vives et saturées quand elle part à l’aventure, et y découvre des paysages aussi surréalistes que fantasques. Il impose une imagerie gothico-rétro-futuriste fascinante et grotesque (on pense à Dali), réinventant Lisbonne, Paris ou Athènes et les intérieurs chics des demeures bourgeoises du 19ème siècle avec un stimulant goût du détail.
Mais Pauvres Créatures est tout aussi radical sur le fond. Avec cette fable fantastique empruntant au mythe de Frankenstein, le réalisateur grec aborde frontalement et de manière désinhibée notre rapport au corps, aussi bien du point de vue de la médecine que de la sexualité.
Le scénario, adapté d’un roman graphique, a pourtant tout du projet casse-gueule. Une femme revenant à la vie par l’entremise d’un savant-fou qui lui greffe le cerveau de son enfant à naître, c’est osé. Comme un bébé, Bella a tout à (ré)apprendre, boire, manger, parler, marcher…. Or elle a déjà le corps d’une adulte et les désirs qui vont avec… mais sans les carcans et normes imposés par la société. Elle va découvrir le monde avec un regard neuf et vierge de toute règle sociale et (surtout) patriarcale, étrangère à la méchanceté et au cynisme qui peut y régner, avide de nouveautés et impatiente de satisfaire son propre plaisir. Elle va brouiller les repères des hommes qu’elle va croiser, jusqu’à les rendre fous. D’abord avec naïveté mais de plus en plus consciente de sa force et son pouvoir.
Le récit est en ce sens parfaitement maitrisé, progressant intelligemment au fur et à mesure que Bella se confronte au monde extérieur et se (re)construit une identité, celle d’une femme éprise de liberté et bien décidée à conserver le contrôle de son corps.
Le réalisateur joue autant du malaise que sa réalisation très graphique (violence, nudité) peut provoquer, que d’un humour grinçant dont il ne se départit jamais. Il fait preuve d’un certain savoir-faire dans le burlesque et l’ostentatoire, bien aidé par des acteurs brillants et pleinement investis, William Dafoe, Mark Ruffalo et la jeune française Suzy Bemba en tête. Et il en faut du talent pour exister face au génie de Emma Stone, fascinante en femme enfant avide de liberté. Elle s’empare du destin de Bella Baxter avec une audace sidérante, un culot phénoménal, consciente que ce genre de rôle ne se présente pas deux fois à vous dans une carrière. Son visage aux mille expressions, l’aisance avec laquelle est joue de son corps, la facilité avec laquelle elle passe du burlesque au drame, Emma Stone livre une performance hors norme.
Grâce à sa comédienne et un sens aigu de la narration, Pauvres Créatures finit par arriver exactement là où il veut nous conduire, à une charge anti-patriarcale imparable, d’autant plus remarquable et efficace qu’elle aura été intelligemment et patiemment amenée.
Ce final confirme que ce film ne ressemble à aucun autre, burlesque et déroutant certes mais aussi jubilatoire et exaltant visuellement.

Synopsis : Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.

Série | FOR ALL MANKIND S04 – 15/20 | MONARCH S01 – 14/20 | SLOW HORSES S03 – 14/20

FOR ALL MANKIND S04 (AppleTV) – 15/20

On y est quasiment, l’uchronie nous rattrape presque. Le monde qui s’est développé parallèlement au notre à partir de 1969 passe l’an 2000, alors que Russes et Américains travaillent mains dans la main pour coloniser Mars et se partager les ressources spatiales.
Avec un sens toujours aussi poussé de la dramaturgie, des superbes plans spatiaux et une musique souvent poignante, For All Mankind confirme son statut de grand mélo SF et géopolitique où les destins personnels rejoignent souvent ceux des nations. Cette saison est un poil moins impressionnante que les précédentes car moins centrée sur la conquête que sur les personnages et la cohabitation sur Mars. Elle offre un peu moins de moments épiques mais offre un final parfaitement tendu et parvient sur le fil à délivrer l’émotion qu’elle a toujours su générer. Evidemment, on sera là pour la suite et jusqu’à ce qu’on nous montre les années 2020 de cet autre monde.

