Cinéma | LA PROMESSE VERTE – 12/20

De Edouard Bergeon
Avec Alexandra Lamy, Félix Moati, Sofian Khammes

Chronique : Thriller écologico-politique, La Promesse Verte s’empare du scandale de la surexploitation de l’huile de palme en Indonésie et par extension de la tragique déforestation du pays. Le réalisateur Edouard Bergeon articule son réquisitoire autour de l’histoire de Martin, étudiant idéaliste condamné à mort pour avoir été le témoin de ce qu’il n’aurait pas dû voir.
Bien qu’un poil naïf, le film dénonce efficacement la toute-puissance des lobbys, l’hypocrisie des états, l’avidité meurtrière des grands groupes industriels et les limites de la diplomatie internationale. Il nous rappelle que le combat pour faire primer la sauvegarde de la planète avant les intérêts financiers, s’il n’est pas perdu d’avance, relève encore de l’affrontement de David contre Goliath.
Très bien documenté, La Promesse Verte s’avère être un film dossier sérieux, même s’il a plus de mal à déployer ses arcs dramatiques qui l’encombrent plus qu’autre chose malgré les efforts louables de son duo de comédiens Alexandra Lamy / Félix Moati. Le récit manque d’un peu de souffle pour tout à fait convaincre, mais offre de de très belles images de la jungle de Bornéo, ce qui renforce la cinématographie du projet.

Synopsis : Pour tenter de sauver son fils Martin injustement condamné à mort en Indonésie, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels.

Séries | FELLOW TRAVELERS – 15/20 | MASTERS OF THE AIR – 14/20 | POLAR PARK – 14/20

FELLOW TRAVELERS (Canal +) – 15/20

« Love is dangerous » dit l’affiche de la série. Certainement quand on est queer dans les années 50… Fellow Travelers raconte sur quatre décennies une histoire de l’homosexualité, celle de Hawk et Tim. Les rendez-vous cachés, les soutiens souterrains, les suspicions à réfuter à grand coup de poses viriles, les mariages arrangeants…. Et souvent, lutter contre qui l’on est, trouver des stratagèmes pour être avec celui qu’on aime, parfois le trahir. Et affronter un virus mortel et dévastateur.
Matt Bodmer et Jonathan Bailey incarne ce couple maudit. A la séduction provocatrice et l’arrogante assurance de Bomer répond le charme maladroit de Bailey . L’alchimie est évidente.
Construit en flash-back, Fellow Travelers est éminemment politique (on n’en attendait pas moins du scénariste de Philadelphia), débutant aux premières heures du maccarthysme et se concluant alors que culmine l’épidémie de sida.
Tragique et crue, Fellow Travelers éclaire sur les dégâts effroyables causés par l’homophobie et le sida aux histoires d’amour gay des années 50 aux 80’s. Si elle n’atteint pas l’universalité dramatique d’Angels in America ou la force militante de It’s a Sin, séries de référence sur l’histoire LGBT+, elle n’en est pas moins belle, intense et bouleversante.

MASTERS OF THE AIR (AppleTV+) – 14/20

Apple s’offre avec Masters of the Air une série de prestige produite par Spielberg qui clôt le triptyque sur la 2ème guerre mondiale qu’il forme avec Band of Brothers et The Pacific. La direction artistique est aussi ambitieuse que grandiose et orchestre d’intenses et impressionnantes scènes de combats aériens. Formellement, c’est parfait et Masters of the Air nous immerge littéralement dans la brutalité du conflit et la réalité léthale de la guerre.
Dommage que la série manque un peu d’ampleur dramatique. C’est bête, mais le fait de ne pas pouvoir distinguer les personnages dans leur cockpit avec leur masque crée une distance et rend difficile de s’attacher à chacun deux (d’autant plus que la plupart ont une espérance de vie limitée). Il faut attendre les derniers épisodes pour que Masters of the Air délivre sur le fil du romanesque et de l’émotion. Elle est en tout cas formidablement portée par certains des jeunes loups les plus en vue d’Hollywood.

