MOMMY – 14/20

MommyRéalisé par Xavier Dolan
Avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément

Synopsis : Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d’équilibre et, bientôt, d’espoir.

Avis : Oui, Xavier Dolan peut-être agaçant. Mais Xavier Dolan est génial. Un indéniable surdoué. Il est d’ailleurs peut-être agaçant parce qu’il sait qu’il est génial. Ou pas. Car Xavier Dolan ne fait finalement que traduire à l’écran une culture pop dont il se fait l’exquis porte drapeau, une influence qu’il fait plus que revendiquer, qu’il brandit comme l’insigne de son art baroque. Au fond, il n’y a pas de calcul dans l’œuvre de Dolan. Il filme littéralement ce qu’il a dans la tête. Et comme il se passe beaucoup de chose dans sa tête…
Le jeune réalisateur a conscience de la force de son cinéma, de la puissance émotionnelle et évocatrice d’une chanson éculée sur des images pastels, de l’imaginaire que véhicule un ralenti (il les adore), du choc que peut procurer un changement de plan brutal.
Le malentendu vient sans doute du fait qu’il ne s’excuse pas de faire un cinéma souvent outrancier, parfois kitch, éminemment populaire donc, mais fondamentalement sincère. Ce sont autant de souvenirs et de références qui l’ont marqués qu’il emprunte pour construire ses histoires.
Mommy est donc l’expression des ses influences et de sa singularité, à l’image de ses quatre premiers longs métrages.
Beaucoup l’ont érigé comme le film de la maturité, mais cela fait deux films que Xavier Dolan prouve qu’il a gommé les scories de ses débuts . Laurence Anyways était d’une remarquable concision, d’un esthétisme terrassant et d’une grande sensibilité. Et que dire de l’âpreté et de la complexité de Tom à la ferme ?
Or Mommy retombe parfois dans quelques travers Dolanien, l’hystérie par moments, l’excès mal contenu, des effets qui peuvent apparaître forcés. C’est rare, mais suffisamment présent pour le priver du statut de film total (et Palmable) auquel il aspirait.
Parce qu’au-delà de ça, Mommy est incontestablement un grand film.
Parce qu’il repose sur une idée formelle qui n’a rien d’un artifice.
Parce qu’il met en scène des personnages d’une densité folle.
Parce que leurs interprètes sont monstrueux de charisme.
Parce que Dolan est capable de vous renverser de votre chaise par des fulgurances foudroyantes.
Parce qu’il vous achève avec des uppercuts émotionnels que vous n’aviez pas vu venir.
En limitant l’écran à un carré étriqué, Dolan modifie la perception du spectateur, l’incite à rester avec ses personnages, créant une intimité parfois impudique, mais particulièrement engageante. Et quels personnages ! Si la figure maternelle a toujours été au cœur du cinéma de Dolan, Die (impériale Anne Dorval) en est l’incarnation ultime. A la fois femme indépendante, mère apeurée et amie surprotectrice, elle forme avec son «gars » (Antoine-Olivier Pillon, une révélation) un couple mère-fils fusionnel et vibrant. L’arrivée de la discrète Kira, bien loin de les éloigner, va leur apporter une stabilité, certes fragile, mais qui leur permettra de sortir un peu de la boule de violence dans laquelle ils s’enfermaient, et lui offre à elle un échappatoire à un quotidien plombant, où plane l’absence du fils. C’est une fable filiale et passionnelle que le réalisateur exécute, une œuvre qui ne s’encombre pas du réalisme à tout prix, mais convoque un imaginaire riche et dense, un symbolisme tout aussi évocateur.
Au-delà de la métaphore sur l’enfermement et du repli sur soi, le choix d’un cadre restreint offre de formidables possibilités narratives, dont Dolan se saisit avec gourmandise. Et excès, oui. C’est la limite de Mommy, qui n’atteint pas à mon sens la poésie furieuse des Amours ou de Laurence, même si la puissance de son cinéma reste intacte. Et son talent inattaquable.
Son prochain film sera en anglais. Avec Jessica Chastain. C’est peu dire qu’on a hâte de voir ça.

TOM A LA FERME – 15/20

Tom à la fermeRéalisé par Xavier Dolan
Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy

Synopsis : Un jeune publicitaire voyage jusqu’au fin fond de la campagne pour des funérailles et constate que personne n’y connaît son nom ni la nature de sa relation avec le défunt. Lorsque le frère aîné de celui-ci lui impose un jeu de rôles malsain visant à protéger sa mère et l’honneur de leur famille, une relation toxique s’amorce bientôt pour ne s’arrêter que lorsque la vérité éclatera enfin, quelles qu’en soient les conséquences.

Avis : Xavier Dolan est un surdoué qui ne s’ignore pas. Il fascine ou il agace, mais ne laisse jamais indifférent. En se mettant en scène dans Tom à la Ferme, comme un défi pour prouver qu’il pouvait aussi tenir les premiers rôles, il s’expose encore et prend des risques. Il l’assume pleinement, d’autant plus qu’il choisit de sortir de sa zone de confort, délaissant le drame baroque au style foisonnant, riche, pop et coloré pour le thriller psychologique rural, sombre et crasseux. Evidemment il le fait à sa manière, en lui conférant les codes du film d’horreur, pour créer un long métrage hybride qui fonctionne diablement bien. La scène d’ouverture, magnifique et saccadé plan aérien sur un Moulins de mon cœur chanté a capella, est immédiatement identifiable au style du jeune réalisateur, mais elle l’intègre d’emblée dans un univers plus sombre, plus heurté.

Si son cinéma se fait plus dur, il fait preuve tout de même de nombreuses fulgurances formelles, que le ton âpre transforme en autant de pics émotionnels. Dolan joue sur les ellipses, les zones d’ombre pour installer son huis-clos dans une ambiance hautement anxiogène. Avec pas grand-chose, si ce n’est son ingéniosité et sa maitrise insolente des cadres et du rythme, il propose des moments de tension suspendue, une danse malsaine et ambiguë entre les deux hommes, fascinante, arbitrée par l’image maternelle, figure récurrente et omniprésente du cinéma de Dolan. Moins clairement désignée comme la cause des névroses de sa progéniture, elle ne demeure pas moins l’élément clé du secret et des non-dits.

Mais Dolan laisse sa lubie au second plan, pour livrer une vision à la fois personnelle et très précise du syndrome de Stockholm, qu’on a rarement vu aussi bien traitée. Sa mise en scène millimétrée, l’intensité qui s’en dégage, donne aux réactions des protagonistes une crédibilité imparable.
Angoissant, troublant, fascinant, Tom à la ferme marque une nouvelle évolution dans le travail du réalisateur canadien. Ce garçon est assez bluffant…