MONARCH S01 (AppleTV) – 14/20

Alors que les films du Monster-Verse sont globalement de piètre qualité (hormis peut-être Skull Island) et que le prochain affrontement entre Kong et Godzilla s’annonce tout aussi vilain, c’est avec curiosité qu’on accueillait le projet de série sur Apple, plateforme réputée pour la qualité de ses productions. Il s’avère que Monarch se situe plus dans les standards d’Apple que des films de Titans. Elle est réussie donc. Au-delà des impressionnants moyens, utilisés avec soin et parcimonie, le scénario tient bien la route, balançant entre le passé récent juste après l’attaque de G en 2015 et le plus ancien, narrant les origines de Monarch. Prenant le temps de développer ses personnages et son intrigue, impressionnante visuellement, la série vaut vraiment le coup d’œil.

SLOW HORSES S03 (AppleTV) – 14/20

Cette nouvelle saison de Slow Horses rentre plus vite que d’habitude dans le vif du sujet. Elle se déploie assez rapidement en un thriller sombre et violent aux enjeux toujours plus complexes qu’ils n’y paraissent. Mais elle ne se départit jamais de son humour noir et de son cynisme, incarné magistralement par Gary Oldman.
La série en elle-même prend de l’ampleur et du coffre au fil des saisons, les personnages gagnent en profondeur, on s’attache vraiment à eux et à leur cohabitation compliquée.
On assiste également à un réjouissant combat des cheffes du MI5 entre Sophie Okonedo et Kristin Scott Thomas. Les quelques images de la saison 4 partagées après le final donnent très envie.

Cinéma | PRISCILLA – 14,5/20

De Sofia Coppola
Avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi

Chronique : L’un des nombreux talents de Sofia Coppola est de savoir filmer les jeunes filles qui s’ennuient sans nous ennuyer. En témoigne son chef-d’œuvre Virgin Suicide, mais aussi les très recommandables Marie-Antoinette, Somewhere ou Lost in Translation.
Priscilla, elle, attend. Elle attend l’autorisation de ses parents pour rejoindre Elvis, elle attend qu’il rentre de tournée, elle attend d’avoir l’âge de pouvoir s’offrir à lui, elle attend qu’il ait apprivoisé son nouveau rôle pour le rejoindre à LA… Elle attend, et forcément elle s’ennuie.
Coppola filme une histoire d’amour et d’emprise à travers le regard d’abord naïf et impressionnable d’une (très) jeune fille. Son âge, 14 ans à leur rencontre, associé à la notoriété du chanteur rend cette relation immédiatement problématique, bien qu’acceptée pas son entourage. Et si comme l’a toujours dit Priscilla Presley, Elvis l’a « respectée » jusqu’à sa majorité, ce qui apparait d’abord comme un geste noble finit par se transformer en moyen supplémentaire pour renforcer sa mainmise sur elle et contrôler ses désirs.
La réalisatrice capture avec finesse et subtilité les ravages insidieux que cette union, déséquilibrée à tant de niveaux, provoque sur son héroïne. La pression mentale des absences d’Elvis, ses colères, ses mensonges, ses infidélités, sans parler des cocktails de médicaments qu’il l’incite à ingurgiter, Coppola fait émerger la face sombre du conte de fées.
Mais c’est pour mieux révéler comment Priscilla va progressivement reprendre le pouvoir sur sa vie, même si cela doit signifier s’éloigner de son grand amour. En cela Priscilla est à sa manière profondément et intelligemment féministe. Sans grand discours, avec discrétion et sans bruyante revendications, juste en montrant une femme décidant de ne plus se laisser dicter sa vie.
Le contraste avec un Elvis amorçant sa mue pour devenir The King, s’encombrant de parasites et d’addictions et faisant le vide autour de lui est saisissant.
La mise en scène évanescente et vaporeuse, la photographie pastel caractéristique de la cinéaste mettent en valeur le jeu de plus en plus affirmé de la jeune Cailee Spaeny, prix d’interprétation à Venise mérité au regard de son incarnation et de sa capacité à traduire l’évolution psychologique de la jeune femme. Elle campe une Priscilla NalaDelReysque, mélancolique et puissante qu’accompagne une musique pop sucrée et acidulée, dont l’omniprésence appuie d’autant plus les silences qu’elle impose.
Habitué aux rôles toxiques, Jacob Elordi compose un excellent Elvis, moins ressemblant qu’Austin Butler dans le biopic de Baz Luhrmann, mais incarnant parfaitement ce qu’il représente, l’irrésistible beauté, le charisme, l’excès, le pouvoir, la manipulation narcissique et finalement l’extrême solitude.
Sofia Coppola livre ainsi un nouveau très beau portrait de jeune femme, finement écrit et élégamment mis en scène, celui d’une ado impressionnable qui va peu à peu s’affirmer et confronter les abus de son prince charmant pour s’extirper de sa prison dorée et marcher vers la liberté.