POLAR PARK (Arte) – 14/20

Série policière atypique, Polar Park est aussi amusante dans son ton qu’efficace dans son exécution. Elle déploie avec énergie une enquête mêlant meurtres et œuvres d’art, lançant ses personnages dans un jeu de piste macabre passionnant, doublé d’une quête personnelle pour l’écrivain en mal d’inspiration joué avec brio par Jean-Paul Rouve. L’ensemble du casting est par ailleurs excellent.
Le cadre enneigé et glacial de Mouthe (village le plus froid de France) rajoute à la singularité de Polar Park, qui mélange humour et whodunit avec une rigueur scénaristique jamais prise à défaut. Seul bémol, le dénouement assez peu surprenant s’étire sur deux épisodes, c’est un peu long. Mais Polar Park est une série française vraiment très recommandable.

Cinéma | PAS DE VAGUES – 13/20

De Teddy Lussi-Modeste
Avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe

Chronique : Seulement quelques semaines après La Salle des Profs, sort sur nos écrans un nouveau film avec comme sujet principal un professeur pris dans l’engrenage infernal de la rumeur. Sans doute parce qu’il est inspiré du vécu de l’auteur/réalisateur, Pas de Vagues m’a semblé plus réaliste, le scénario moins forcé que dans le film allemand. Il souffre parfois des mêmes défauts dans la construction de son crescendo, mais de manière beaucoup moins marquée.
Le mécanisme narratif est le même, un fait anodin (ou du moins que n’importe qui penserait anodin) déclenche une réaction en chaîne qui va conduire le principal protagoniste à une situation invivable. Ici une élève accuse son professeur de harcèlement après qu’il l’a prise en exemple pour illustrer un poème. La réaction taquine de la classe va renforcer la mauvaise interprétation de la part de la jeune fille, entraînant très vite Julien dans un tourbillon absurde entretenu par la rumeur et les bruits de couloir. Livré à lui-même, il se heurte au peu de soutien du système et, forcé à faire son coming-out, à une bonne dose d’homophobie. Il doit en outre faire face à l’indifférence de la police, la mesquinerie voire la malveillance de certains de ses collègues, la lâcheté de sa hiérarchie et l’incompréhension de son entourage. Ne pouvant pas s’expliquer et animé par un profond sentiment d’injustice, le jeune homme perd complétement pied.
Si Pas de Vagues n’est pas exempt de maladresses, il ne sombre pas dans le cliché ni la thèse sociale. Il n’ambitionne pas de dresser un état des lieux de l’éducation nationale et se garde bien de faire de l’histoire de Julien une généralité. Le film évolue ainsi progressivement en un thriller social très efficace principalement construit autour du personnage de Julien, magistralement interprété par François Civil, quitte à éclipser les personnages secondaires.

Synopsis : Julien est professeur au collège. Jeune et volontaire, il essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie.
Ce traitement de faveur est mal perçu par certains camarades qui prêtent au professeur d’autres intentions. Julien est accusé de harcèlement.
La rumeur se propage. Le professeur et son élève se retrouvent pris chacun dans un engrenage.
Mais devant un collège qui risque de s’embraser, un seul mot d’ordre : pas de vagues…

