AD ASTRA – 12/20

Ad Astra : AfficheDe James Gray
Avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga

Chronique : Ad Astra est l’histoire d’une quête ou plutôt d’une résolution, celle d’un Œdipe aux confins de l’univers. Comme pour la plupart de ses films, James Gray tord et détourne les codes du film de genre (films mafieux, d’aventure, SF cette fois-ci) pour mener une exploration de l’intime, où la famille tient généralement une place centrale.
Ad Astra ne fait donc pas exception. Spectaculaire et introspectif, c’est un périple intergalactique dantesque aux images vertigineuses auquel nous invite James Gray. Souvent contemplatif à l’image de son héros taciturne, Ad Astra peut aussi surprendre avec des scènes d’action haletantes et anxiogènes (une course-poursuite sur la lune, une mission de sauvetage dans un centre médical spatial).
La mise en scène de James Gray est d’une force implacable et d’une indéniable élégance. La photographie impressionne, la scénographie et sa multitude de décors (intérieurs ou spatiaux, majestueux) tout autant et le sound design, entêtant, ne laisse jamais le silence s’installer.
Ad Astra assume sa singularité, une odyssée spatiale unique et ample, visuellement époustouflante.
Peut-être trop… La quête de sens du personnage de Pitt, que l’acteur manifeste principalement par un regard buté et en serrant la mâchoire, son obsession à trouver sa place dans le monde, ici l’univers même, sont certes des piliers du cinéma de Gray, mais le degré d’abstraction de Ad Astra (peut-être dû à la SF) le rend moins évident, moins « humain ». Contrairement à la filmographie passée de Gray, Ad Astra donne l’impression de se prendre beaucoup trop au sérieux. Il arbore une gravité excessive, symbolisée par cette voix off dramatique à l’excès, à la limite du grotesque (et qui m’a fait sortir du film à chaque passage).
Peut-être est-ce pour masquer un scénario moins poussé que dans ses précédents films, des personnages moins complexes, plus lisibles, toujours est-il qu’il fascine et émeut moins…
Définitivement marquant, impressionnant formellement, Ad Astra laisse perplexe sur ce qu’il veut raconter et comment il l’adresse. Une déception. Mesurée, mais tout de même.

Synopsis : L’astronaute Roy McBride s’aventure jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers.

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU – 16/20

Portrait de la jeune fille en feu : AfficheDe Céline Sciamma
Avec Noémie Merlant, Adèle Haenel

Chronique : Film féminin plus que féministe, intelligent, retenu et ample, Portrait de la Jeune Fille en Feu est un geste artistique d’une impressionnante maitrise formelle autant que l’histoire aboutie d’un amour interdit, porté par un vibrant élan romantique.
Et c’est beau. Très beau.
Céline Sciamma prend le temps des regards peu assurés, du trouble qu’ils provoquent et de la crainte de les interpréter pour lentement faire émerger un désir finalement assumé.
Une passion autant intellectuelle que charnelle, l’art, que ce soit la peinture ou la littérature étant le vecteur des sentiments croissants entre les deux héroïnes.
Malgré un style un peu corseté, mais auquel on se fait très vite, les dialogues sont précis, crédibles et riches de sens, mettant en valeur des non-dits tout aussi explicites.

Le huis clos qu’installe la réalisatrice, mais qui s’ouvre cependant par intermittence sur des extérieurs splendides, est un espace de liberté rare et précieux pour y déployer son scénario. Un modèle du genre dans la manière de faire évoluer ses personnages par étape et traiter en fond de la condition féminine (mariage forcé, avortement clandestin, accès interdit à l’art), en éliminant toute figure masculine. Sa direction d’actrice est en ce sens parfaite, Héloïse et Marianne se transforment, s’ouvrent et deviennent de plus en plus lumineuses. Leurs interprètes, Adèle Haenel et Noémie Merlant sont habitées, intenses. Magnifiques.
Si Céline Sciamma a remporté le prix du scénario à Cannes, sa mise en scène aurait tout autant, si ce n’est plus, mérité d’être distinguée.
Chaque cadre est pensé dans l’espace et le temps, conscient de ce qu’il dévoile de ses héroïnes, capturant telle une ultime mise en abîme le rapport de l’artiste et son modèle, le regard que porte la première sur la deuxième, le rapport de force qui évolue et s’inverse.
Sciamma agence les corps pour composer des tableaux vivants, des portraits éloquents et des paysages splendides.
Un moment suspendu, hors du temps.

Synopsis : 1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde

DEUX MOI – 13/20

Deux moi : AfficheDe Cédric Klapisch
Avec François Civil, Ana Girardot

Chronique : Cinéaste réputé pour sa maîtrise de l’effet de groupe, qu’il soit amical, familial ou professionnel (ou tout en même temps), Cédric Klapisch joue du contre-pied avec Deux Moi, comédie trompeusement romantique sur les nouvelles solitudes, celles du monde moderne & ultra-connecté des grandes métropoles
Son film ausculte littéralement le manque de sens du quotidien de deux trentenaires, voisins sans jamais se voir. Littéralement car leur parcours est séquencé par des séances avec leur psychothérapeute respectif (Berléand/ Cottin, duo réjouissant) qui vont avoir une influence majeure sur leur évolution (Klapisch doit avoir une expérience personnelle très positive avec cette profession).
Le ton doux-amer et volontairement désenchanté peut parfois plomber un peu le propos, d’autant que Klapisch pousse assez loin l’archétype du célibataire à Paris, le privant d’amis et de quasiment toute connexion sociale. Un ressort qui peut être aussi bien comique qu’anxiogène.
Le réalisateur trouve cependant un très bon équilibre entre les histoires de Rémy et Mélanie, qui se croisent sans se voir, se ratent d’un rien et dont on se demande en permanence s’ils vont enfin finir par se rencontrer. De jolies idées de mise en scène viennent illustrer ces quêtes du moi, diffusant sur le film un charme et une délicatesse qui doivent beaucoup au couple d’acteurs qui les incarnent, Civil et Girardot, déjà réunis par Klapisch dans t’excellent Ce qui nous lie.
Ils donnent un quelque chose de réconfortant à ce feel not that good movie.