Synopsis : Quand Priscilla rencontre Elvis, elle est collégienne. Lui, à 24 ans, est déjà une star mondiale. De leur idylle secrète à leur mariage iconique, Sofia Coppola dresse le portrait de Priscilla, une adolescente effacée qui lentement se réveillera de son conte de fées pour prendre sa vie en main.

Séries | COEURS NOIRS S01 – 15,5/20 | SAMBRE – 15/20 | THE CROWN S06 – 12/20

COEURS NOIRS S01 (Prime Video)- 15,5/20

Cœurs Noirs nous plonge dans le quotidien sous tension d’un commando des forces spéciales françaises en Irak après les attentats de 2015, à la recherche de combattants Français de Daesh
Même si on sent qu’elle n’a pas des moyens colossaux, la série compense par une réalisation maline et terriblement efficace. Entre scènes d’action littéralement suffocantes et superbes plans du désert, Cœurs noirs alterne temps forts et respirations. Les missions sont haletantes, la menace permanente, d’autant plus qu’on s’attache à des personnages qu’on sait en sursis.
Cette première saison se termine sur un excellent cliffhanger qui donne envie d’enchainer sur la deuxième. C’est toujours bon signe.

SAMBRE (FranceTV) – 15/20

Série policière captivante sur la traque d’un violeur en série ayant échappé pendant plus de 20 ans à la justice, Sambre surprend positivement tout d’abord par sa structure narrative. On sait dès le départ qui est le violeur, ce qui permet à la série de braquer les projecteurs sur ceux et celles qui l’ont poursuivi. Chaque épisode se concentre sur un personnage différent, qu’on reverra ou non par la suite. C’est un procédé très efficace pour susciter frustration et colère en observant comment le criminel a réussi à s’en sortir pendant si longtemps, par hasard, malchance ou incompétence des autorités. C’est aussi particulièrement odieux de voir le peu de cas qu’il était fait de la paroles des victimes.
Bien filmé, bien réalisé, très bien interprété (mention à Julien Frison fil rouge de la série en inspecteur ayant suivi toute l’affaire, à Olivier Gourmet et Alix Poison), Sambre se place dans le top des meilleures fictions françaises.

THE CROWN S06 (Netflix) – 12/20

La première partie de cette ultime saison est principalement centrée sur Lady Di, forcément, et les derniers mois de sa vie partagés avec Dodi Al-Fayed . Moins politique, plus soap, globalement moins intéressante mais plus juicy, ces premiers épisodes sont malgré tout porté par la toujours aussi troublante ressemblance de Elizabeth Debicki avec la Princesse de Galles. Le saut dans le temps après son accident est très préjudiciable à la série. Le focus est porté sur William, son deuil, sa rencontre avec Kate… quel ennui ! Encore moins passionnant qu’un téléfilm Lifetime. Heureusement, les deux derniers épisodes remettent Elizabeth II sur le devant de la scène, nous rappelant quelle grande série fut The Crown, et donnant (enfin) la pleine mesure du jeu de Imelda Staunton.
Malgré cette dernière saison en-deçà dans ce qu’elle a à raconter, The Crown restera le joyau de Netflix, impressionnant de sa reconstitution historique et à la direction artistique parmi ce qui s’est fait de mieux dans le monde des séries TV.