Cinéma | SCANDALEUSEMENT VÔTRE – 12/20

De Thea Sharrock
Avec Olivia Colman, Jessie Buckley, Anjana Vasan

Chronique : Tiré d’un incroyable fait divers ayant passionné l’Angleterre dans les années 20, Scandaleusement Vôtre est une comédie old school à l’humour grinçant qui repose autant sur ses dialogues savoureux que sur le tempo imposé par ses comédiennes. Le tout est assez réjouissant, bien que le sujet s’avère un peu léger pour tenir tout un film. Il vaut malgré tout le détour pour l’exceptionnel abattage comique et la complémentarité de ses actrices. L’extraordinaire Olivia Colman est décidément à l’aise dans tous les genres. Elle est hilarante en veille fille pieuse et coincée et trouve en Jessie Buckley, formidable en mère célibataire à la gouaille haute et jurant comme un charretier, la camarade de jeu idéale. Elles sont entourées de seconds rôles féminins truculents qui ajoutent encore du piquant au récit.
Mais au-delà de la farce elle-même, Scandaleusement Vôtre livre une charge anti-patriarcale pas si anodine qui va liées ses héroïne en une étrange sororité tacite, et ce malgré tout ce qui a pu les opposer. A y regarder de plus près, il y a derrière les rires et les grossièretés un propos féministe construit et réfléchi qui fait mouche.

Synopsis : Littlehampton, 1920. Lorsque Edith Swan commence à recevoir des lettres anonymes truffées d’injures, Rose Gooding, sa voisine irlandaise à l’esprit libre et au langage fleuri, est rapidement accusée des crimes. Toute la petite ville, concernée par cette affaire, s’en mêle. L’officière de police Gladys Moss, rapidement suivie par les femmes de la ville, mène alors sa propre enquête : elles soupçonnent que quelque chose cloche et que Rose pourrait ne pas être la véritable coupable, victime des mœurs abusives de son époque…

Cinéma | DUNE : DEUXIÈME PARTIE – 16/20

De Denis Villeneuve
Avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson

Chronique : Avec cette Deuxième Partie, Denis Villeneuve offre à sa vision de Dune un prolongement impressionnant.
En extirpant et remodelant l’essence cinématographique du roman de Franck Herbert réputé inadaptable, le réalisateur canadien construit minutieusement une grande fresque fantastique, intelligente, riche et dense, aux enjeux complexes mais compréhensibles.
Visuellement splendide et fort d’une photographie à couper le souffle, son Dune éblouit et fascine, développant sa propre imagerie SF et un univers cohérent, singulier et unique comme on en n’a plus vu au cinéma depuis très longtemps (peut-être depuis Star Wars?)
Des décors grandioses, la musique vrombissante de Zimmer, une signature sonore unique, Dune est une expérience sensorielle magistrale portée par la mise en scène précise, ample et inventive de Villeneuve. Un peu moins contemplative que dans le premier volet, elle sublime des scènes de combats épiques, nous fait croire à des chevauchés à dos de vers des sables et nous plonge sans crier gare dans un magnifique noir et blanc le temps d’une scène de jeux du cirque qui révèle un nouveau personnage stupéfiant et terrifiant incarné par Austin Butler.
Le scénario soigne et renforce la mythologie introduite par Villeneuve dans la première partie. L’épopée messianique et vengeresse de Paul prend une autre ampleur alors que le personnage commence à rallier à sa cause certains Fremen et à effrayer ses ennemis qui le pensaient mort. Est-il l’élu, est-il Lisan al-gaîb, comme le répète frénétiquement Stilgar (Javier Bardem)?
La dimension religieuse et politique de Dune 2 est encore plus affirmée que dans la première partie. Paul refuse d’endosser le costume de Messie mais se sert de l’espoir qu’il suscite pour construire une armée qui renversera les Harkonnen. Finit-il aussi par y croire lui-même? Et quelle place cela laisse-t-il à l’amour?
La grande force de la mise en scène de Villeneuve est de parvenir à trouver l’équilibre entre ces sujets intimes et les époustouflantes scènes d’action. L’épatante précision de sa réalisation fait qu’il ne filme jamais rien d’inutile, ne fait jamais le plan de trop, offrant à son film une fluidité qui pouvait paraitre peu évidente au regard de la complexité du scénario.
Dune renforce en outre le star power un peu inattendu du frêle Timothée Chalamet, pas loin d’avoir constitué jusqu’ici une filmographie sans faute de goût entre blockbusters intelligents et cinéma indépendant.
Avec son diptyque, Denis Villeneuve crée le space opéra d’auteur, un grand divertissement populaire mais néanmoins exigeant. Après Blade Runner 2049 et Premier Contact (meilleur film SF du 21ème siècle, pour rappel), Denis Villeneuve s’affirme un peu plus comme le nouveau maître du cinéma fantastique. Dune : deuxième partie en est l’éclatante démonstration.