Synopsis : Rémy et Mélanie ont trente ans et vivent dans le même quartier à Paris. Elle multiplie les rendez-vous ratés sur les réseaux sociaux pendant qu’il peine à faire une rencontre. Tous les deux victimes de cette solitude des grandes villes, à l’époque hyper connectée où l’on pense pourtant que se rencontrer devrait être plus simple… Deux individus, deux parcours. Sans le savoir, ils empruntent deux routes qui les mèneront dans une même direction… celle d’une histoire amour ?

LES HIRONDELLES DE KABOUL – 14/20

Les Hirondelles de Kaboul : AfficheDe Zabou Breitman, Eléa Gobbé-Mévellec
Avec Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud

Chronique : Les Hirondelles de Kaboul est avant tout un choix artistique. Celui d’opter pour la douceur de l’animation à la main et l’opposer à la violence qu’exprime le roman de Yasmina Khadra.
Un choix d’une beauté intemporelle. L’aquarelle donne une empreinte unique au film de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, le dotant de plans splendides et épurés. Il en résulte une œuvre riche et éblouissante qui contraste avec la dureté et l’horreur du régime taliban qu’elle décrit.
En transcrivant au pinceau les mouvements réels d’acteurs aussi solides que Simon Abkarian ou Swann Arlaud (le projet était à l’origine prévu en live), Les Hirondelles de Kaboul touche un rare degré d’incarnation. C’est une pleine réussite plastique, une merveille graphique, qui est d’autant plus pertinente qu’elle dénonce un état qui condamne toute forme d’art. La beauté épouse ici l’effroi.
Le récit suit deux couples dont les destins vont se croiser, un geôlier et sa femme malade et deux jeunes idéalistes avides de liberté. Le geste dramatique et incompréhensible de l’un d’entre eux va avoir des conséquences dramatiques. Ce récit poignant bien qu’un peu simpliste par moment est un socle solide pour Les Hirondelles et le situe aussi bien sur le territoire de l’intime que politique. Sans vraiment nous apprendre plus que l’on ne savait déjà, c’est un nouveau témoignage important, un nouveau discours d’émancipation contre l’intégrisme et l’obscurantisme. S’il n’évite pas quelques longueurs, son impact est fort et résonne longtemps. Un geste artistique peu commun.

Synopsis : Été 1998, Kaboul en ruines est occupée par les talibans. Mohsen et Zunaira sont jeunes, ils s’aiment profondément. En dépit de la violence et de la misère quotidienne, ils veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies.

LA VIE SCOLAIRE – 10/20

La Vie scolaire : AfficheDe Grand Corps Malade, Mehdi Idir
Avec Zita Hanrot, Liam Pierron, Soufiane Guerrab

Chronique : Après le réussi Patients qui mixait comédie et drame en faisant habilement cohabiter vannes et bons sentiments, le duo Grand Corps Malade / Mehdi Idir reprend la même formule en déplaçant l’action de l’hôpital aux salles de classe.
La Vie Scolaire suit ainsi sur un an la vie d’une classe de 3ème en ZEP à Saint-Denis, ainsi que le quotidien de la nouvelle CPE du collège.
Malheureusement, les deux réalisateurs ont cette fois moins de succès dans la construction de leur chronique. Trop écrit pour avoir une dimension documentaire, trop banal dans ses enjeux pour réellement captiver, le film ronronne et tourne un peu à vide. Certes, il peut être drôle, mais généralement par le biais de saynètes inégales. La Vie Scolaire est poussif dans sa narration, attendu dans son scénario, malgré la belle énergie de jeunes acteurs dans l’ensemble assez justes.
Sur un sujet similaire, Entre les Murs convainquait autrement.

Synopsis : Une année au coeur de l’école de la république, de la vie… et de la démerde ! Samia, jeune CPE novice, débarque de son Ardèche natale dans un collège réputé difficile de la ville de Saint-Denis. Elle y découvre les problèmes récurrents de discipline, la réalité sociale pesant sur le quartier, mais aussi l’incroyable vitalité et l’humour, tant des élèves que de son équipe de surveillants. Parmi eux, il y a Moussa, le Grand du quartier et Dylan le chambreur. Samia s’adapte et prend bientôt plaisir à canaliser la fougue des plus perturbateurs. Sa situation personnelle compliquée la rapproche naturellement de Yanis, ado vif et intelligent, dont elle a flairé le potentiel. Même si Yanis semble renoncer à toute ambition en se cachant derrière son insolence, Samia va investir toute son énergie à le détourner d’un échec scolaire annoncé et tenter de l’amener à se projeter dans un avenir meilleur…