Cinéma | WINTER BREAK – 15,5/20

De Alexander Payne
Avec Paul Giamatti, Da’vine Joy Randolph, Dominic Sessa

Chronique : En situant Winter Break au début des années 70, Alexandre Payne nous offre une comédie douce-amère vintage irrésistible et une étude de personnages aussi riche qu’enthousiasmante. Et il ne le fait pas qu’à travers son scénario, mais aussi grâce à une mise en scène et une direction artistique qui empruntent les codes des grands classiques de l’époque, du grain épais de l’image à la photographie rétro, en passant par les lents fondus entre les scènes. Payne va même jusqu’à utiliser le logo Universal d’alors. Cela contribue sans doute à conférer à Winter Break le même capital sympathie et la même force tranquille que ses inspirations.
Winter Break raconte comment, dans un collège anglais, un vieux professeur cynique, misanthrope et autoritaire va devoir chaperonner un étudiant resté seul pour les fêtes de fin d’année, secondé par la responsable des cuisines de l’internat qui vient de perdre son fils unique au Vietnam.
Au fil des jours, ces trois personnages vont confronter leurs solitudes, abaisser leurs défenses et progressivement s’ouvrir aux autres. On les découvre plus vulnérables, plus empathiques aussi. La vie ne les a pas épargnés mais leurs blessures vont les rapprocher. Ils vont guérir, un peu, au contact les uns des autres.
Alexander Payne confirme son talent pour cerner l’individu, retranscrire à l’écran la complexité des sentiments qui le traverse et rendre évidentes les interactions entre ses personnages
Grâce à des dialogues d’un naturel confondant, aussi drôles que touchants, le lien qui va désormais unir Angus, M. Hunman et Mary va se matérialiser à l’écran, sans grands effets, juste avec quelques regards et des mots balbutiés.
L’alchimie qui opère entre les comédiens joue aussi beaucoup dans la fluidité et la véracité du récit. Leur connexion émotionnelle est palpable et se renforce au fil des minutes.
Paul Giamatti se voit offrir l’un de ses plus beaux rôles. Il est monstrueux de nuances entre intransigeance, causticité et compassion bien dissimulée. Le débutant Dominic Sessa, étonnant de maturité, épate en étudiant provocateur et insolent. Mais c’est Da’Vine Joy Randolph qui emporte notre cœur. Sa Mary est une boule d’émotion toute en retenu, bouleversante de bout en bout.
La justesse du trio fait passer les 2h15 de Winter Break en un clin d’œil, balançant entre tristesse sourde et bouffées d’humanité. Et la très jolie musique folk rajoute encore à la mélancolie du moment que l’on passe avec eux.
Tendre, moelleux et réconfortant, Winter Break est un très beau film de Noël.

Synopsis : Hiver 1970 : M. Hunham est professeur d’histoire ancienne dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre. Pédant et bourru, il n’est apprécié ni de ses élèves ni de ses collègues. Alors que Noël approche, M. Hunham est prié de rester sur le campus pour surveiller la poignée de pensionnaires consignés sur place. Il n’en restera bientôt qu’un : Angus, un élève de 1ere aussi doué qu’insubordonné. Trop récemment endeuillée par la mort de son fils au Vietnam, Mary, la cuisinière de l’établissement, préfère rester à l’écart des fêtes. Elle vient compléter ce trio improbable.