Synopsis : Dans DUNE : DEUXIÈME PARTIE, Paul Atreides s’unit à Chani et aux Fremen pour mener la révolte contre ceux qui ont anéanti sa famille. Hanté par de sombres prémonitions, il se trouve confronté au plus grand des dilemmes : choisir entre l’amour de sa vie et le destin de l’univers.

Séries | EXPATS S01 – 15/20 | LESSONS IN CHEMISTERY – 14/20 | DE GRÂCE – 13/20

EXPATS S01 (Prime Video) – 15/20

Expats est un grand mélo qui se déploie sur 6 épisodes intenses, jouant autant sur le suspense (que s’est-il passé avec Gus?) que sur le développement de personnages complexes tous excellement interprétés.
Les pièces du puzzle se mettent progressivement en place dans une mise en scène chaude et élégante sublimant les rues de Hong Kong. Elle impose un tempo lancinant et entêtant. Derrière (ou malgré) le drame, Expat pointe du doigts les privilèges des ultra-riches, tout en évitant tout manichéisme. Malgré son visage de plus en plus étrange, Kidman demeure la reine incontestée de la nuance et de l’incarnation dramatique.

LESSONS IN CHEMISTERY
(AppleTV) – 14/20

On avait presque oublié qu’elle n’était pas que Captain Marvel…. Brie Larson nous rappelle la grande actrice qu’elle est dans cette série au joli classicisme. Lessons in Chemistery raconte la success story d’une chimiste surdouée qui, pour se faire entendre, accepte la présentation d’une émission de télévision culinaire populaire. Un moyen détourné pour partager ses connaissances scientifiques et répondre aux préoccupations des femmes dans les années 50. Lessons in chemistery remonte le temps pour mieux porter un nouveau coup au patriarcat, pas le plus violent mais très audible. C’est un peu une preuve par l’absurde que déroule la série. La misogynie est là, partout, tout le temps, exaspérante. On ne peut qu’adhérer au féminisme porté sur 8 épisodes et qui nous rapproche naturellement du personnage incarné avec beaucoup de nuance par Brie Larson. Malgré son côté cartésien et parfois austère, on s’attache vraiment au destin tantôt dramatique tantôt joyeux d’Elizabeth . Une nouvelle série à l’impeccable direction artistique et au propos puissant pour AppleTV.

DE GRÂCE S01 (Arte) – 13/20

De Grâce prend pour décor les docks du Havre et leur longue et ancienne histoire de lutte syndicale désormais gangrénée par la corruption et le trafic de drogue.
Une saga familiale et mafieuse qui lorgne du côté de ses références américaines (Soprano, The Wire etc…) sans en avoir tout à fait l’étoffe. Elle réussit cependant à imposer sa singularité grâce à la peinture de cette congrégation unique et puissante et à des acteurs remarquables (Panayotis, Lottin, Gourmet évidemment).
Intelligemment construite autour de flash-backs, De Grâce opère une intense et violente montée en puissance sur les deux derniers épisodes où le thriller et le drame familial se mélangent dans un grand geste tragique. Malgré quelques maladresses et clichés, une série de haute tenue.

Cinéma | LA SALLE DES PROFS – 11/20

De İlker Çatak
Avec Leonie Benesch

Chronique : Film phénomène en Allemagne, La Salle des Profs est un thriller social construit comme un polar à suspense, imposant à son spectateur une tension constante et étouffante.
Le scénario prend comme point de départ un fait assez mineur (des vols dans un lycée) qui va prendre une ampleur démesurée et entrainer une professeure dans un engrenage délirant.
L’efficacité de la mise en scène est la principale qualité du long métrage. La musique, la caméra qui suit Carla de près, le format 4/3 qui ressert l’image, tout est fait pour ressentir la frustration et la colère de l’enseignante. L’interprétation habitée de Leonie Bech est l’autre atout du film, une performance majuscule qui traduit parfaitement le désarroi de son personnage quand elle passe du statut de victime à celui de coupable sans vraiment comprendre pourquoi.
Tout est orchestré pour que le spectateur entre en empathie avec cette professeure sur qui le sort s’acharne. Tellement tout, que c’en est trop. La suite d’événements contraires à la jeune femme est proche de l’invraisemblable et c’est une grosse limite du film. Le script use de bien trop de facilités pour faire progresser l’histoire et intensifier le suspense. Les moments clés du film sont d’ailleurs appuyés avec la finesse d’un éléphant. Sans trop dévoiler l’intrique, l’élément déclencheur qui va entrainer l’ostracisation de Clara est déjà peu crédible, mais à celui-ci s’ajoutent d’autres évènements qui vont engendrer des réactions bien trop simplistes. Car hormis Clara, les personnages sont très caricaturaux.
Cette vision binaire dessert le film. Ce qui est vraiment dommage parce que les sujets traités sont passionnants. En faisant de l’école le miroir de la société allemande, İlker Çatak a l’ambition de montrer comment l’opinion publique fluctue au grès de bruits de couloir et de rumeurs qui alimentent un tribunal populaire par essence subjectif.
Mais la manière dont La Salle des Profs est construit interdit les nuances. Il donne l’impression de manipuler son spectateur, de lui dicter quoi penser. Il se retrouve un peu pris en otage de ce qui est imposé à Clara, qui se retrouve seule contre tous, sans qu’on sache si elle a du soutien par ailleurs puisque le réalisateur choisit de ne montrer que ce qui se passe dans l’école. Il n’offre ainsi qu’une vision partielle, en plus de partiale, de son sujet.
Un film au sujet fort mais trop forceur pour être tout à fait convainquant

Synopsis : Alors qu’une série de vols a lieu en salle des profs, Carla Nowak mène l’enquête dans le collège où elle enseigne. Très vite, tout l’établissement est ébranlé par ses découvertes.