Cinéma | L’INNOCENCE – 15/20

De Hirokazu Kore-eda
Avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa

Chronique : Grand cinéaste de la famille et de l’enfance (les chef-d’œuvre Nobody Knows, Une affaire de Famille, Tel père, tel fils…) , Kore-eda nous bouleverse à nouveau avec ce drame qui prend place dans un Japon encore très conservateur, étouffé par le poids des traditions et des tabous.
Le réalisateur nippon prend le temps d’installer son histoire et il faut au spectateur appréhender la structure d’une narration à la temporalité éclatée, qui tord et alterne les points de vue.
C’est déroutant et le procédé peut nous perdre au début, mais il permet au réalisateur de mettre en place son récit en y ajoutant très progressivement des briques pour nous aider à le comprendre tout en jouant de fausses pistes et de faux semblants. C’est surtout le cas lors des deux premiers « actes » qui adoptent successivement le point de vue de la mère de Minato puis du professeur qu’il accuse de maltraitance. Tout en restant volontairement évasif, Kore-Eda y expose les conséquences dramatiques de la rumeur et du jugement du statut social. Ce n’est qu’après avoir posé et présenté la vision forcément parcellaire de ceux qui l’entourent que L’Innocence va se recentrer sur Minato, le jeune garçon qui a tout déclenché. Dans une mise en scène élégante et précise, presque aérienne, le réalisateur va mettre en place sa mécanique du drame, subtile et d’une immense pudeur. Il nous remet les clefs de l’histoire de Minato, met des mots et des images sur son mal-être et nous donne les raisons de son mensonge. On comprend tout ce qui nous apparaissait flou jusque-là, c’est violent et dévastateur.
L’Innocence est peut-être moins accessible et évident que certains des meilleurs films de Kore-Eda à cause de la sophistication de sa narration qui empêche dans un premier temps le spectateur d’être tout à fait en empathie avec les personnage, mais son dernier acte et sa conclusion figure sans doute parmi ce qu’il a filmé de plus fort.

Synopsis : Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…

Films de Streamers | SALTBURN – 14/20 | THE KILLER – 13/20 | LE MONDE APRÈS NOUS – 13/20 | MAESTRO – 12/20 | FINGERNAILS – 11/20 | CASSANDRO 11/20

C H R O N I Q U E S

SALTBURN (Prime Video) – 14/20
Après le perturbant Promising Young Woman, Emerald Fennell livre une nouvelle œuvre à l’esthétisme racé et au propos provocateur. La réalisatrice emprunte les codes du thriller psychologique pour raconter une amitié toxique teintée de lutte des classes entre deux étudiants d’Oxford, l’un, Oliver, modeste et mal dans sa peau et l’autre, Felix, aisé, beau et charismatique. Oliver va développer une obsession malsaine et des sentiments contradictoires pour son camarade, que la réalisatrice va explorer lorsque Felix invite Oliver dans son domaine familial pour l’été.
Apparaissent alors les jeux de séduction, de pouvoir et d’influence entre les différents membres de la famille Catton auxquels Oliver va prendre part.
C’est beau et sophistiqué, la musique vrombit et l’image séduit, quitte à flirter avec l’excès. Le scénario surjoue aussi parfois maladroitement l’ambiguïté sexuelle et l’imagerie homo-érotique pour intensifier le mystère qui s’épaissit autour d’Oliver mais offre un dénouement étrangement satisfaisant.
Saltburn est un chouille artificiel sur le fond mais très abouti sur la forme.
Il révèle surtout la puissance évocatrice et le regard perçant de Barry Keoghan et confirme l’irrésistible sex-appeal de Jacob Elordi, révélé par Euphoria. Dès qu’il apparaît à l’écran, quelque chose se produit. La définition d’une star en somme. Ça tombe bien, on peut actuellement le découvrir en Elvis dans le Priscilla de Sofia Coppola.