Cinéma | SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE – 11/20

De Andrew Haigh
Avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bel

Chronique : Drame fantastique vaporeux et délicate romance gay, Sans Jamais nous Connaître nous embarque dans un voyage singulier entre passé et présent.
Alors qu’il fait la connaissance de Harry avec qui il va débuter une relation amoureuse qu’il n’attendait plus, Adam retrouve la maison de son enfance. A l’intérieur semblent toujours y vivre ses parents, en tout point identiques à ce à quoi ils ressemblaient le jour de leur mort, quand il avait 11 ans.
C’est un drôle de film que nous livre Andrew Haigh, un film de fantômes d’une sourde mélancolie mais aussi la rencontre de deux solitudes.
Cette projection mentale qui ne nous sera jamais expliquée donne à Adam l’occasion de faire son deuil, à la fois de ses parents mais aussi de tout ce qu’il n’a pas pu leur dire. Haigh fait preuve d’une grande tendresse lorsqu’il confronte son personnage au souvenir de ses parents, rendant tangibles, presque crédibles ces retrouvailles de l’au-delà. Le réalisateur nous offre des moments aussi touchants qu’étranges lorsque ce couple étreint cet enfant plus âgé qu’eux…Adam peut finalement faire ce coming-out dont il se sentait privé. Sans doute pour enfin vivre qui il est vraiment.
L’homosexualité d’Adam est d’ailleurs au cœur du film. Haigh a toujours su peindre cette communauté avec sincérité et réalisme (Week-end, la série Looking). On retrouve cette authenticité lorsqu’il développe l’histoire d’amour entre Adam et Harry. Il fait preuve de beaucoup de justesse lorsqu’il évoque l’évidente connexion physique et sentimentale entre les deux hommes.
Le fond est puissant donc, mais la forme interroge. On voit ce que Haigh cherche à dire à travers ce film de revenants mélancolique mais quelque chose bloque.
L’ultra sophistication de la mise en scène dessert le propos et donne l’impression que le réalisateur a fini par privilégier l’apparence. La photographie, très chiadée, joue constamment avec les lumières, les clair-obscur et les effets stroboscopiques. Les dialogues, très nombreux et chuchotés pour la plupart, sont trop littéraires pour qu’on y croit tout à fait. Ils expliquent tout sans laisser de place à l’interprétation. Mais l’élément le plus rédhibitoire est cette musique qu’on dirait tirée d’une séance de méditation. Elle en a en tout cas l’effet soporifique et assomme le récit qui n’en avait pas besoin.
Si Paul Mescal, tout en nuance et séduction sauvage est très convaincant en amant maudit, Andrew Scott peine à vraiment émouvoir dans ce rôle nécessitant plus de retenu que ceux qu’il a l’habitude d’interpréter. En surjouant le côté larmoyant et désabusé, il agace plus qu’il n’émeut.
Sans Jamais nous Connaître suscitait chez moi une attente sans doute démesurée. Mais Haigh semble avoir été pris au piège de l’exercice de style qui étouffe le sens et l’émotion. Son propos aurait sans doute été plus fort expurgé des tics de cinéma indé américain. Il m’a perdu en route…

Synopsis : A Londres, Adam vit dans une tour où la plupart des appartements sont inoccupés. Une nuit, la monotonie de son quotidien est interrompue par sa rencontre avec un mystérieux voisin, Harry. Alors que les deux hommes se rapprochent, Adam est assailli par des souvenirs de son passé et retourne dans la ville de banlieue où il a grandi. Arrivé devant sa maison d’enfance, il découvre que ses parents occupent les lieux, et semblent avoir le même âge que le jour de leur mort, il y a plus de 30 ans.

Séries | D’ARGENT ET DE SANG – 17/20 | TRUE DETECTIVE S04 – 15/20 | ESCORT BOYS – 13/20

D’ARGENT ET DE SANG (Canal +) – 17/20

Déjà adapté en film par Olivier Marshall et raconté dans un documentaire pour Netflix, le scandale de l’arnaque à la taxe carbone et l’improbable traque qui en suivi démontre ici qu’il avait bien de quoi nourrir une douzaine d’épisodes.
D’abord assez technique et un poil austère, la série prend peu à peu de l’ampleur et (beaucoup) de coffre. Une fois pris dans l’histoire, au bout de 2/3 épisodes, impossible de décrocher. Ultra documentée, rythmée et portée par le charisme de ses acteurs (Ramzy est bluffant en petit escroc aussi taré qu’inquiétant et Niels Schneider épate en ordure magnifique), D’argent et de Sang passionne autant dans la description du circuit de blanchiment d’argent que dans la chasse à l’homme et le jeu du chat et de la souris qui alimente une 2ème partie palpitante.
Seule bémol, la sous-intrigue de la fille camée du magistrat interprété par Lindon qui parasite vraiment l’intrigue.
Mis à part cet écueil très pardonnable, D’argent et de Sang est à la hauteur de la réputation forgée par son diffuseur. Une grande série Canal.

TRUE DETECTIVE – NIGHT COUNTRY (HBO Pass Warner) – 15/20

La série troque la moiteur de la Louisiane pour l’enfer glacé de l’Alaska.
Aussi sombre qu’intrigante, l’enquête revient aux sources de la série anthologique en faisant se répondre un crime sordide, les mythologies de la région et les us et coutumes des autochtones.
La mise en scène est pointue, très graphique lorsqu’elle évoque les meurtres et anxiogène quand elle plonge le duo d’enquêtrice dans l’action. Elle parvient parfaitement à imprimer une signature unique à cette nouvelle saison tout en capitalisant sur un duo puissant et complémentaire, avec une Jodie Foster royale en flic abîmée et vacharde.
Une jolie renaissance pour la franchise.