THE KILLER (Netflix) – 13/20
Après Mindhunter et Mank, Fincher poursuit sa collaboration avec Netflix en proposant un thriller aussi froid et méticuleux que son anti-héros. La mise en scène est évidemment d’une extrême minutie, irréprochable. Préparation, observation, la caméra adopte le point de vue du mercenaire et sa petite mécanique réglée comme du papier à musique. Jusqu’à ce qu’il y ait un raté qu’on devine être le premier et que tout déraille. Il va alors renier ses principes, l’affaire prenant un tour personnel et c’est là tout l’intérêt de The Killer.
Le rythme lancinant, appuyé par une musique à l’avenant, crée une atmosphère particulière et imprime son ton au film : à part une baston impressionnante, il est anti-spectaculaire.
Les enjeux sont par ailleurs assez modestes, ce qui fait de The Killer un Fincher mineur, mais ils sont propices à de bien belles scènes de cinoche qu’éclaire une remarquable photographie.

LE MONDE APRÈS NOUS (Netflix ) – 13/20
Thriller fantastique autant que psychologique, Le Monde après Nous joue avec nos nerfs à l’économie, sans grand effets mais avec un certain talent pour créer des moments forts et ambigus. Sans en être tout à fait un, Le Monde après Nous s’apparente dans sa vision paranoïaque et claustrophobe à un huis clos, ne dévoilant que des bribes d’information, celles que le spectateur partage avec les personnages. Le scénario reste volontairement en surface, n’en dit pas trop pour mieux étudier les personnages et leurs réactions, les petites mesquineries dont ils se rendent coupables et leurs gros défauts (racisme ordinaire, orgueil, lâcheté…). Un thriller d’ambiance donc, qui souffre cependant de sa longueur exagérée et d’un final qu’on pourrait qualifier de « tout ça pour ça ».

MAESTRO (Netflix) – 12/20
La vie de Leonard Bernstein, un des plus grands musiciens américains du 20ème siècle et compositeur de West Side Story. Maestro raconte comment il a difficilement fait cohabiter vie publique et vie privée.
Il y a de vrais éclairs virtuoses dans la mise en scène très démonstrative de Bradley Cooper, en particulier dans la première partie en noir et blanc où il met en abîme le genre de la comédie musicale. Le réalisateur est un peu moins inspiré après l’ellipse temporelle, abusant des plans larges et de longs bavardages. L’interprétation est cependant habitée, autant de la part de Bradley Cooper en homme-orchestre surdoué et égocentré que de Carey Mulligan en femme bienveillante et acceptante, jusqu’à un certain point…
Malgré toutes les qualités formelles de Maestro, on aurait aimé que son parcours artistique soit plus développé , car c’est surtout sa bisexualité et comment elle fut vécue puis subie par sa femme qui occupe le plus de place. À trop parler de sa vie privée, Cooper omet de parler de son rapport à la création et comment il a construit son œuvre. En cela, et malgré le jolie portrait de « femme de » , il ne réédite pas la réussite de A Star is Born qui capturait bien mieux l’influence de la sphère privée sur la création et parvenait à retranscrire parfaitement la notion de muse.

FINGERNAILS (AppleTV) – 11/20
Fingernails se déroule dans une société où une technologie controversée permet aux couples de tester leur amour et s’assurer qu’il est bien réel et partagé.
Anna et Ryan étaient fait l’un pour l’autre, le test l’a prouvé. Mais elle n’en est plus si sûre et décide de repasser le test. Elle est d’autant plus troublée qu’elle développe des sentiments pour son nouveau collègue. On la comprend, il est joué par Riz Ahmed. Peut-elle se fier aux résultats ?
Fingernails est une comédie romantique fantastique portée par un casting bourré de charme mais qui laisse peut de place à l’émotion, alourdie par des tics de ciné indé US et beaucoup de longueurs. Décevant.

CASSANDRO (Prime Video) – 11/20
Biopic de Saúl Armendáriz, un catcheur qui voulait donner ses lettres de noblesse aux Exoticos, une catégorie de catcheurs gays. Le parcours atypique de Cassandro n’est cependant peut-être pas suffisamment hors du commun pour tenir tout un long métrage. Il aurait fallu qu’il soit soutenu par une réalisation moins basique et un scénario moins attendu.
Assez oubliable donc, même si la performance de Gaël Garcia Bernal vaut le détour.