ESCORT BOYS S01 (Prime Video) – 13/20

On pouvait craindre un nouveau Plan Cœur, mais Escort Boys s’élève assez nettement au dessus de la série Netflix.
Son accroche est, admettons-le, un peu putassière et la série tient largement sa promesse de (jolis) corps masculins dénudés. Mais elle dépasse son simple statut de série sexy en misant sur une mise en scène chiadée, capitalisant sur les superbes paysages de Camargue et une BO franchement bien choisie. Au delà des situations invraisemblables, les personnages sont attachants et le propos gentiment militant. Les courts épisodes sont rythmés, les dialogues souvent réussis et drôles, c’est fun et cul, mais surtout la série questionne intelligemment la virilité en 2024, tout en mettant en avant le(s) désir(s) féminin(s).

Cinéma | LE MOLIÈRE IMAGINAIRE – 13/20

De Olivier Py
Avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac

Chronique : Le Molière Imaginaire nous plonge au cœur du théâtre du Palais-Royal (ou du moins une version fantasmée de celui-ci) le 17 février 1773 pour vivre les deux dernières heures de la vie de Molière à travers un long (faux) plan-séquence foisonnant. C’est une expérience hybride que nous offre Olivier Py, aussi cinématographique que théâtrale, aussi triviale qu’onirique. Alors qu’il joue Le Malade Imaginaire pour la dernière fois, Jean-Baptiste Poquelin passe de la scène aux coulisses où il va errer entre fantasmes, rêveries et très concret héritage. C’est toute la vie de l’auteur qui est condensée sur ces courts moments, certains factuels, d’autres imaginés ou extrapolés. L’occasion pour Pi d’évoquer la bisexualité supposée du dramaturge en offrant les deux plus belles partitions à son amour passé, Madeleine Béjar, interprétée royalement par Jeanne Balibar lors d’un court mais émouvant interlude, et son amour présent, incarné par l’impudente et ambitieuse jeunesse du Baron.
Sa mise en scène est outrancière, virtuose et novatrice dans sa manière de faire voyager sa caméra. Elle s’engouffre dans les coulisses, descend sous la scène par une trappe, s’élève dans les loges par divers escaliers, scrute l’orchestre et passe en revue une foule enthousiaste.
Il révèle dans le public un bestiaire de personnages aussi grotesques que truculent dont émergent trois vieilles femmes surpoudrées jacassant telles les pythies de ce petit monde. Le plan est construit pour donner l’illusion d’être filmé d’une seule traite, passant du lumineux au crépusculaire, saisissant tout ce qui agite la pysché de Molière à ce moment-là, la transmission, l’héritage, la jalousie aussi. Et ça parle aussi, beaucoup. Un texte souvent ardu, parfois maladroit dans sa volonté de coller au style de Molière, mais illustrant ses rencontres en songe ou en chair et en os. Plus souvent en chair d’ailleurs, la réalisation de Py étant très charnelle. Mais toujours marquée par l’attachement viscéral du dramaturge à sa condition de comédien.
L’exercice est riche, très référencé (je dois en avoir 10%), très stimulant mais aussi trop long et un peu épuisant. Ses auteurs, ses acteurs viennent du théâtre et ça se voit. Malgré le du plan-séquence, Py n’échappe pas au piège du théâtre filmé, ce qui peut être excluant pour une partie du public.
Mais Le Molière Imaginaire est aussi et surtout une déclaration d’amour au théâtre, et sans doute un peu plus que ça. Une profession de foi.

Synopsis : Paris, 17 février 1673.
Comme tous les soirs, Molière monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer Le malade imaginaire.
Ce sera sa dernière représentation.